Les œuvres de Ruysbroeck

Ruysbroeck : L’âme est...

Trad. de l’Abbaye de Saint Paul de Wisques.
mardi 10 mars 2015.
 

LE MIROIR DU SALUT ÉTERNEL.

Toute la substance que le Christ avait reçue de la Vierge Marie, sa mère, c’est-à-dire sa nature humaine, fut donnée par lui. Et il se livra ainsi tout entier et indivisé de deux manières, son corps sous l’espèce du pain et son sang sous l’espèce du vin, demeurant cependant tout entier et sans partage sous chacune des deux espèces. Car son corps est l’appui de son sang et son sang est l’appui vital de son corps ; l’âme est la vie des deux, et ces trois éléments réunis forment une seule vie indivisée, qui est le Christ, vie qu’il a donnée à ses disciples et qu’il nous a laissée dans le Sacrement. De même, en effet, qu’à la consécration toutes les hosties, aux mains de tous les prêtres, sont toutes, sans division, une seule substance et une même nature de pain, de même, après la consécration, elles sont l’unique substance du corps de Notre-Seigneur. qu’on ne peut diviser. Il faut en dire autant du vin que l’on consacre en son sang. CHAPITRE VII

À cette clarté ne peuvent servir ni raison ni sens, ni considération ni distinction : tout cela doit rester en dessous ; car la clarté sans mesure aveugle les yeux de la raison et les oblige à céder à la lumière incompréhensible. Mais au-dessus de la raison, au plus profond de l’intelligence, l’œil simple est toujours ouvert, il contemple et fixe la lumière d’un regard pur, éclairé de la lumière même, œil contre œil, miroir contre miroir, image contre image. Ce triple procédé nous rend semblables à Dieu et nous unit à lui ; car la vue, pour notre œil simple, est un miroir vivant que Dieu a fait pour son image et où il l’a imprimée. Son image, c’est sa divine clarté dont il a rempli tout le miroir de notre âme, pour que nulle autre clarté ni image n’y pût entrer. Mais la clarté n’est pas intermédiaire entre nous et Dieu ; elle est cela même que nous voyons et la lumière qui nous le fait voir, mais non pas notre œil qui voit. Car bien que l’image de Dieu soit sans intermédiaire sur le miroir de notre âme et lui soit unie, cependant l’image n’est pas le miroir et Dieu ne devient pas créature. Mais l’union de l’image au miroir est si grande et si noble que l’âme est appelée l’image de Dieu. CHAPITRE XVII ++++

LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL

De plus chaque ais a une mesure et demie de largeur. Par là nous apprenons que chaque détermination libre ressemble à cela, en ce sens que le libre arbitre embrasse l’âme et le corps comme une mesure entière et une demi-mesure, pour servir Dieu par leur intermédiaire. L’âme est la mesure entière, car elle possède une activité parfaite en elle-même, qui consiste dans l’amour et dans la connaissance. Néanmoins elle a besoin de la demi-mesure, car si elle n’était pas unie au corps, elle ne pourrait pas mériter. Pourtant le corps n’est qu’une demi-mesure, car aucune activité corporelle, sans l’opération de l’esprit, ne peut atteindre Dieu, ni mériter la béatitude, et c’est pourquoi l’âme et le corps constituent un seul homme, pour que la nature corporelle de l’homme avec toutes ses activités puisse recevoir noblesse, liberté et immortalité, par la noblesse, liberté et immortalité de la nature spirituelle, avec laquelle elle est une seule personne et un seul homme. Voilà comme chaque ais, qui représente la détermination libre, doit avoir une mesure et demie de largeur, sans quoi il ne s’adapterait pas au tabernacle. CHAPITRE XV ++++

LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES

L’œil simple de l’âme, transformé en l’unité, qui, au-dessus de la raison et en dehors d’elle, est élevé à une vue simple et pure, contemple toujours la face du Père, comme le font les Anges qui nous servent ; car l’œil simple de l’âme n’a rien d’autre devant soi que cette image qui est Dieu lui-même. Là il voit Dieu et toutes choses, en tant qu’elles sont unes avec Dieu, en une simple vue ; et cela lui suffit, et c’est ce qui s’appelle contemplatio, c’est-à-dire regarder Dieu d’une façon simple. C’est de cette façon que la puissance intellectuelle de l’âme est comme un miroir vivant, où Dieu habite avec sa grâce ; et elle a reçu de lui son Esprit de vérité et sous l’influence de sa lumière l’œil de la raison est éclairé, de façon. à pouvoir connaître en formes, en images et en ressemblances Dieu et toutes les créatures, autant que Dieu le veut montrer. Ce même Esprit commande à la raison ainsi éclairée de régir et d’ordonner la vie des sens, selon la loi de Dieu, et selon les préceptes de la sainte Église, dans la charité et dans la vraie discrétion. CHAPITRE XII

