L’Esprit de Dieu est la libéralité sans mesure ; il est clarté et feu qui embrase, faisant brûler et luire les sept dons, au sommet de l’âme, comme les sept lampes qui brillent devant le trône de la souveraine Majesté. Lui, l’amour divin, le clair soleil éternel, il émet ces sept rayons, tout brillants de clarté, qui échauffent, éclairent et fécondent le royaume de l’âme, semblables à sept planètes situées en son sommet comme dans le firmament, afin de régler et d’ordonner le royaume dans l’amour divin. L’âme aimante, c’est Samson dans sa force. Sa tête, c’est la volonté libre, et les dons du Saint-Esprit sont comme les sept boucles de cheveux qui en font l’ornement. Ils la remplissent de grâce, de force et de sagesse contre tout vice, et c’est pour cela que l’ennemi veut les retrancher. CHAPITRE VI
La raison éclairée maintenant voudrait bien savoir ce qui l’empêche de demeurer dans cette unité si douce et comprendre d’où vient la touche qu’elle ressent et ce qu’est cette motion divine. Alors elle regarde avec grande attention et elle découvre au plus profond de la mémoire comme le jet d’une source vive qui jaillirait d’un centre vivant et fécond. Ce centre vivant, c’est l’unité de Dieu, la propriété des personnes et l’origine de l’âme ; car l’unité possède la fécondité, elle est l’origine et la fin de toute créature. Le jet qui sort de cette source, l’attouchement divin est si merveilleux et si doux à l’intelligence, si aimable et si singulièrement désirable à la volonté, que l’âme tombe dans une impatience et une folie d’amour, et sent grandir son ardeur. À nouveau elle se met à rechercher ce qui peut l’empêcher de trouver son repos soit en Dieu, soit en elle-même. Elle scrute du haut en bas son royaume : et sa raison y met une rapidité extrême. Elle regarde ce sommet où elle a fait son retour à l’essence même de sa mémoire, là où les trois puissances supérieures prennent leur source, d’où elles tirent leur origine et retournent d’elles-mêmes vers l’unité. C’est en ce même sommet de l’âme que se fait sentir la touche mystérieuse, ce flot jaillissant de la source divine : et cette touche ébranle l’étincelle de l’âme , elle est la source qui apporte avec elle tous les dons divins, selon la dignité et la vertu de chacun. Cependant à ce degré de la contemplation, la touche divine n’est connue que par un sentiment d’amoureuse impatience, ressentie dans l’étincelle de l’âme. Ceux qui sont dans la vie active ne peuvent en faire l’expérience d’une manière aussi élevée ; et pourtant toute leur bonne volonté, tout leur amour et toutes leurs vertus reçoivent la vie et la conservent dans cette étincelle. S’ils ne peuvent con-naître la touche divine au même degré que les contemplatifs, c’est qu’ils ne sont pas encore assez élevés dans le royaume de l’âme et dans la vie affective ; car cette touche divine c’est Dieu adhérant à l’âme, en son plus haut sommet. En tant que l’âme comprend et ressent cette touche, c’est quelque chose de créé, mais en tant que celle-ci lui échappe, il s’agit de Dieu même, et alors vient l’impatience d’amour. En cet état élevé, l’âme demeure toujours attachée à l’unité en sa mémoire ; elle se répand à l’extérieur par l’activité de ses puissances, mais le fond même de ces puissances demeure attaché à l’unité. Cependant elle voudrait bien suivre, à travers l’unité, le flot doux comme le miel qui en jaillit, afin d’arriver jusqu’à la source vive d’où il s’échappe ; mais plus elle tend de ce côté avec ardeur de désir, plus elle ressent l’impatience et l’emportement d’amour. Le désir de la créature ne peut atteindre Dieu, car avec une lumière et un amour créés, son opération est limitée ; à ce degré donc, l’âme demeure toujours dans l’ardeur d’amour, et c’est pour elle une vraie noblesse, ainsi qu’une haute ressemblance avec la Sainte-Trinité. CHAPITRE XXV
