SCIVIAS

Hildegarde de Bingen : Extraits sur l’intelligence

Livres I et II
jeudi 3 juin 2010.
 
SCIVIAS

Et au milieu de ces éléments est un globe sablonneux, d’une grande étendue, que les éléments entourent ; de telle sorte qu’il ne peut se porter dans un sens ou dans l’autre : ce qui montre manifestement, dans la puissance des créatures de Dieu, l’homme objet des profondes considérations (de la Trinité sainte), fait du limon de la terre, d’une manière admirable, en vue d’une grande gloire ; et tellement environné de la vertu des créatures, qu’il ne peut être nullement séparé d’elles ; parce que les éléments du monde, créés pour le service de l’homme, sont à son usage ; tandis que l’homme, assis au milieu d’eux, les domine par une disposition divine ; comme le dit David inspiré par moi : Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, et vous l’avez établi roi sur les ouvrages de vos mains. Ce qui veut dire : O Dieu, qui avez fait admirablement toutes choses, vous avez couronné l’homme de la couronne d’or de l’intelligence ; et vous l’avez revêtu du vêtement superbe de la beauté visible ; en le plaçant ainsi, comme un prince, au-dessus de vos ouvrages parfaits, que vous avez disposés avec justice et bonté, parmi vos créatures. Car vous avez octroyé à l’homme des dignités plus grandes et plus admirables qu’aux autres créatures.

Un certain Seigneur qui avait beaucoup de serviteurs, donna à chacun d’eux plusieurs armes de guerre en leur disant : Soyez probes et forts, et renoncez à la paresse et à la lâcheté. Mais comme ces serviteurs faisaient route avec lui, ils virent le long du chemin un méchant séducteur, inventeur d’un art étrange ; et quelques-uns d’entr’eux trompés dirent : Nous voulons connaître les artifices de cet homme. Et quittant les armes qu’ils avaient, ils coururent vers lui. D’aucuns leur disaient : Que faites-vous en suivant ce séducteur, et en provoquant votre maître à la colère ? Et eux répondirent : Qu’est-ce que cela peut faire à notre maître ? Et leur maître leur dit, O mauvais serviteurs, pourquoi avez-vous abandonné les armes que je vous avais données ? Et pourquoi vous est-il plus cher d’aimer cette vanité, que de me servir, moi votre maître, dont vous êtes les serviteurs naturels ? Suivez donc ce séducteur, comme vous le désirez, puisque vous n’avez plus le courage de me servir, et vous verrez à quoi vous serviront ses mensonges ; et il les éloigna de lui. Que signifie cette parabole ? Ce Seigneur, c’est le Dieu tout puissant, qui soumet tous les peuples à son autorité, qui arma tout homme de raison et d’intelligence, lui commandant d’être courageux et vigilant avec les armes des vertus, en secouant la malice et la négligence. Mais, tandis que les hommes prennent la voie de la vérité, se disposant à persévérer dans l’observation des commandements divins : il leur vient de nombreuses tentations, de telle sorte qu’ils ont égard à Satan, le séducteur de l’univers, et l’artisan pervers de nombreuses victoires, non dans la voie de la vérité, mais au milieu des embûches et des mensonges. D’où il résulte, que quelques-uns d’entr’eux, plus amoureux de l’injustice que du devoir, séduits par le démon, s’efforcent davantage d’imiter les vices de l’antique séducteur, que d’embrasser les vertus divines. Et l’intelligence qu’ils devraient appliquer aux commandements de Dieu, ils la font servir à la satisfaction des vices de l’iniquité terrestre, et se soumettent à Satan. Leurs directeurs, qui sont comme leurs compagnons et leurs commensaux, viennent souvent à leur secours avec les saintes Ecritures, leur reprochant leurs actes ; et ils les blâment de ce que, suivant les tromperies de Satan, ils attirent sur eux la vengeance céleste. Mais ils se moquent de leurs avis, et affirment dans leur orgueil qu’ils pèchent en de petites choses, dont Dieu n’est nullement offensé. Et comme ils persévèrent dans cette obstination, ils subissent la divine sentence, parce qu’il est objecté à ces esclaves de l’iniquité, le pourquoi ils ont obscurci leur intelligence, qui leur a été donnée d’en-haut, et le pourquoi ils ont accepté les mensonges de l’antique séducteur, et méprisé leur Créateur qu’ils devaient servir avec courage. Ainsi eux-mêmes, tombés dans le mépris de Dieu, sont livrés aux illusions de Satan, selon leurs oeuvres (parce qu’ils n’ont pas voulu servir Dieu) ; ce en quoi ils sont forcés de considérer, que la séduction perverse ne leur a été d’aucune utilité ; puisqu’ainsi rejetés, ils encourent la damnation ; parce que, délaissant les préceptes divins, ils se sont efforcés de suivre Satan, de préférence à Dieu. Car je ne veux pas que les hommes me méprisent, eux qui doivent me connaître par la foi ; parce que s’ils me rejettent, pour suivre la créature qui les sert, imitant en cela l’antique serpent : alors moi je

