La voie rationnelle

Matgioi (VR) - Le Tao

CHAPITRE III - Le Tao
samedi 7 janvier 2023.
 
MATGIOI. La Voie rationnelle. Paris : Éditions Traditionnelles, 1941

La voie, qui est une voie, n’est pas la Voie. Le nom, qui a un nom, n’est pas un Nom. Sans nom, c’est l’origine du ciel et de la terre ; avec un nom, c’est la mère des Dix mille êtres. Avec la faculté de non-sentir, on est proche de le concevoir ; avec la faculté de sentir, on atteint sa forme. Cela constitue vraiment deux choses. Apparaissant ensemble, leur nom est facile ; à les expliquer ensemble, leur origine est obscure ; obscure, cette origine continuellement s’obscurcit. C ’est la Porte par où passe l’innumérabilité des êtres.

On ne peut déterminer le Tao, ni en lui donnant un nom ni en lui appliquant une conception intellectuelle de l’humanité. Le fait de croire le Tao déterminé dans son esprit (tant, du moins, qu’on n’a pas reçu et scruté et digéré en soi la doctrine) est une preuve qu’on ne le comprend pas, et qu’on ne peut le suivre : tel est le sens profond de l’entrevue entre Laotseu et Kongtseu, que nous avons relatée plus haut.

Quand le Tao n’a point de nom, c’est-à-dire quand, au point de vue de la stase humaine, il n’existe pas, alors il est vraiment lui-même, c’est-à-dire l’origine unique et puissante du Ciel et de la Terre (ou des deux perfections : Ciel, perfection active, Terre, perfection passive). Cette origine est unique, puisque le ciel et la terre ne sont point séparés par le don de l ’existence ; cette origine est puissante, puisque rien ne peut ne pas sortir d’elle ; cette origine est obscure, puisque rien n’est encore sorti d’elle ; il faut ajouter que la toute-puissance de l’origine n’est qu’autant qu’elle n’est pas encore manifestée, car elle est alors toute-puissante de produire Tout, et dans le moment de la Conception de l’Idée, elle produit Rien ; et on ne pourra plus dire cela quand elle aura commencé à produire.

Elle commence à produire quand elle a un nom, quel qu’il soit, qui lui puisse convenir, et elle produit Tout ; mais elle est la Mère, c’est-à-dire que la conséquence de la Volonté du Ciel a féminisé la Puissance. Dès lors, elle Est et elle n’Est pas.

Toutefois, ces vérités ne sont pas compréhensibles à la nature sensible de l’homme ; il ne saurait commencer à les concevoir que s ’il a la faculté de ne pas sentir, c’est-à-dire s’il a perdu la forme qui lui donna la sensibilité ; dès lors, il ne conçoit pas ces vérités, mais il devient d’une réceptivité adéquate à leur conception. Au contraire, si l’homme conserve la faculté de sentir, il n’atteint plus à la possibilité de la conception, mais il atteint la réalité de la compréhension extérieure, c’est-à-dire qu’il comprend les formes dans lesquelles s’écoulent les intentions de la Volonté du Ciel. Cela est bien, sans doute, mais par cela même qu’il perçoit les formes, il lui est interdit de concevoir l’Idée unique que revêtent ces formes multiples.

Cependant, la volonté du Ciel et ses effets sont une seule et même chose, et elles nous apparaissent deux choses, parce que nous ne les voyons que par des reflets [Ceux qui confondent ces deux reflets avec l’Idée unique, et qui en font deux Idées égales, sont précisément ceux que, en Occident, on appelle les Manichéens.], qui sont deux reflets visibles et intelligibles d’une Chose unique, invisible et inconcevable... De ces deux reflets apparaissant ensemble, le nom est facile, car on donne un nom à chacun d’eux, et ainsi l’esprit de l’homme se complaît dans la dualité et la diversité ; mais, de ces deux reflets, expliqués parallèlement, l’origine est obscure, parce qu’elle est unique ; et, à mesure qu’on cherche à l’expliquer, et qu’on la recouvre de caractères et d’appréciations, elle s’éloigne et devient de plus en plus obscure. Mais on peut dire que l’origine est la porte par où passe l’Universalité de ce qui Est.

VOIR : Wieger (Dao:1) - Le Dao ; Duyvendak (Dao:1) - La Voie vraiment Voie...


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