Hésychius de Batos

Extraits "De la tempérance et de la vertu"

vendredi 1er décembre 2006.
 

Centurie 1, n. 1. La tempérance est une méthode spirituelle : qu’elle procède avec lenteur ou avec empressement, elle libère entièrement l’homme, Dieu aidant, des pensées ou des paroles passionnées, ainsi que des actions mauvaises ; elle donne une connaissance assurée du Dieu incompréhensible, autant du moins qu’il est possible, et résoud secrètement les secrets mystères de Dieu ; elle donne le moyen d’accomplir tous les préceptes divins de l’Ancien et du Nouveau Testament, et procure tous les biens de la vie future. Elle est avant tout cette pureté du cœur, qui, en raison de son excellence et de sa beauté ou, pour parler plus exactement, à cause de notre négligence et inattention, est aujourd’hui bien rare chez les moines, et que le Christ béatifie, disant : « Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu » [Mt 5,8]. Etant telle, elle est de grand prix. La tempérance qui persiste dans l’homme sert de guide à une vie droite et agréable à Dieu...

3. La tempérance est la voie de toutes les vertus et des commandements de Dieu, elle est tranquillité du cœur, et parvenue à la perfection en dehors de toute imagination, elle est la gardienne de notre âme.

1,4. Celui qui est né aveugle ne voit pas la lumière du soleil ; de même celui qui ne marche pas dans la voie de la tempérance ne voit pas les précieux rayons de la grâce d’en haut ; et il ne sera pas délivré des œuvres, paroles et pensées mauvaises et qui déplaisent à Dieu...

5. L’attention est l’état de repos continu d’un cœur qui, laissant toute autre pensée, aspire sans cesse ni interruption à Jésus-Christ seul, Fils de Dieu et Dieu lui-même, et qui se range courageusement à ses côtés contre les ennemis, lui confessant ses fautes comme à celui qui a pouvoir de les pardonner. En effet, lorsque l’âme embrasse par une prière assidue le Christ, qui seul scrute secrètement les cœurs, et qu’elle prend grand soin de cacher entièrement aux hommes ses consolations comme ses luttes intimes, l’esprit malin ne peut pas, à la dérobée, réussir à faire du mal ni détruire le bien qui a été réalisé.

1, 6. La tempérance consiste à fixer constamment nos pensées et à les arrêter au seuil de notre cœur ; elle voit celles qui arrivent subtilement, elle entend ce qu’elles disent, ce qu’elles font pour notre perte ; elle sait quel est le procédé dont se sert le démon, stèle ou inscription, pour essayer de briser par l’imagination la force de notre âme. Tout cela, qui ne se fait pas sans peine, nous donne, si nous le voulons, une parfaite connaissance de la guerre qui se livre en notre âme.

1, 12. Modèle de toutes les vertus, exemple pour le genre humain, et rédemption pour l’ancienne faute, notre Maître, le Dieu incarné, nous a proposé comme un modèle vivant sa très vertueuse vie humaine. Outre tout le bien qu’il nous a montré, revenant au désert après son baptême, et ayant jeûné, il engage la lutte de l’esprit avec le démon, qui l’attaque comme s’il n’était qu’un homme ; et par sa manière de le vaincre, le Seigneur nous apprend, à nous ses serviteurs inutiles, comment il faut mener le combat contre les esprits du mal, c’est-à-dire dans l’humilité, le jeûne, la prière et la tempérance, alors que lui n’en avait nul besoin, étant Dieu et le Dieu des dieux.

1, 14. Une première forme de la tempérance consiste à veiller de près sur notre imagination ou sur nos impressions, vu que Satan ne peut pas, indépendamment de notre imagination, agir sur nos pensées et proposer des faussetés à notre esprit pour le tromper.

15. Une autre forme consiste à tenir notre cœur dans un profond silence sur toutes choses, dans un calme éloigné de tout discours, et à prier.

16. Une autre, à appeler constamment Jésus à notre secours, en toute humilité.

17. Une autre encore, à garder perpétuellement en notre âme le souvenir de la mort.

18. Toutes ces pratiques, mon très cher, arrêtent les mauvaises pensées, à la façon de janissaires. Combien il est important de tourner les regards vers le ciel et de ne faire nul cas de la terre, c’est ce que, Dieu aidant, j’expliquerai ailleurs plus complètement, en touchant à d’autres sujets.