Car tu es malheureuse. Tu ignores, en effet, si ton oeuvre est bonne ou mauvaise. Où aboutiras-tu enfin ? Et qui te conservera ? Et quelles sont ces erreurs qui te conduisent à la folie ? Accompliras-tu ce qui te donne du plaisir ; fuiras-tu ce qui nuit à ton essor ? Oh ! que feras-tu ? car tu le sais et tu l’ignores. Ce qui te délecte, en effet, ne t’est pas permis ; et ce qui te déplaît, tu dois l’accomplir, en vertu du précepte divin. Et comment sais-tu, qu’il en est ainsi ? Il vaudrait mieux pour toi, ne pas être ! - Et après que ces tourbillons (troubles) s’étaient élevés en moi, je commençais de suivre une autre voie qui est dure à ma chair, parce que c’est la voie, de la justice. Mais, de nouveau le doute s’élève en moi, et j’ignore si c’est par la grâce du St-Esprit, ou non ; et je dis : Cela est inutile ! Et ensuite, je veux voler au dessus des nues. De quelle manière ? Je veux m’élever au dessus de mon intelligence, et entreprendre ce que je ne puis achever. Mais lorsque je tente de le faire, une grande tristesse s’empare de moi, de telle sorte que je n’accomplis aucune oeuvre, ni dans les hauteurs de la sainteté, ni dans le terre-plein de la bonne volonté, mais j’éprouve en moi l’inquiétude du doute, du désespoir, de la tristesse, de l’oppression de toutes choses. Et lorsque la persuasion diabolique me trouble de la sorte. Oh ! quelle calamité m’écrase alors ! parce que tous les maux qui sont ou peuvent être, dans le blâme, dans la malédiction, dans la mortification du corps et de l’âme, dans les paroles impures contre la chasteté, le salut, et la grandeur de Dieu tout cela est la cause de mon infélicité.

Mais d’où vient le mal que causent ces erreurs ? De ceci, à savoir : L’antique serpent, en effet, possède en lui la ruse, la fourberie, et le venin mortel de l’iniquité. Dans son astuce, il me suggère l’obstination du péché, en détournant mon intelligence de la crainte du Seigneur ; de telle sorte que je ne crains pas de pécher, en me disant : Qui est Dieu ? Je ne sais qui est Dieu ! Et dans sa trompeuse fourberie, il me suggère l’entêtement ; de telle sorte que je m’obstine dans le péché. Mais par ce poison mortel de l’iniquité, il me prive de toute joie spirituelle, de telle sorte que je ne puis me réjouir en Dieu ; et j’éprouve l’étreinte du désespoir, car je doute si je puis être sauvée ou non. Oh ! quels sont ces tabernacles (de chair) qui supportent tant de périls, par la fourberie de Satan ? Mais lorsque, par la grâce de Dieu, je me souviens de ce qu’il a fait ; alors, au milieu de ces oppressions, je réponds ainsi à ces persuasions diaboliques : Moi, je ne le céderai pas à la chair fragile ; mais je lui livrerai des guerres redoutables. Comment ? Puisque le tabernacle (de ma chair) veut accomplir des oeuvres injustes, je me défendrai, en réprimant mes moelles, mon sang et ma chair dans la sagesse de la patience, comme se défend le lion redoutable, ou le serpent, qui pour éviter la mort se renferme dans son antre. Car je ne dois pas me laisser atteindre par les flèches de Satan, ni exercer la volonté de la chair. Comment ?

