Jean Climaque

L’Échelle sainte - extraits sur la chair (I)

La chair
samedi 2 décembre 2006.
 

1. Celui qui aime Dieu de tout son coeur, qui désire ardemment le royaume des cieux, qui travaille avec courage à se purifier des fautes qu’il a faites et à se corriger des mauvaises habitudes qu’il a contractées, qui ne perd jamais de vue le jugement dernier et les supplices éternels, qui nourrit dans son âme la pensée et la crainte de la mort, n’a plus ni amour ni inclination pour l’argent et les richesses, pour ses parents et pour la gloire du monde, pour ses frères et ses amis, enfin pour toutes les choses fragiles et périssables ; il en a chassé de son coeur tout sentiment, toute attache et tout souci ; il hait même sa propre chair, et, dans l’état d’une nudité parfaite, il s’étudie à suivre le Christ avec une indicible ardeur ; il ne soupire qu’après le bonheur du ciel, et c’est de Dieu seul qu’il attend tous les secours nécessaires pour y arriver. Il dit avec David : "Mon âme n’est attachée qu’à toi seul, ô mon Dieu" (Ps 62), et avec un illustre prophète : "Je ne me suis point fatigué en te suivant, Seigneur ; et je n’ai pas recherché les jugements des hommes,ni leurs consolations (Jer 17,16)." 55 L’Échelle Sainte : DEUXIÈME DEGRÉ

19. En cela, comme en toute chose, c’est le Seigneur que nous écoutons, et dont nous suivons les traces ; car nous savons qu’il a Lui-même plusieurs fois abandonné ses parents selon la chair. En effet quelqu’un l’ayant un jour averti que sa mère et ses frères Le cherchaient, ce divin Maître, pour nous faire voir qu’il est des occasions où nous devons fuir saintement nos parents, lui fit cette admirable réponse : "Ma mère et mes frères sont ceux qui accomplissent la Volonté de mon Père qui est dans les cieux (Mt 12,49). 103 L’Échelle Sainte : TROISIÈME DEGRÉ

20. Reconnaissez vraiment pour père celui qui peut et qui veut vous décharger du poids énorme de vos péchés ; et pour mère, la componction du coeur, capable de vous purifier de vos souillures ; pour frères, ceux qui peuvent vous aider à obtenir les dons célestes, et travailler et combattre avec vous ; pour épouse, qui vous soit indissolublement unie, la pensée constante de la mort ; pour enfants uniquement chéris, les gémissements du coeur ; pour esclaves, vos sens et votre chair ; et pour amis, les légions célestes, lesquelles vous rendront d’autant plus de service à l’heure de votre mort, que pendant votre vie vous aurez plus pris de soin d’être et de vous conserver dans leur amitié. Telle est la sainte parenté de ceux qui cherchent sincèrement le Seigneur (cf. Ps 23,6). 104 L’Échelle Sainte : TROISIÈME DEGRÉ

21. Que le désir du ciel fait facilement et promptement disparaître les affections charnelles qu’on avait pour ses proches ! Il est donc grossièrement dans l’erreur celui qui s’imagine pouvoir en même temps aimer ses parents selon la chair et aimer le ciel selon Dieu, puisque notre divin Sauveur lui fait entendre cette sentence qui le condamne : "Personne ne peut servir deux maîtres." (Mt 6,24). 105 L’Échelle Sainte : TROISIÈME DEGRÉ

32. Comme il est impossible que d’un oeil nous regardions le ciel, et que nous fixions l’autre en même temps sur la terre, de même il est impossible que celui qui ne se retirant pas du milieu de ses proches et de toutes les personnes qui lui sont chères selon la chair, par une séparation parfaite et d’esprit et de corps, ne s’expose pas au danger évident d’une perte éternelle. 116 L’Échelle Sainte : TROISIÈME DEGRÉ

4. Cependant, il faut l’avouer, les commencements de cette mortification, ou plutôt de cette mort religieuse par laquelle il faut crucifier la volonté du coeur, les sens de la chair, sont accompagnés de beaucoup de travaux et de peines ; les progrès qu’on fait dans l’obéissance, sont encore suivis de quelques sueurs et de quelques difficultés ; mais enfin on se trouve délivré heureusement de toute sensation pénible et douloureuse, et l’on entre dans une paix et une tranquillité parfaites : car la seule peine qu’éprouve cet heureux homme d’obéissance, mort et vivant tout à la fois, c’est de connaître qu’il a suivi sa volonté en quelque chose : alors il craint d’avoir à répondre à Dieu de la détermination qu’il a prise de lui-même. 144 L’Échelle Sainte : QUATRIÈME DEGRÉ