1,20. Celui qui soutient le combat intérieur doit en ce temps-là user de ces quatre moyens : humilité, extrême attention, résistance, et prière ; l’humilité, parce qu’il livre ce combat contre les démons orgueilleux, ennemis de l’humilité, et pour qu’il ait à portée de son cœur l’aide du Christ, puisque le Seigneur hait les orgueilleux ; l’attention, pour qu’il préserve son cœur de toute pensée, quand même elle lui paraîtrait pour lors bonne ; la résistance, afin que voyant parfaitement l’ennemi venir, il s’oppose aussitôt à lui avec colère ; ... la prière, afin qu’après avoir résisté, il crie aussitôt vers le Christ, du fond de son cœur, en un gémissement indicible.

1,23. De même que celui qui tient un miroir en main, s’il se trouve au milieu de beaucoup de gens et regarde dans le miroir, voit à la fois sa propre image et les autres dont l’image se reflète dans le même miroir, ainsi celui qui examine à fond son cœur y voit son propre état et aussi les noirs visages des Ethiopiens spirituels.

1,30. Ceux qui aiment s’instruire doivent encore savoir que souvent les démons envieux nous cachent et diminuent pour nous la guerre spirituelle, parce que ces êtres malfaisants nous en veulent du profit qui résulte de cette guerre, comme aussi de notre connaissance et de notre ascension vers Dieu, et encore afin que, grâce à notre négligence, ils s’emparent soudain de notre esprit, et qu’ils empêchent certains de s’appliquer à la réflexion ; car leur but et leurs efforts perpétuels consistent à ne pas nous laisser veiller sur notre cœur, et ils savent combien notre âme s’enrichit par cette attention de tous les jours.

Il n’est pas loisible ni possible de pactiser avec le serpent et de le porter dans son sein, pas plus que de flatter son corps en quelque façon, de le soigner et de l’aimer, en dehors de ce qui lui est nécessaire ou utile, et de s’appliquer à la vertu céleste. Car le serpent est habitué à blesser celui qui le réchauffe, et le corps à souiller celui qui s’adonne aux plaisirs. Quand il bronche, il faut le fouetter, le frapper du poing sans pitié, comme un esclave en fuite, abreuvé de vin, à qui on ne ménage pas le fouet sur le dos : qu’il ne traite pas son maître comme un marchand de vin ; que cette boue corruptible, cette obscure servante ne méconnaisse pas son incorruptible maîtresse.

1, 34. L’office de la prudence est de pousser la faculté irascible à engager le combat intérieur et à se blâmer soi-même ; celui de la sagesse est de pousser la faculté raisonnable vers une exacte et continuelle tempérance et vers la contemplation spirituelle ; celui de la justice est de diriger la faculté concupiscible vers Dieu et la vertu ; celui de la force, de modérer et contenir nos cinq sens, pour que par eux ne soit souillé en nous ni l’homme intérieur, qui est le cœur, ni l’extérieur, qui est le corps.

1, 41. De même que la pluie rend la terre d’autant plus molle qu’elle s’y répand plus abondante, ainsi plus nous invoquons souvent le nom du Christ sans faire appel au raisonnement, plus il amollit la terre de notre cœur et y répand joie et allégresse.

1, 43. De même qu’un enfant, petit et sans malice, voyant un charlatan, est heureux et dans sa simplicité suit ce charlatan, ainsi notre âme, étant simple et bonne, et créée telle par son bon Maître, prend plaisir aux suggestions trompeuses du démon et, se laissant égarer, court vers le mal comme si c’était bien, tout comme fait la colombe pour celui qui tend des pièges à ses petits ; et ainsi elle mêle ses propres pensées à l’illusion que lui suggère le démon.

1,51. La tempérance ressemble à l’échelle de Jacob, sur laquelle Dieu se tient, et que gravissent les anges ; car elle détruit tout mal en nous : elle retranche la loquacité, les injures, la détraction, et toute la série des péchés des sens ; c’est pourquoi elle n’admet pas le moindre affaiblissement du charme qui lui est propre.

1, 55. De même que l’amertume de l’absinthe est favorable à ceux qui n’ont pas d’appétit, ainsi il est bon aux hommes pervers de souffrir l’adversité.

1, 63. L’Ecriture appelle même le démon impur, parce que dès l’origine il a répudié le bien qu’est l’humilité et il a aimé l’orgueil ; c’est pourquoi dans toutes les Ecritures il est appelé esprit impur. En effet, quelle impureté corporelle a pu commettre celui qui n’a absolument pas de corps ni de chair, qui n’est pas fixé quelque part et n’a pas de sang, comme a été dès l’origine et est encore Satan, pour qu’on l’appelle impur ? Il est clair que c’est à cause de l’orgueil qu’il a été appelé impur, et qu’après avoir été un ange pur et brillant il a été dénommé impur et souillé.