Cependant il faut remarquer que le néant en lui-même n’est ni bon ni mauvais, ni heureux ni malheureux, ni pauvre ni riche, ni Dieu ni créature. Pourtant ces gens dans leur folie disent que l’essence de l’âme est le néant, et que l’essence de Dieu est ce néant même des âmes arrivées au repos : cela est faux, et contre la foi. Car Dieu est tout en tout, l’être éternel, tout-puissant, infini et incréé, auteur de toutes les créatures : c’est ce que témoigne aux yeux de l’intelligence et confesse en maintes façons tout ce qu’il a créé. Il vit par sa grâce dans les puissances de notre âme, et nous ordonne d’opérer des œuvres de salut éternel, puisqu’il est lui-même une opération éternelle. C’est par ces bonnes œuvres d’éternité que nous lui ressemblons et demeurons toujours avec lui, croissant et progressant en des grâces toujours plus abondantes. Au-dessus de la grâce et des bonnes œuvres il vit encore par lui-même dans la propre essence de l’âme : c’est là que nous lui sommes unis et que nous sommes élevés dans la vie sainte et bienheureuse. Mais entre cette union avec Dieu au-dessus de nous et la ressemblance avec lui au-dedans de nous-mêmes, il nous faut placer l’intermédiaire des œuvres bénies qui attirent sa complaisance, et qu’il nous a commandées et conseillées : nous ne pouvons autrement atteindre l’union avec Dieu, devenir saints ni bienheureux. CHAPITRE XXII

Puis vient le troisième mode qui découle du premier fleuve de la grâce, nous conduit à Dieu et nous unit à lui. Ce mode peut mieux être appelé sans mode que mode. Il débute lorsque l’âme raisonnable a épuisé toutes ses forces et tout son pouvoir dans l’amour. Là commence l’amour sans mode ; au-dessus de l’amour ordonné, l’entendement pur et dépouillé ; au-dessus des vertus, la vertu foncière ; au-dessus des pratiques de vertu, l’inaction ; au-dessus de tout mode l’être sans mode ; au-dessus des pratiques intérieures raisonnables la vie contemplative. Car dans la révélation de Dieu, où Dieu se montre lui-même, la raison de l’âme est comme l’œil de la chauve-souris, qui devient aveugle à la clarté du soleil. Là commence l’esprit aimant, vraie vie de l’âme, qui sans cesse adhère à Dieu par amour. Il ressemble à l’aigle plein de noblesse, qui sans broncher contemple et fixe la clarté du soleil ; et c’est ce que fait l’œil simple et clair de l’esprit aimant, qui reçoit l’éclat de la clarté de Dieu, au-dessus de la raison et sans intermédiaire. Le Père céleste dit alors à l’esprit aimant « Ouvre ton œil simple et contemple qui je suis : l’être, la vie, la sagesse, la vérité, la béatitude éternelle, l’amour sans fin. Je t’affranchis, demeure avec moi ; perds-toi en moi, ainsi pourras-tu te trouver en moi, et moi en toi, avec tous les esprits aimants élevés comme toi et unis à moi. Sois libre en toi-même et liberté en moi ; sois bienheureux en toi et béatitude en moi. Je te donne une claire et simple connaissance de moi-même en toi ; et une ignorance sans fond et impénétrable de moi-même, c’est là ce que je te donne. Perds-toi et trépasse de toi-même en toi ; sois sans distinction une simple béatitude avec moi. » CHAPITRE LIII ++++

L’ORNEMENT DES NOCES SPIRITUELLES

Cette richesse et hauteur incompréhensibles et la disposition de Dieu à se répandre universellement ravissent l’homme d’admiration ; et ce qu’il admire particulièrement, c’est le fait de cette effusion universelle sur toutes choses. Il voit, en effet, comment l’essence divine incompréhensible est la jouissance commune de Dieu et de tous les saints. Il contemple les divines personnes se donnant largement à tous, répandant les grâces ou les biens de la gloire, d’une façon naturelle et surnaturelle, dans toutes les conditions et dans tous les temps, chez les saints et chez tous les hommes, au ciel et sur la terre, en toutes les créatures raisonnables ou non, douées de raison ou matérielles, d’après la dignité, l’utilité et la capacité de chacun. Il voit encore comment le ciel et la terre, le soleil et la lune, les quatre éléments, avec toutes les créatures et le cours des astres ont été créés communs à tous. Dieu est pour tous avec tous ses dons ; les Anges se donnent à tous ; l’âme est commune à toutes ses puissances, au corps entier, à tous les membres, et tout entière à chacun d’entre eux ; car elle ne peut être divisée, sinon par la pensée. Les puissances tant supérieures qu’inférieures, l’esprit et l’âme peuvent bien être distingués en raison ; néanmoins c’est un tout dans la nature. Ainsi Dieu est tout entier et en particulier à chacun, et cependant il est commun à toutes les créatures ; car toutes choses sont par lui, et c’est en lui et à lui que sont attachés le ciel et la terre et toute la nature. Livre II - LA VIE INTÉRIEURE CHAPITRE XXXVIII

Il faut savoir donc que l’essence de l’âme est pour Dieu, d’une façon semblable, un royaume spirituel, rempli d’une clarté divine qui dépasse toutes nos puissances, sauf dans le mode où elles deviennent simples, ce dont je veux me taire pour le moment . Voyez, au-dessous de l’essence de l’âme où Dieu règne, se tient l’unité de notre esprit, semblable au premier mobile, puisque c’est en cette unité que l’esprit est mû d’en haut par la puissance divine, naturellement et surnaturellement ; car nous n’avons rien de nous-mêmes, ni dans la nature, ni au-dessus de la nature. Or cette motion de Dieu, en tant que surnaturelle, est la cause première et principale de toutes les vertus ; et chez certains hommes éclairés cette même motion fait briller les sept dons du Saint-Esprit, comme sept planètes qui éclairent et fécondent toute leur vie . Livre II - LA VIE INTÉRIEURE CHAPITRE L



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