63. Le démon ne cesse de tenter de mille manières différentes ceux qui font profession d’obéissance : tantôt il cherche à troubler et à salir leur imagination par des pensées et des images impures, afin de faire révolter la chair contre l’esprit ; tantôt il remplit leurs coeurs de peines, de chagrins et de tristesse ; ici il les pousse à l’emportement et à la mauvaise humeur, et cherche toutes les voies capables de paralyser leur volonté et de rendre leur vertu stérile et vaine ; là il les porte à l’intempérance dans les repas, à la négligence dans la prière, à la mollesse dans le sommeil ; enfin il enveloppe leur intelligence dans des nuages et des ténèbres épaisses, afin qu’en les fatiguant de la sorte, il leur mette dans l’idée et leur fasse croire que c’est inutile pour eux de pratiquer l’obéissance, qu’ils ne tirent aucun avantage spirituel des efforts et des sacrifices qu’ils font, qu’au lieu d’avancer dans la perfection, ils marchent en arrière. C’est ainsi que peu à peu il les décourage et les dégoûte des saintes occupations commandées par l’obéissance, et leur fait misérablement abandonner le champ de bataille ; souvent même il ne leur laisse pas le temps de voir et de reconnaître que Dieu, pour fournir à ses serviteurs une occasion favorable de pratiquer d’une manière plus parfaite l’humilité et il obéissance, permet que le trésor de leurs vertus leur soit soustrait ; mais ici c’est un effet de la Bonté de Dieu, il nous le rendra, ce trésor, plus riche et plus précieux. 247 L’Échelle Sainte : QUATRIÈME DEGRÉ

19. Si vous passiez ailleurs, vous en entendiez d’autres se communiquer leurs craintes et leurs espérances, et se dire : "Pensez-vous que nous ayons fait quelques progrès dans notre pénitence ? Obtiendrons-nous enfin l’objet de nos voeux et de nos désirs ? Dieu écoute-t-Il à présent nos prières ? Croyez-vous qu’Il nous ouvre le sein de ses Miséricordes et de sa Tendresse" ? À toutes ces questions d’autres répondaient : "Qui sait si, comme nos frères les habitants de Ninive, nous ne pouvons pas dire que Dieu révoquera la sentence terrible qu’il a prononcée contre nous, et qu’il nous délivrera des châtiments rigoureux que nous avons mérités ? Ah ! pour obtenir cette faveur insigne, redoublons de zèle et de courage, accomplissons exactement notre pénitence. Quel bonheur pour nous, s’il nous ouvre la porte de sa Tendresse ! Et s’il ne nous l’ouvre pas encore, ne laissons pas de louer et de bénir son saint Nom, car sa Conduite à notre égard est toujours juste et pleine d’équité, et de persévérer jusqu’à la fin de notre vie à frapper à la porte de son Coeur par nos gémissements et nos larmes. Cette constante importunité et cette persévérance Lui feront peut-être violence, et nous obtiendront ce que nous cherchons avec ardeur. C’était ainsi qu’ils s’encourageaient les uns les autres. "Courons, s’écriaient-ils avec un saint enthousiasme ; courons, ô nos chers Frères, car nous avons besoin de courir, et de courir de toutes nos forces : hélas, nous avons perdu la céleste compagnie dans laquelle nous coulions des jours si doux et si agréables, nous nous sommes égarés ! Courons donc ; oui, courons, et n’épargnons pas une chair de péché et de corruption ; matons, immolons généreusement nos corps : ils ont donné la mort à nos âmes." 365 L’Échelle Sainte : CINQUIÈME DEGRÉ

11. Voyons-nous que notre chair, par la chaleur de l’âge, ou par la force de notre constitution, veut se porter aux plaisirs des sens ? ne cessons de la châtier et de la mater en tout temps et en tout lieu par les rigueurs salutaires de la mortification ; et ne nous relâchons pas de ces saintes austérités, que nous ne soyons fondés à croire par des preuves certaines et indubitables que nous avons eu le bonheur d’éteindre en nous les flammes impures de la concupiscence. Or je ne crois pas que nous y parvenions avant la mort. 718 L’Échelle Sainte : QUATORZIÈME DEGRÉ