1,64. Le souvenir des péchés en paroles, actions ou pensées, et bien d’autres choses que l’examen nous permet de réunir, nous conduisent à l’humilité. Ce qui produit aussi la vraie humilité, c’est de magnifier les bonnes actions quotidiennes de notre prochain avec qui nous vivons, ainsi que ses autres dons naturels et ses qualités, et de les comparer aux nôtres. Notre âme voyant ainsi sa mince valeur et combien elle est loin de la perfection de ses frères, l’homme estime qu’il n’est que terre et cendre.

1, 67. La voie de la connaissance est l’apathie et l’humilité, sans lesquelles personne ne verra le Seigneur.

1, 69. Celui qui ne sait pas cheminer sur la route spirituelle ne se fait pas scrupule des pensées inspirées par la passion, mais il ne s’occupe que de la chair ; il est alors glouton et intempérant, il s’afflige et s’irrite, il garde rancune ; par là il couvre son esprit de ténèbres, ou bien son effort n’est pas mesuré, et son âme en est souillée.

L’étoile possède en propre la lumière ; et le propre de celui qui est pieux et craint Dieu, c’est la simplicité et l’humilité. En effet il n’y a pas de signe plus caractéristique et plus manifeste des disciples du Christ que l’humble estime de soi et l’attitude simple.

De même que le sel matériel donne de la saveur au pain et à tous les aliments, qu’il préserve de la corruption les viandes et ce que l’on veut conserver, et qu’il chasse toute mauvaise odeur, de même faut-il penser de la garde de l’âme, de sa douceur spirituelle et de son admirable efficacité. En effet, elle rend l’homme divinement agréable, d’un charme intérieur et extérieur, elle chasse la mauvaise odeur des vilaines pensées, et nous maintient et nous conserve dans le bien.

1, 86. Beaucoup de pensées nous viennent par suggestion, et elles sont causes des actions extérieures mauvaises. Mais celui qui est avec Jésus étouffe les premières, met les autres en fuite et s’enrichit de la douce connaissance des choses divines, par quoi il trouve Dieu qui est partout. Par lui le miroir de notre âme, qui le reflète, est constamment éclairé, semblable au pur cristal qui reflète le soleil, et alors l’âme est en repos, atteignant le dernier de ses désirs et détachée de toute autre vision.

1,88. Plus vous aurez veillé attentivement sur vos pensées, plus vous prierez Jésus avec ardeur. Et au contraire, plus vous aurez examiné vos pensées avec négligence, plus vous vous éloignerez de Jésus. Et de même que la vigilance dont nous avons parlé illumine admirablement l’atmosphère de nos pensées, ainsi l’abandon de la tempérance et de la douce invocation de Jésus équivaut aux complètes ténèbres.

1,98. De même que celui qui est nu et sans, armes ne peut lutter, ou que celui qui est habillé ne peut nager dans l’immensité de la mer, ou qu’on ne peut vivre sans respirer, ainsi il est impossible que, sans être humble et sans prier le Christ constamment, nous nous formions au combat intérieur et caché, et que nous soyons habiles à repousser les mauvaises pensées et à les détruire.

1, 99 Que le nom de Jésus soit comme soudé à votre souffle et à votre vie entière : alors vous connaîtrez le bienfait de la paix.

1, 100. Lorsque, malgré notre indignité, nous sommes admis à participer avec tremblement aux divins et purs mystères du Christ, notre Dieu et notre grand et terrible roi, alors nous devons montrer encore plus de tempérance, de vigilance sur notre âme et d’exactitude, afin que le feu divin, c’est-à-dire le corps de notre Seigneur Jésus-Christ, consume nos péchés et nos souillures, grandes et petites. Car lorsqu’il vient en nous, il chasse aussitôt de notre cœur les néfastes esprits du mal, il nous pardonne les péchés que nous avons admis, et il laisse notre âme délivrée du trouble des mauvaises pensées. Et si, dans la suite, gardant avec soin notre âme, nous nous tenons comme au seuil de notre cœur, le corps divin, quand nous le recevrons à nouveau, illuminera de plus en plus notre âme et la rendra brillante comme une étoile.



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