Mais l’homme a en lui trois sentiers (manière d’être). Qu’est-ce cela ? L’âme, le corps et le sens ; et c’est par eux que la vie s’exerce. Comment ? L’Ame vivifie le corps et entretient la pensée, le corps attire l’âme et manifeste la pensée (ou le sentiment) ; mais les sens touchent l’âme et flattent le corps. Car l’âme donne la vie au corps, comme le feu fait pénétrer la lumière dans les ténèbres, au moyen de deux forces principales qu’elle possède, l’intelligence et la volonté, qui sont comme ses deux bras ; non que l’âme ait deux bras pour se mouvoir, mais parce qu’elle se manifeste par ces deux forces, comme le soleil par sa splendeur.

C’est pourquoi, ô homme, toi que n’alourdit pas le poids de la chair, apporte ton attention à la science des Ecritures. L’intelligence est fixée à l’âme comme le bras au corps. Car, de même que le bras auquel est unie la main avec les doigts, s’étend en avant du corps : ainsi l’intelligence avec la coopération des autres forces de l’esprit, par lesquels elle comprend tous les actes humains, procède de l’âme ; car plus que les autres facultés, elle comprend tout ce qui est dans les actes humains, soit en bien soit en mal ; de telle sorte que par cet (intellect) comme par un maître, l’homme saisit tout ce qu’il est (susceptible) de comprendre ; parce que, de cette manière l’âme discerne toutes choses, comme le froment est expurgé de tout mélange ; en recherchant ce qui est utile ou inutile, aimable ou détestable, ce qui est un principe de vie ou de mort.

De même que la nourriture sans le sel est fade, ainsi les autres facultés de l’âme sont insipides et sans clairvoyance, étant privées d’intelligence. Mais celle-ci, qui est dans l’âme comme l’épaule dans le corps et la moelle dans le cerveau, comprend en Dieu la divinité et l’humanité : elle est comme la jointure du bras ; et lorsque la foi guide ses actes, c’est l’inflexion de la main, qui dans son discernement, distingue comme par ses doigts, les diverses oeuvres ; car l’intelligence n’agit pas comme les autres facultés de l’âme. Que signifie cela ?

La volonté en effet active l’oeuvre, l’esprit la reçoit, et la raison la produit ; mais l’intelligence comprend l’oeuvre et en montre le bien ou le mal ; comme les anges, qui aiment le bien et détestent le mal, ont l’intelligence.

Et de même que le corps renferme le coeur, ainsi l’âme possède l’intelligence, qui exerce sa vertu dans une partie de l’âme, comme la volonté dans une autre. Comment ? La volonté en effet est la grande force de l’âme. Comment ? L’âme réside dans un angle de la maison, c’est-à-dire dans le firmament du coeur, comme un homme qui, se trouvant dans un coin de sa maison, d’où il peut l’apercevoir toute, la dirige, levant son bras droit, pour signifier et montrer tout ce qui est utile à sa maison, en se tournant vers l’Orient.

