Œuvres de Maître Eckhart

Maître Eckhart : Sermon 3 - Nunc scio vere, quia misit Dominus angelum suum

Sermons de Maître Eckhart
jeudi 3 septembre 2015.
 

Quand Pierre, par la puissance du Dieu très-haut, se trouva libéré des liens de sa prison, il dit : « Maintenant je sais vraiment que Dieu m’a envoyé son ange et m’a sauvé de la puissance d’Hérode et des mains des ennemis. »

Maintenant nous inversons cette parole et disons : Parce que Dieu m’a envoyé son ange, je connais vraiment. Pierre veut dire connaissance. Quant à moi, je l’ai dit souvent : Connaissance et intellect unissent l’âme à Dieu. Intellect fait tomber dans l’être limpide, connaissance court en avant, elle court en avant et fait sa percée pour que là se trouve engendré le Fils unique de Dieu. Notre Seigneur dit en Matthieu que personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils. Les maîtres disent (que) connaissance tient dans ressemblance. Certains maîtres disent (que) l’âme est faites de toutes choses, car elle a une possibilité d’entendre toutes choses. Cela paraît fou et c’est pourtant vrai. Les maîtres disent : Ce que je dois connaître, il me faut que ce me soit pleinement présent et égal à ma connaissance. Les saints disent que dans le Père est puissance et égalité dans le Fils et union dans le Saint Esprit. C’est parce que le Père est pleinement présent au Fils et Fils pleinement égal à lui que personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils.

Or Pierre dit : « Maintenant je connais vraiment. » D’où connaît-on vraiment ? De ce que c’est une lumière divine qui ne trompe personne. D’autre part, de ce que l’on connaît là nûment et limpidement et sans voile aucun. C’est pourquoi Paul dit : « Dieu habite dans une lumière à laquelle il n’est point accès. » Les maîtres disent (que) la sagesse que nous apprenons ici bas doit nous demeurer là-bas. Alors que Paul dit (qu’) elle doit passer. Un maître dit : Connaissance limpide, bien que dans ce corps, recèle si grande joie en elle-même que la joie de toutes les créées est exactement comme un néant en regard de la joie que comporte connaissance limpide. Cependant, si noble qu’elle soit, elle est pourtant une contingence ; et aussi infime est une petite parole en regard du monde entier, aussi infime est toute la sagesse que nous pouvons apprendre ici-bas en regard de la vérité limpide nue. C’est pourquoi Paul dit (qu’) elle doit passer. Que si pourtant elle demeure, elle en vient justement à être une (sagesse) folle, et comme étant néant en regard de la vérité nue que l’on connaît là-bas. La troisième raison pour laquelle on connaît là vraiment, la voici : les choses qu’ici bas l’on voit sujettes à mutation, on les connaît là-bas immuables et on les prend là telles qu’elles sont pleinement indivisées et proches les unes des autres ; car ce qui ici-bas est loin, là-bas est proche, car toute choses sont là-bas présentes. Ce qui doit arriver au premier et au dernier jour est là-bas présent.

« Maintenant je sais vraiment que Dieu m’a envoyé son ange. » Lorsque Dieu envoie son ange à l’âme, elle devient alors vraiment connaissante. Ce n’est pas en vain que Dieu a confié à saint Pierre la clef, car Pierre veut dire connaissance ; car connaissance a la clef qui ouvre et pénètre et fait sa percée et trouve Dieu nûment, et dit alors à sa compagne, la volonté, ce qu’elle a possédé, bien que pourtant elle ait eu auparavant la volonté ; car ce que je veux, je le recherche. Connaissance marche devant. Elle est une princesse et recherche seigneurie au plus élevé et au plus limpide, et le transmet à l’âme et l’âme à la nature et la nature aux sens corporels. L’âme est si noble en ce qu’elle a de plus élevé et de plus limpide que les maîtres ne peuvent lui trouver de nom. Ils disent d’elle « âme » parce que c’est elle qui donne être au corps. Or les maîtres disent qu’au plus près du premier surgissement de la déité, où le Fils surgit du Père, alors l’ange est façonné selon Dieu au plus près. C’est bien vrai : l’âme est façonnée selon Dieu en sa partie supérieure ; mais l’ange est une image plus proche de Dieu. Tout ce qui est de l’ange, cela est façonné selon Dieu. C’est pourquoi l’ange se trouve envoyé à l’âme afin qu’il la ramène à cette même image selon laquelle il est façonné ; car connaissance provient d’égalité. Comme donc l’âme a une capacité de connaître toutes choses, elle ne goûte aucun repos qu’elle ne parvienne dans la première image où toutes choses sont un et c’est là qu’elle goûte le repos, c’est-à-dire en Dieu. En Dieu nulle créature n’est plus noble que l’autre. Les maîtres disent : Être et connaissance sont tout un, car ce qui n’est pas, on ne le connaît pas non plus ; ce qui a le plus d’être, on le connaît aussi le plus. Comme donc Dieu a un être suréminent, pour cette raison il surpasse toute connaissance, selon que j’ai dit avant-hier dans mon dernier sermon que l’âme se trouve façonnée intérieurement dans la limpidité première, dans l’impression de l’essentialité limpide, où elle goûte Dieu avant qu’il ne revête vérité ou cognoscibilité, là où toute nomination est déposée : là elle connaît le plus limpidement, là elle se saisit de l’être à mesure égale. C’est pourquoi Paul dit : « Dieu habite dans une lumière à laquelle il n’est point d’accès. » Il a inhabitation dans sa propre essentialité limpide, là où il n’est rien qui s’ajoute. Ce qui a contingence, il faut que ce soit écarté. Il est un limpide se-tenir-dans-soi-même, là où il n’y a ni ceci ni cela ; car ce qui est en Dieu, cela est Dieu. Un maître païen dit : Les puissances qui planent au-dessus de Dieu ont un habiter en Dieu, et bien qu’elles aient un limpide se-tenir-dans-soi-même, elles ont cependant un inhabiter dans celui qui n’a ni commencement ni fin ; car en Dieu rien d’étranger ne peut tomber. De quoi vous avez témoignage par le ciel : il ne peut recevoir aucune impression étrangère selon un mode étranger.

Ainsi advient-il : ce qui vient à Dieu, cela se trouve transformé ; si piètre que ce soit, le portons-nous à Dieu, il échappe à soi-même. De quoi vous avez une comparaison : si j’ai la sagesse, je ne la suis pas moi-même. Je peux acquérir la sagesse, je peux aussi la perdre. Mais ce qui est en Dieu est Dieu ; cela ne peut lui échapper. Cela se trouve insérer dans la nature divine, car nature divine est si puissante que ce qui s’y trouve mis s’y trouve pleinement inséré ou demeure pleinement au dehors. Or notez la merveille ! Puisque Dieu transforme dans soi chose si piètre, qu’imaginez-vous donc qu’il fera à l’âme qu’il a honorée de sa propre image ?

Pour qu’à cela nous parvenions, qu’à cela Dieu nous aide. Amen.



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