Origène

La lampe du corps

Homélies sur saint Luc
vendredi 21 septembre 2007.
 

Fr. 78 - Lc, 11, 34

Voici ce que me semble signifier la phrase : « La lampe du corps est l’oeil. » Pour l’âme tout entière, pour l’homme tout entier, l’intelligence est la faculté de vision. Afin que nous prenions soin d’elle, Jésus ajoute : « Que vos lampes soient allumées » ; nous allumons pour ainsi dire la lampe qui est en nous en prenant soin de notre faculté de compréhension. Dans le même sens il dit : « Personne n’allume une lampe pour la placer dans la cachette, mais pour la mettre sur le chandelier » ; on allume une lampe en se préoccupant de sagesse et de raison, en s’exerçant à comprendre les réalités divines, pour devenir parfait ; la perfection ne s’obtient en effet qu’en exerçant les sens divins et intelligibles, ce que Paul exprimait clairement par ces mots : « Aux parfaits convient la nourriture solide, à ceux qui par l’habitude ont les sens exercés au discernement du bien et du mal. » On peut leur révéler la sagesse dont on parle aux parfaits, selon ces paroles de l’Apôtre : « Nous parlons de la sagesse parmi les parfaits. » L’oeil désigne très exactement l’intelligence qui est en nous : c’est en elle que se trouve chez l’homme vertueux le principe de sa simplicité, car il n’a en soi ni duplicité, ni ruse, ni brisure, ni division, ni séparation, mais, pour l’homme mauvais, elle est le principe de la perversité et de toute sorte de fautes.

Ne pourrait-on pas, comme on l’a fait pour « l’oeil », donner « au corps » une signification allégorique et voir en lui l’âme tout entière, bien qu’elle ne soit pas corporelle, car Dieu a placé l’intelligence dans l’âme de l’homme. Ou bien le corps désignerait le reste de l’homme, en dehors de l’intelligence, c’est-à-dire le composé formé du reste de l’âme et du corps. Car l’âme tout entière est vraiment éclairée par l’intelligence et l’on pourrait dire que le corps se ressent de la simplicité de l’intelligence, quand il est mû par elle, ou de sa perversité, quand elle se sert de lui comme instrument de péché. Rien d’étonnant à voir allégoriquement l’âme dans le corps, à propos de la phrase : « L’oeil est la lampe du corps », bien que l’âme soit de nature invisible et incorporelle, puisqu’elle a été créée à l’image du Dieu invisible : en effet les facultés de l’âme sont désignées allégoriquement par les mêmes noms que les membres du corps, alors qu’elles ne sont pas corporelles. Dans la phrase : « Eclaire mes yeux », il ne s’agit pas des yeux corporels ; dans cette autre : « Il m’a donné une oreille », il n’est pas question de corps, et non plus lorsqu’il est dit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » Dans le Cantique, les membres du corps de l’Epouse, qu’il s’agisse de l’âme humaine en communion avec l’Epoux, le Christ, ou de l’Église, sont loués l’un après l’autre par l’Epoux : ses cheveux, ses dents, ses lèvres, sa joue, son cou, ses seins ; si on les rapporte à l’âme, il faut les entendre de ses facultés. « Que mon pied ne heurte point » doit s’interpréter de la faculté qu’a l’âme d’aller d’objet en objet. En réfléchissant, on peut trouver dans les Écritures beaucoup de passages semblables et ils permettent de comprendre sans se tromper dans quel sens le corps est désigné par la phrase : « La lampe du corps est l’oeil », et par les textes analogues. Les Proverbes promettent une « sensibilité divine », distinguée de celle qui n’est pas divine. La sensibilité qui n’est pas divine nous est commune avec les animaux sans raison, qui jouissent de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat et du toucher ; quant aux sens divins, tous les hommes n’y participent pas, il faut, pour cela, faire ce qui est requis pour « trouver une sensibilité divine ». Il n’y a donc rien d’étonnant, puisque les noms des parties du corps sont rapportés aux puissances de l’âme, à voir le mot corps pris pour l’âme tout entière dans le texte « la lampe du corps est l’oeil ». Nous ne voulons pas dire par là qu’il faille partout allégoriser l’appellation de corps : car nous savons qu’elle s’applique aussi à d’autres réalités. Ainsi : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps » et : « Vous êtes le Corps du Christ. »

Fr. 79 - Lc, 11, 34

Voici à mon avis le sens de l’expression qui vient ensuite : « Puisque ton corps est devenu lumineux », éclairé que tu es par la lampe du corps, il n’y a plus rien en toi d’obscur, parce que tu ne pèches plus. La façon dont le corps est tout entier lumineux permet de comparer ses rayons à une lampe au milieu de la clarté qui rayonne : même si elle éclaire, elle ne détruit pas les ténèbres. En effet, l’illumination qui vient de l’intelligence ressemble à une clarté très brillante ; quant à la lumière qui luit dans le corps - il est ténèbres par nature - elle est semblable à la lampe placée au milieu de la clarté qui rayonne quand le corps est conduit où l’intelligence le veut. Si donc chez les êtres ignorants et incultes l’esprit, qui est par nature lumière, se trouve être ténèbres, certainement leur corps tout entier - il faut entendre par là la partie passible de l’âme, c’est-à-dire l’irascible et le concupiscible - sera encore bien plus ténèbres.



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