La volonté est semblable au feu qui cuit chaque chose comme dans une fournaise. Le pain est cuit par lui, afin que les hommes soient réconfortés, en se nourrissant, et que, de la sorte, ils vivent. Ainsi la volonté est la force, le soutien de tout l’ouvrage ; parce que c’est elle qui faiblit dans la déception, et fermente dans la puissance, comme elle broie dans la rudesse ; et ainsi, préparant son oeuvre, comme le pain, avec prudence : elle le cuit dans la plénitude de son ardeur, pour la perfection ; et de cette manière, elle donne aux hommes une nourriture plus substantielle, dans l’oeuvre (qu’il accomplit), que dans le pain (qu’il mange) ; car l’homme s’arrête parfois de prendre la nourriture, mais l’oeuvre de la volonté dure en lui, jusqu’à la séparation de l’âme d’avec le corps ; et malgré la diversité de son labeur, dans l’enfance, la jeunesse, l’âge mûr et la décrépitude : c’est toujours par la volonté qu’il agit et démontre sa perfection. Mais la volonté a, dans l’intime de l’homme, un tabernacle : c’est l’âme, que l’intelligence et la volonté elle-même, ainsi que chaque faculté de l’âme, alimentent de leur vertu ; toutes ces facultés entretiennent leur flamme dans le même tabernacle, et s’unissent l’une à l’autre. Comment ? Si la colère s’éveille, le fiel s’enfle ; et envoyant sa fumée dans le tabernacle, il irrite la colère. Si une honteuse délectation surgit, l’incendie de la volupté s’allume dans l’oeuvre qui lui est propre, l’impétuosité, qui est la caractéristique du péché, se donne libre cours ; et se confond avec elle dans le même tabernacle. Mais il est une autre douce jouissance produite dans ce tabernacle, par le saint Esprit ; l’âme s’y complaisant, la reçoit avec fidélité ; et accomplit au moyen des célestes désirs, l’oeuvre salutaire. Il y a aussi une certaine tristesse, de laquelle, dans le même tabernacle, provenant des humeurs qui environnent le fiel, naît la torpeur, l’indignation, l’endurcissement et l’opiniâtreté qui dépriment l’âme ; si elle n’est soustraite à ce mal, par le secours de la grâce de Dieu. Mais comme des éléments divers etcontraires se rencontrent dans ce tabernacle, fréquemment, il est agité par la haine et les autres passions mortelles, qui tuent l’âme, et préparent de grandes ruines pour sa perdition. Or, lorsque la volonté le veut, elle met en mouvement tous les moyens d’action de son tabernacle ; et dans son ardeur, les abandonne, soit pour le bien, soit pour le mal. Que si ces moyens plaisent à la volonté, c’est là qu’elle fait cuire sa nourriture, et qu’elle la propose à l’homme, pour qu’il la goûte. Et dans le même tabernacle une troupe nombreuse pour le bien et le mal se lève ; comme une armée rassemblée (pour le combat), en quelque lieu. Mais lorsque le général de cette armée survient, si les troupes lui plaisent, il les prend sous ses ordres ; si elles lui déplaisent, il les disperse : ainsi fait la volonté.

Comment ? Si le bien ou le mal surgissent dans son sein, la volonté l’accomplit ou le néglige. Mais, dans l’intelligence et la volonté, la raison se montre comme l’expression de l’âme, laquelle achève toute oeuvre, soit de Dieu, soit de l’homme. Car le son porte haut la parole, comme le vent soulève l’aigle, pour qu’il puisse voler ; c’est ainsi que l’âme envoie le son, qui provient de la raison, pour qu’il soit entendu et compris des hommes ; afin qu’ils saisissent sa portée, et que chaque oeuvre soit menée à sa perfection. Mais le corps est le tabernacle et le soutien de toutes les facultés de l’âme parce que l’âme habitant dans le corps, opère avec lui, et le corps avec elle, dans le bien comme dans le mal.

Mais l’âme dans le corps, est comme la sève dans l’arbre ; et ses facultés sont comme les rameaux de l’arbre. Comment ? L’intelligence est dans l’âme, comme la verdeur des rameaux et des feuilles ; la volonté, comme les fleurs ; l’esprit, comme le premier fruit qui sort de lui ; la raison, comme le fruit parfait qui vient à sa maturité ; les sens, comme l’extension de sa grandeur. Et c’est de cette manière, que le corps de l’homme est fortifié et soutenu par l’âme.