Lorsqu’elle voit qu’elle ne gagne rien, mais que toujours elle perd sa peine, elle se réfugie en son sommet et elle considère son royaume en tous sens, pour voir s’il n’y a pas quelque chose à mettre en ordre et à gouverner. À cet effet, elle députe deux messagers qui descendent dans son royaume l’un est la raison éclairée par la divine sagesse ; l’autre est la promptitude mue et poussée par la touche du Père et par l’emportement d’amour qui est dans l’âme. La promptitude oblige à se hâter à travers le royaume, sous l’action du Seigneur qui la meut et sous l’impulsion de la touche divine et du feu de l’amour. La raison éclairée fait d’attentives remarques, car elle sert la divine sagesse. Ainsi marchent ensemble dans le royaume la promptitude et la raison éclairée et elles règlent et ordonnent toutes choses. Leurs recherches les amènent à constater qu’il y a partout grande pauvreté et grand défaut de vertus, et que le royaume est tout dépouillé de l’orne-ment des nobles actions. La raison peut faire cette remarque, mais elle n’a pas ce qu’il faut pour remédier au mal. Les deux messagers reviennent alors à l’unité et exposent leur requête à l’amour élevé qui languit dans une grande impatience de goûter Dieu d’une façon parfaite. Mais dès que l’amour reçoit ce message et apprend qu’il y a si grand défaut de biens et d’ornement de vertus, il appelle ses deux filles la Miséricorde et la Libéralité, ainsi que leur compagne, la raison éclairée et leur servante à toutes, la promptitude, et tous ensemble ils s’en vont de nouveau dans le royaume de l’âme. La raison éclairée régit et ordonne toutes choses selon la rectitude. ; et, de son côté, l’amour distribue libéralement, pourvoyant à tout besoin avec miséricorde. C’est ainsi que l’homme règle et ordonne le royaume de son âme d’une façon raisonnable, qu’il pourvoit à tout besoin selon la miséricorde, et donne à toute indigence le secours de ses libéralités, établissant de la sorte par l’amour son royaume dans l’unité. Cela s’appelle mener une vie de désir selon la vérité, et c’est la possession parfaite du don divin de conseil. C’est aimer Dieu de toute son âme, et à ceux qui agis-sent ainsi s’applique la parole du Christ : « Bienheureux les miséricordieux, car ils recevront miséricorde . » Ils sont vraiment miséricordieux parce qu’ils ont été poussés par Dieu et son amour à parcourir du haut en bas le royaume de leur âme, afin de prendre en pitié toute nécessité. Et ils suivent la miséricorde divine jusqu’à l’unité, qu’ils ne peuvent dépasser. CHAPITRE XXV
L’homme qui, sous l’influence du don de conseil divin, réalise la parfaite ressemblance avec la Sainte-Trinité peut être comparé au firmament du ciel, mû lui-même par la touche divine et conduit par les puissances angéliques. C’est de même façon, en effet, que son esprit ressent sous le toucher divin l’impatience d’amour. Le firmament éclaire tout ce qui est sur la terre, de même que la raison illuminée par la sagesse éternelle éclaire tout le royaume de l’âme. Le firmament verse sa chaleur à toute créature, en même temps qu’il donne à toute chose vie et croissance. De même, l’homme qui possède le don de conseil répand sa chaleur de son amour et de sa compassion ; et c’est pour toutes les puissances de son âme une source de vie, d’activité et de croissance en vertus. Le firmament du ciel est enfin orné de sept planètes et d’étoiles qui éclairent et régissent tous les corps qui sont sous le firmament. CHAPITRE XXVI
Et tout d’abord le soleil est parmi les astres le plus puissant et le plus clair. Il représente la raison éclairée, lumière puissante de l’intelligence qui s’incline vers les choses extérieures. C’est cette raison éclairée qui, dans le royaume de l’âme, fait luire le premier jour, ou jour du soleil, durant lequel on se repose ; car elle met en repos toutes les puissances de l’âme, qu’elle rend ainsi capables d’entendre ses ordres et de s’y conformer durant la semaine, c’est-à-dire toute la vie. CHAPITRE XXVII
Le vendredi est le jour de Vénus qui symbolise la touche de l’amour divin. Cette planète, en effet, se lève à l’aurore, comme la touche divine se fait sentir dans l’unité de l’âme, à la source de toute action créée ; le soleil, ou la raison illuminée brillera ensuite de tout son éclat. Lorsque notre étoile du matin ou toucher divin paraît à l’aurore, tout le royaume de l’âme est en fête parce que l’on sent que cette clarté vient du ciel immuable de l’unité de Dieu. Souvent alors, sous l’éclat du soleil et le feu de l’amour, notre étoile se transforme de telle sorte qu’il semble impossible d’atteindre ce que l’on aime. C’est alors le midi, et l’on paye sa dette, telle qu’on la connaît. Car lorsque nous regardons la grandeur de Dieu et notre propre faiblesse, et que nous voyons combien nous sommes redevables à Dieu et aux hommes ; alors il nous semble que tout nous manque et que nous ne rendons ni à Dieu ni aux hommes ce que nous devons. CHAPITRE XXVII