12. J’ai vu de misérables prêtres, d’un âge très avancé, qui s’étaient laissés tromper par le démon, au point que se trouvant à table avec des personnes bien moins âgées qu’eux et sur lesquelles ils n’avaient aucune autorité, les engageaient, par des invitations pressantes et par des sollicitations diaboliques, à se livrer à la boisson et à l’intempérance. Or, s’il nous arrivait par hasard de nous trouver avec des vieillards qui se conduisissent de cette manière à notre égard, voici la conduite que nous devrions tenir : Si ces personnes jouissent à juste titre de la réputation de vertu et de piété, répondons à l’honnêteté qu’elles nous font, avec une modération pleine de reconnaissance ; si, au contraire, ces personnes ne sont connues que par une conduite et une vertu fort douteuses, et que nous nous trouvions nous-mêmes dans des circonstances dans lesquelles nous soyons obligés de soutenir de rudes combats contre les révoltes de la chair, gardons-nous bien d’écouter ces funestes invitations ; et fuyons avec horreur une occasion si dangereuse. 719 L’Échelle Sainte : QUATORZIÈME DEGRÉ

16. Il est une espèce d’abstinence qui convient à ceux qui ont conservé leur innocence, et il en est une autre qui regarde ceux qui l’ont perdue, et qui par les salutaires rigueurs de la pénitence cherchent à la recouvrer ; car les personnes qui ont heureusement gardé leur innocence, se mortifient selon qu’elles voient qu’elles en ont besoin pour résister aux mouvements de la concupiscence ; au lieu que celles qui sont tombées dans des fautes mortelles, doivent jusqu’à la fin de leur vie, sans relâche et sans adoucissement, faire souffrir une chair qui leur a fait perdre le trésor des trésors, afin de pouvoir le retrouver. Ainsi les premiers se proposent dans leur mortification de conserver l’heureux état de justice et de sainteté, et les derniers font tous leurs efforts pour se rendre Dieu propice par leur pénitence et par leurs larmes. 722 L’Échelle Sainte : QUATORZIÈME DEGRÉ

Or dis-nous, infâme et cruelle maîtresse du genre humain, toi qui, pour nous rendre tes esclaves, nous a malheureusement achetés avec de l’or, par le désir insatiable de manger, dis-nous donc par quelles voies tu as pu arriver jusqu’à nous ; dis-nous ce que tu nous as donné et fait depuis que tu as fixé ta cruelle demeure en nous ; apprends-nous toi-même qu’elles sont les moyens efficaces que nous devons employer pour te chasser et nous délivrer de la servitude. Irritée par ces questions fatigantes, enflammée de fureur et frémissant de rage, elle va nous faire entendre, malgré elle, les réponses suivantes : "Pourquoi me chargez-vous d’injures et de reproches ? oubliez-vous que vous êtes mes esclaves ? comment vous est-il même venu en pensée que vous puissiez vous séparer de moi ? Ignorez-vous que c’est la nature elle-même qui vous a enchaînés et qui vous retient sous mon esclavage ? Vous voulez savoir comment je me suis rendue maître de vous ? et bien je vous le dirai : C’est par la quantité de la nourriture plus ou moins délicieuse que vous prenez l’habitude d’user de cette nourriture a produit en vous cette insatiable avidité que vous éprouvez, et cette habitude, accompagnée de l’endurcissement du coeur et de l’oubli de la mort, me conserve et me fait demeurer au milieu de vous. Vous voulez encore connaître les noms et le nombre des enfants auxquels j’ai donné le jour ? mais si je vous les nommais tous, les grains de sable qui sont sur la terre seraient à peine suffisants pour les compter. Écoutez seulement quels sont ceux que j’ai mis les premiers au monde et pour lesquels je conserve une affection particulière : l’aiguillon de la chair est mon premier-né et mon premier ministre ; le second, est l’endurcissement du coeur ; le troisième, est l’amour du repos ; après ceux-ci viennent le déluge des pensées impures, le principe de toutes les corruptions et de toutes les souillures spirituelles, et un abîme d’infamies secrètes et exécrables. Mes filles sont la paresse, la démangeaison de parler, l’audacieuse présomption, la plaisanterie, la bouffonnerie, la contradiction, l’opiniâtreté, la stupeur du coeur, la captivité de l’esprit, l’insolente ostentation et l’inclination pour plaire au monde. Ce sont elles qui troublent la ferveur et souillent la sainteté de la prière qui occasionnent des tourbillons dans les pensées, et qui frappent par des accidents subits et des malheurs inattendus ; enfin ce sont elles qui produisent le désespoir, le plus affreux et le plus grand de tous les maux. 746 L’Échelle Sainte : QUATORZIÈME DEGRÉ



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