C’est pourquoi, ô homme, comprends ce que tu es par ton âme, toi qui renonces à ton intelligence et qui veux être comparé aux animaux.

surgisse devant toi. Ton père veut en effet que tu cries, que tu pleures, que tu demandes du secours ; pour que tu ne restes pas dans les souillures du péché. Mais, si tu as reçu une blessure, demande le médecin, de peur que tu ne meures. Est-ce que Dieu n’a pas envoyé souvent des calamités aux hommes, afin d’être invoqué plus attentivement par eux ? Mais toi, ô homme, tu dis Je ne puis accomplir les bonnes oeuvres. - Et moi je dis : Tu le peux. Tu demandes : Comment ? - Je réponds : Par l’intelligence et la raison. Tu dis : Je n’en ai pas le désir en moi. - Je réponds : Apprends à combattre contre toi. - Et tu dis : Je ne puis combattre contre moi, si Dieu ne m’aide pas ! - Ecoute donc comment tu combattras contre toi : Quand le mal surgit en toi, sans que tu saches comment te défaire de lui : touché par ma grâce (car dans les voies de ton regard intérieur ma grâce te touche), crie, prie, avoue et pleure ; afin que Dieu vienne à ton secours, qu’il éloigne de toi le mal et te donne des forces pour le bien : Tu possèdes ce don, en vertu de la science qui te fait comprendre Dieu, par l’inspiration du Saint-Esprit. Si tu étais l’ouvrier de quelque homme, toutes les fois qu’il t’importerait de faire ce qui répugne à ton corps, est-ce que tu ne supporterais pas laborieusement bien des choses, pour une récompense terrestre ? Et pourquoi ne sers-tu pas Dieu, pour une récompense éternelle ? Dieu qui t’a donné le corps et l’âme !... Si tu voulais posséder un bien temporel, comme tu travaillerais pour l’avoir, au moins quelque temps ! Maintenant tu te dégoûtes de chercher celui qui n’a pas de fin. Comme le boeuf marche sous l’aiguillon, ainsi tu dois entraîner ton corps par la crainte du Seigneur, parce que si tu le fais, Dieu ne t’abandonnera pas. Si un tyran faisait peser sur toi son joug, tu te retournerais aussitôt vers celui qui pourrait te porter secours, tu le supplierais, tu l’invoquerais, et tu lui promettrais tes richesses, s’il voulait te secourir. Fais de même, ô homme, lorsque l’iniquité t’environne : te retournant vers Dieu, supplie-le, prie-le, et promets-lui ton amendement ; et Dieu t’aidera. Mais toi, ô homme, tu es aveugle pour voir, sourd pour entendre, insensé pour te défendre, puisque l’intelligence que Dieu t’a communiquée, et les cinq sens de ton corps qu’il t’a donnés, tu les considères comme vanité et néant. Est-ce que tu n’as ni intelligence, ni science ? Le royaume de Dieu peut être acheté, non acquis en riant.

Et ceux qui sont dans la première légion ont comme des ailes sur leurs poitrines ; et montrent des faces pareilles à celles des hommes, dans lesquelles les visages humains apparaissent comme à travers l’eau pure : ces anges sont les désirs qui proviennent de la profondeur de son intelligence. Ils étendent comme des ailes ; non qu’ils aient des ailes comme les oiseaux, mais parce qu’ils accomplissent rapidement, dans leurs désirs, la volonté de Dieu ; comme l’homme, dans ses pensées, vole rapidement. Ils manifestent en soi, et par leurs physionomies, la beauté de la raison, où Dieu scrute attentivement les oeuvres des hommes ; parce que, comme le serviteur qui entend les paroles de son maître, les accomplit selon sa volonté ; ainsi ces anges, considèrent la volonté de Dieu dans les hommes ; et lui montrent en eux-mêmes leurs actes. Ceux qui sont dans l’autre légion, ont aussi comme des ailes sur leurs poitrines, et montrent des faces semblables à celles des hommes, dans lesquelles l’image du Fils de l’homme resplendit, comme dans un miroir : Ce sont les archanges qui contemplent la volonté de Dieu, dans les désirs de leur intelligence, et manifestent en eux la beauté de la raison : ils louent d’une manière très pure le Verbe incarné, parce que connaissant les secrets divins, ils ont annoncé fréquemment, par avance, les mystères de l’incarnation du Fils de Dieu. Mais dans les uns comme dans les autres, tu ne peux distinguer une autre forme, parce que dans les anges comme dans les archanges, il y a beaucoup de mystères cachés, que l’intelligence humaine embarrassée d’un corps mortel, ne peut saisir.