Le samedi est présidé par Saturne le terrible, qui représente la faim et l’impatience causées par la pensée que Dieu nous échappe. Cette faim, figurée par Saturne, se tient au sommet de la puissance concupiscible et elle est plus impérieuse que celle que l’on ressent en se voyant incapable de vertus dignes de Dieu. La première convoite, en effet, la jouissance tandis que l’autre ne regarde que les œuvres vertueuses. L’une regarde Dieu, l’autre soi-même, et malgré qu’elles aient leur siège dans le même désir, elles diffèrent par l’action. La faim dont nous parlons, figurée par la planète furieuse , produit dans le royaume de l’âme des éclairs et de terribles tonnerres, des ouragans et des tempêtes violentes. L’éclair c’est le toucher divin qui remue l’âme dans une continuelle impatience, découvre le ciel de l’intelligence et montre le bien-aimé couronné au sein d’incompréhensibles joies. Puis vient la foudre, c’est-à-dire la fureur d’amour qui naît de l’impuissance à atteindre le bien-aimé. Il s’ensuit de grands bouleversements qui agitent de fond en comble le royaume de l’âme et si la raison éclairée, que Dieu a conformée en vue de cet état d’impatience, ne s’y opposait, l’on serait incapable d’attendre la fête et la venue de l’Époux. Mais cette raison éclairée montre avec clarté et évidence que l’on jouira bientôt du bien-aimé en toutes délices, avec toute la puissance de jouir dont on est capable. Et cela fait prendre patience à celui qui aime. CHAPITRE XXVII
Dans cette contemplation, la raison éclairée ne fixe rien d’une manière distincte et tous les flots de la divinité s’écoulent vers la partie supérieure du royaume de l’âme. Il en est tout enflammé et embrasé de feu, et ce feu est le Saint-Esprit, qui brûle dans la fournaise de l’unité divine. Là, dans cette unité sublime, tous les esprits sont imprégnés et illuminés, au sein d’une incompréhensible tendresse. Or cette unité pleine de jouissance, c’est le trésor caché dans le champ de l’âme. Quiconque creuse là et estime le trésor vend et abandonne ce qu’il est et ce qu’il peut avoir en fait de délices, afin de pouvoir posséder le champ qui renferme de telles richesses. CHAPITRE XXXV
Le Saint-Esprit, c’est l’océan sans bornes d’où découle tout bien et où tout bien demeure incommensurable. C’est le soleil divin, ardent et lumineux, qui orne le royaume de l’âme des principaux rayons surnaturels qui sont les sept dons supérieurs. Le Saint-Esprit est un feu immense qui transforme et pénètre de lumière tous les esprits recueillis, soit dans la grâce, soit dans la gloire, pour les fondre comme l’or, dans la fournaise de l’unité divine. Là, chacun jouit et goûte, selon sa condition et sa dignité, quoique le feu divin les brûle tous sans distinction. Mais il y a dans cette fournaise du cuivre et du plomb, du fer et de l’étain, de l’argent et de l’or, et un grand nombre de métaux fondus ensemble sous l’ardeur de ce feu incompréhensible. Or chaque métal, c’est-à-dire chaque esprit est intelligent et sensible, et il supporte la transformation de l’amour essentiel de Dieu, selon sa propre noblesse et dignité, quoique l’amour se répande également sur tous ; de là vient la distinction de jouissance. CHAPITRE XXXV
C’est la source vive et sans fond, qui, de l’intérieur, coule à l’extérieur par sept fleuves principaux, les sept dons, qui rendent le royaume de l’âme fécond en toutes vertus. Les esprits élevés dont nous parlons ont remonté ce flot vivant et jaillissant et sont parvenus jusqu’au fond de vie où il prend sa source. Plongés là, ils sont inondés de clarté en clarté et de délices en délices ; car il y coule une rosée de miel d’ineffable allégresse, qui fait fondre et s’écouler dans les délices de la béatitude divine. CHAPITRE XXXV
Le second fruit qui est un amour incompréhensible se répand dans tout le royaume de l’âme et envahit chaque puissance selon toute sa capacité. L’âme se fond alors en un amour simple et essentiel ; inondée et pénétrée par la clarté et l’amour, elle parvient à une jouissance qui est le troisième fruit. Cette jouissance est si immense que Dieu lui-même y est comme englouti avec tous les bienheureux et les hommes élevés dont nous parlons, en une absence de modes qui est un non-savoir et une perte éternelle de soi. Mais dans cette absorption, au fond même de cette perte éternelle, se trouve la suprême saveur. CHAPITRE XLIII