Tertullien

Tertullien : La prison préférable au monde.

Aux martyrs
mercredi 2 juillet 2008.
 
Textes ascétiques des Pères de l’Église

Aux martyrs, 197.

C. 2. Ne soyez pas fâchés d’être séparés du monde. Si vous considérez que le monde est une véritable prison, vous comprendrez que vous-mêmes êtes plutôt sortis de prison que vous n’y êtes entrés. Le monde est couvert de plus épaisses ténèbres, qui aveuglent l’esprit des hommes. Le monde porte des chaînes bien plus pesantes, qui accablent les âmes mêmes des hommes. Le monde respire les odeurs bien plus insupportables : les débauches des hommes. Enfin le monde renferme un plus grand nombre de criminels, je veux dire tout le genre humain. Et puis ce n’est pas d’un proconsul, mais de Dieu que le monde attend le jugement. Dès lors, heureux frères, considérez-vous comme étant passés d’une prison à un asile. Votre prison est ténébreuse ; mais vous-mêmes êtes lumière. Vous êtes chargés d’entraves ; mais vous êtes libres en Dieu. Vous respirez un air infect ; mais vous êtes une odeur de suavité. Vous attendez le juge ; mais vous jugerez à la fin vos juges mêmes. Que ceux-là donc s’abandonnent au chagrin, qui soupirent après les délices du siècle. Même quand il n’est pas en prison, un chrétien a renoncé au siècle ; incarcéré, il doit renoncer à ce qui adoucirait sa prison. Où que vous soyez dans le monde, peu importe : vous avez déjà abandonné le monde ; et si vous avez perdu quelques plaisirs de la vie, c’est un heureux trafic que de perdre peu pour acquérir beaucoup. Et pourtant je n’ai rien dit encore de la récompense que Dieu promet aux martyrs.

En attendant poursuivons la comparaison du séjour du monde et de la prison, et voyons si l’âme ne gagne pas plus dans celle-ci que le corps n’y perd. Disons mieux : le corps n’y perd rien ; il y trouve le nécessaire par la vigilance de l’Eglise et par la charité des frères, en même temps que l’âme y trouve tout ce qui est utile à entretenir sa foi. Là du moins vous ne voyez pas les idoles des faux dieux ; vous ne rencontrez point leurs images ; vous n’êtes point obligés d’assister aux fêtes des gentils ; vous n’êtes point empoisonnés d’odeurs sacrilèges ; vous n’avez pas la tête rompue par les clameurs des jeux ; vous n’êtes pas témoins de la furieuse cruauté des gladiateurs ou des gestes impudiques des comédiens. Vos yeux ne tombent pas sur ces endroits consacrés à la débauche ; vous êtes à couvert des scandales, des tentations, des pensées mauvaises, enfin de la persécution même. La prison offre au chrétien cela même que le désert offrait aux prophètes. Jésus-Christ cherchait souvent la solitude pour prier plus librement et pour se dérober au monde. C’est aussi dans un lieu solitaire qu’il manifesta sa gloire à ses disciples.

Ne donnons donc plus le nom de prison au lieu où vous êtes ; appelons-le une retraite. Quoique votre corps y soit enfermé, et votre chair captive, votre âme y est libre. Par l’esprit vous pouvez en sortir, prendre le large, en vous représentant non de sombres allées ou de longs portiques, mais le chemin qui mène à Dieu. Toutes les fois qu’en esprit vous parcourrez ce chemin, vous serez hors de prison. Le corps ne sent pas le poids des chaînes quand l’âme est au ciel.



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