Et moi ; sans connaître les lettres, à la manière des forts, n’ayant pas été instruite par leur enseignement, mais malgré ma débilité, (frêle côte d’Adam), étant toute pénétrée du souffle mystique : j’ai vu comme un feu resplendissant, incompréhensible, inextinguible, plein de vie, et toute vie, dont la flamme était couleur d’air, et brûlait ardemment sous un souffle léger ; et cette flamme était aussi inséparablement unie au foyer lucide, que le sont les entrailles au corps humain. Et je vis que cette flamme fulminante, s’embrasa ; et voici qu’une forme aérienne, obscure et sphérique, d’une grande étendue, surgit soudain, sur laquelle la flamme elle-même darda ses rayons, faisant jaillir des étincelles de la forme sphérique, jusqu’à ce que l’air devenu parfaitement (limpide), le ciel et la terre resplendirent d’une pleine clarté. Ensuite, la même flamme étendit sa chaleur et sa lumière vers une petite glèbe d’une terre limoneuse gisant au fond de l’air, pour la réchauffer, de manière qu’elle forma la chair et le sang ; et elle lui donna le souffle (le mouvement),de telle sorte qu’elle reçut son être complet par une âme vivante. Cela fait, ce feu lucide, par cette même flamme brûlant ardemment sous un souffle léger, donna à l’homme lui-même une fleur très blanche, suspendue à la flamme comme la rosée à la plante, dont l’homme apprécia l’odeur de ses narines, sans la goûter de ses lèvres, ni daigner l’effleurer de ses mains, se détournant ainsi pour tomber dans les ténèbres épaisses dont il ne put se relever. Mais ces ténèbres dans cet air augmentèrent, en s’étendant de plus en plus. Alors trois grandes étoiles, égales par la splendeur, apparurent dans ces ténèbres ; et après elles, de multiples étoiles grandes ou petites, brillantes d’une grande clarté ; et ensuite une très grande étoile, d’un merveilleux éclat dirigeant sa lumière vers la dite flamme. Mais, sur la terre, apparut aussi une lueur semblable à l’aurore, à laquelle une flamme plus éclatante fut infusée d’une manière merveilleuse, sans être toutefois séparée du dit feu lucide ; mais une plus grande vertu fut communiquée à cette lueur d’aurore. Et comme je voulais considérer diligemment l’accroissement de cette vertu (volonté), un sceau fut posé mystérieusement devant cette vision, et j’entendis une voix d’en haut qui me dit : Tu ne pourras contempler rien autre chose de ce mystère, que ce qui t’est concédé par un miracle de foi. Et je vis, de cette même lueur d’aurore, sortir une forme humaine splendide, qui répandit sa clarté vers les dites ténèbres, et fut reflétée par elles ; et, changée en pourpre de sang et en blancheur d’aube, pénétra les ténèbres d’une vertu si grande, que cet homme qui gisait en elles, apparaissant par la vertu de cette attraction, resplendit, et qu’ainsi redressé, il s’éleva. Et ainsi l’homme splendide, qui sortit de l’aurore, apparaissant dans une telle clarté que la langue humaine ne peut l’exprimer, monta vers une si haute gloire, qu’il rayonnait magnifiquement dans la plénitude de l’abondance et de la joie. Et j’entendis, de ce dit feu vivant, une voix qui me dit : Toi qui es une terre fragile et sous un nom de femme ignorante dans toute doctrine des maîtres charnels, pour comprendre les lettres selon l’intelligence des littérateurs ; toi qui es seulement effleurée par ma lumière qui t’éclaire intérieurement comme un embrasement lorsque le soleil brille, crie, raconte, et écris ces choses mystérieuses que tu vois et entends dans une vision mystique. Ne sois pas timide, mais dis ce que tu comprends en esprit, comme je le dis par toi ; tant que seront retentis par la honte ceux qui devraient montrer à mon peuple la voie de la justice ; mais qui, à cause de la perversité de leurs mœurs, refusent de dire la vérité qu’ils connaissent ; ne voulant pas s’abstenir des mauvais désirs, qui adhèrent tellement à leur chair, qu’ils en sont presque dominés, ce qui leur fait éviter la face de Dieu, et rougir de dire la vérité.

