Agapit de Valaam

De la prière intérieure du cœur.

Ascètes Russes - Tyszkiewicz et Belpaire
dimanche 9 septembre 2007.
 

Dans l’Evangile il est dit : « Qui veut me suivre doit renoncer à soi-même et prendre sa croix. » Si l’on applique ces paroles à la prière, elles signifient ce qui suit : celui qui veut accomplir de façon convenable le haut fait de la prière sans faire fausse route, doit avant tout renoncer à sa propre volonté, ainsi qu’à ses raisonnements et ensuite porter sa croix, c’est-à-dire faire un effort de l’âme et du corps qui est inséparable de ce haut fait. S’étant confié sans restrictions à la sollicitude de la Providence, on doit supporter ce travail avec humilité et simplicité, en vue du véritable bien que Dieu donne en son temps à la prière assidue, quand Dieu par sa grâce s’empare de notre esprit et le fixe dans l’immobilité avec le souvenir de Dieu dans le cœur. Cette immobilité de l’esprit, devenue quasi naturelle et constante, s’appelle chez les pères « union de l’esprit avec le cœur ». Dans cette disposition, l’esprit n’a plus le désir d’être en dehors du cœur. Au contraire, si, à cause des circonstances ou des conversations fréquentes, l’esprit est retenu hors de l’attention du cœur, il a un désir irrésistible et une soif spirituelle de rentrer à l’intérieur de soi, pour s’occuper de nouveau avec un zèle renouvelé de l’édification de sa vie intérieure. Quand il y a une telle disposition intime, tout passe de la tête de l’homme à l’intérieur du cœur, et alors c’est comme si une certaine lumière de l’esprit illuminait tout son intérieur. Quoi qu’il fasse, dise ou pense, tout se fait avec pleine conscience et attention. Cet homme peut alors voir clairement quelles pensées, intentions ou désirs lui viennent. Volontiers il contraint l’esprit, le cœur et la volonté à obéir au Christ, à accomplir tout commandement de Dieu ou de ses pères. Alors il corrige toute déviation par un sentiment de sincère pénitence et de componction, en regrettant sa faute, en se prosternant devant Dieu avec douleur et humilité, en lui demandant avec confiance l’aide d’en-haut. Et Dieu, en considérant cette humilité, ne le prive pas de sa grâce.

Sachez que la prière de l’esprit-cœur vient vite dans le cœur des uns, lentement dans celui des autres. Je connais trois personnes : à l’une, elle est venue dès qu’on lui en a parlé, à l’instant même ; à une autre elle est venue après six mois ; à la troisième, après dix mois ; à un grand starets, après deux ans. Pourquoi il en est ainsi, Dieu seul le sait.

Sachez encore qu’autre est la prière avant l’anéantissement des passions, autre après la purification du cœur. La première est une aide durant cette purification, la seconde est un certain gage de la béatitude future. Faites comme ceci : quand vous sentirez que l’esprit entre dans le cœur et que la prière exerce son action, donnez pleine liberté à cette prière, en écartant tout ce qui ne la favorise pas, et aussi longtemps qu’elle reste, ne faites pas autre chose. Quand vous ne sentez pas une pareille attraction, priez d’une prière vocale en faisant des inclinations et en vous efforçant de toute manière de tenir l’attention dans le cœur devant la face du Seigneur. Le cœur se réchauffera avec cette façon de prier.

Soyez calmes d’esprit et vigilants, surtout durant la prière de l’esprit dans le cœur. Personne n’est aussi agréable à Dieu, comme celui qui s’adonne à cette prière avec application. Quand vous ne trouvez pas de bonnes conditions pour les exercices de prière ou quand vous n’avez pas le temps de prier, gardez de toute manière et dans toutes les occupations la disposition à la prière, c’est-à-dire gardez Dieu dans la mémoire et faites différents efforts pour le voir devant vous par les yeux de l’esprit. Faites-le avec crainte et amour, et quand vous sentez qu’il est devant vous, dans toutes vos occupations, confiez-vous avec une pieuse docilité à son pouvoir universel, sa toute-puissance, sa vision de tout, son omniscience, de sorte que dans chacune de vos actions, paroles et pensées, vous vous souveniez de Dieu et de sa sainte volonté. Voilà brièvement en quoi consiste l’esprit de prière.

Celui qui aime la prière doit absolument avoir cet esprit. Par une continuelle attention du cœur, il doit, autant que possible, ajuster sa façon de comprendre les choses à celle de Dieu. Il doit se soumettre à lui avec piété et docilité. De même, il doit conformer ses propres volitions et désirs à la volonté de Dieu. Il faut se livrer entièrement à la sagesse et au vouloir de Dieu. Il faut s’opposer de toute manière à l’esprit de licence, aux désirs, spontanés ou non, d’agir de façon insouciante. Cet esprit chuchote : « Ceci dépasse mes forces ; pour cela le temps me manque ; le moment n’est pas venu pour entreprendre cette affaire ; il faut attendre un peu ; les devoirs imposés par l’obéissance sont un obstacle » et beaucoup de choses semblables. Celui qui écoute ces suggestions n’aura jamais l’espoir de prier. A l’indépendance d’esprit s’allie la tendance à se justifier ; elle commence à faire pression quand, emportés par notre indépendance et nos mouvements arbitraires, nous faisons quelque chose que la conscience nous reproche. Alors l’esprit de disculpation de soi-même emploie tous les expédients possibles pour tromper la conscience et présenter comme juste ce qui ne l’est pas. Que Dieu vous préserve de ces mauvaises tendances !



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