Cela fait, ce feu lucide donna, par cette flamme qui brûle ardemment sous un léger souffle, à l’homme lui-même, une fleur très blanche suspendue à cette flamme, comme la rosée sur la mousse ; parce qu’Adam étant créé, le Père qui est la lumière très pure, donna par son Verbe en vertu du St-Esprit, à Adam lui-même, un doux précepte d’une obéissance facile, adhérant au Verbe lui-même par la douce rosée de la féconde vertu, parce que parle Verbe lui-même, une suave émanation de sainteté procéda du Père dans le St-Esprit, portant des fruits nombreux et magnifiques, comme la pure rosée qui descend sur le grain le féconde, pour qu’il produise des germes nombreux. L’homme en vérité sentit le parfum (de cette fleur) de ses narines, mais ne la goûta pas de ses lèvres, et ne pénétra pas ses mœurs ; parce que lui-même effleura, comme par ses narines, le précepte de la loi, avec l’intelligence de la sagesse ; mais il n’en goûta pas parfaitement la force de perfection intime, en l’introduisant dans sa bouche ; et il ne la remplit pas par I’œuvre de ses mains, dans la plénitude de la vie bienheureuse, se détournant de cette manière, pour tomber dans d’épaisses ténèbres desquelles il ne put se relever ; parce que, à l’instigation du démon, il désobéit au précepte divin, pour tomber dans les abîmes de la mort ; et qu’il ne voulut pas rechercher Dieu dans la foi et dans les actes.

Mais que tu ne puisses distinguer aucun de ses vêtements, cela signifie, que l’intelligence humaine obscurcie par l’infirmité de sa nature fragile, ne peut comprendre parfaitement ses mystères ; si ce n’est que resplendissante d’une merveilleuse clarté, elle est environnée de lumière, parce que le vrai soleil, par la claire inspiration du St-Esprit et le digne ornement des vertus, la pénètre de toute part.

Que si toi, ô homme, tu m’abandonnes après le baptême, et tu retournes vers le démon, tu seras condamné par un juste jugement ; car je t’ai communiqué le don magnifique de l’intelligence, et j’ai déployé pour toi ma miséricorde dans la fontaine du baptême. Car tous ceux qui cherchent ma miséricorde dans le baptême, la découvrent sans peine, à cause de mon Fils qui est venu dans le monde et qui a supporté de nombreux labeurs dans son corps ; et c’est pourquoi, ô homme, tu dois supporter patiemment les combats de l’âme et du corps ; et, à cause de mon Fils, je te recevrai ; car nul ne doit être repoussé de la purification du baptême, parmi ceux qui le recherchent fidèlement, en mon nom ; parce que, quel que soit le temps ou l’homme me recherche, je le reçois avec amour. Que si ses œuvres sont dans la suite mauvaises, elles le jugent elles-mêmes pour la mort. C’est pourquoi, ô homme, plonge-toi dans la régénération du Sauveur, et oins-toi de l’onction de sainteté ; fuis la mort, et imite la vie. Car la mère des fidèles, qui est l’Eglise, pour que ses fils évitent la mort et trouvent la vie, prie fidèlement pour eux. Comment ? Elle a une voix suppliante à l’égard de ses fils ; et elle la gardera, jusqu’à ce que la plénitude de ses fils soit rentrée dans le tabernacle de la cité d’en haut. Et elle possède cette voix, pour m’avertir, moi qui suis avant les siècles, de voir et considérer toujours que mon Fils unique s’est incarné, afin que je pardonne pour son amour, à ses fils qu’elle a elle-même recueillis dans la régénération de l’esprit et de l’eau ; parce qu’ils ne peuvent entrer dans le royaume ,céleste, si ce n’est par la porte du salut. C’est pourquoi elle parle ainsi : Craignez le Père ! Aimez le Fils ! et embrasez-vous dans le St-Esprit ! Comment ? Cette voix lui a été donnée de moi Père, par mon Fils, dans le St-Esprit ; et c’est une voix qui résonne comme la trompette dans la cité. Et elle ne parle pas d’une autre manière envers ses fils. Et de cette manière le Dieu très fort est averti par son Fils, de pardonner aux hommes pécheurs, qui doivent être tolérés, en vue de la pénitence, sans encourir la perdition ; parce que le Fils de Dieu lui-même a revêtu l’humanité sans péché. Il ne pouvait revêtir la chair souillée, qui est conçue de la semence du péché ; parce que Dieu est juste, et la splendeur du royaume céleste ne peut être souillée de la boue du péché. Et comment pouvait-il se faire que l’homme qui s’est déshonoré par son abjection, rentr‚t dans le royaume d’en haut, si ce n’est par mon Fils incarné sans péché, qui reçoit les pécheurs purifiés par la pénitence ? Et qui pourrait accomplir ce prodige si ce n’est Dieu ? Aussi l’Eglise se retourne vers ses fils et les favorise de sa maternelle dilection.

Mais que, sous la même splendeur ou lui-même brille comme l’aurore, tu voies apparaître, entre le ciel et la terre, d’épaisses ténèbres, qui sont si horribles que la langue humaine ne peut l’exprimer ; cela signifie que, sous la gloire virginale, entre l’intelligence spirituelle et charnelle, la chute du premier père, qui le plongeait dans les ténèbres épaisses de l’infidélité, de telle sorte que nul ne pût expliquer son erreur, fût ouvertement connue. Comment ? Parce que dans l’incarnation du Fils de Dieu, né d’une vierge, le désir des choses célestes s’accrut, et la concupiscence terrestre fut bannie, car la prévarication d’Adam fut effacée merveilleusement, dans la rédemption, par le sang du même Fils de Dieu, lorsque nul autre que le Fils unique de Dieu, envoyé dans le monde par le père, ne pouvait l’effacer, pour donner (à l’homme) son entrée dans le ciel. C’est pourquoi, comme tu le comprends par cette manifestation typique, si le même Fils de Dieu n’avait pas versé son sang pour le salut des hommes, cette transgression (de la loi divine) comprimerait à ce point l’homme, qu’il ne pourrait jamais arriver à la gloire des citoyens célestes.

Que signifient ces paroles ? Par l’intention d’un acte juste et bon, j’entrerai, ô mon Dieu, dans la constitution de ta grâce très sainte, en abandonnant, dans un désir ardent, le lit de ma volupté ; de telle sorte qu’il n’y aura rien de plus doux pour moi que d’aspirer vers toi, le Créateur de toutes choses. Et, pour cela, je t’offrirai les vœux que profèreront mes lèvres avec mon âme ; car je veux accomplir ce que je t’ai promis dans un ardent désir et un esprit de justice, c’est-à-dire, diriger vers toi mes actes, car j’ai transgressé follement ta loi. Mais, maintenant, par ton secours, je veux éviter le mal et faire le bien ; car la raison et l’intelligence qui luisent en moi, aspirent davantage vers toi, ô Dieu vivant, par une vie de pénitence, qu’à l’imitation du démon, par la folie de la contradiction à tes lois.



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