Bernard de Clairvaux - Extraits de "La considération"

jeudi 11 octobre 2007.
 

Nécessité de la connaissance de soi

Commence par te considérer toi-même. Évite de te disperser vers d’autres sujets en négligeant ta propre personne. A quoi te servirait de gagner le monde entier en étant seul à te perdre ? Quelle que soit l’étendue de ton savoir, il te manquerait toujours, pour atteindre à la plénitude de la sagesse, de te connaître toi-même. Une telle lacune serait-elle vraiment si importante ? Elle serait capitale, à mon avis. Connaîtrais-tu tous les secrets de l’univers, et les contrées les plus lointaines de la terre, et les hauteurs du firmament, et les abîmes marins, si, dans le même temps, tu t’ignorais, tu me ferais penser à un constructeur qui voudrait bâtir sans fondations ; ce n’est pas un édifice qu’il obtiendrait, mais une ruine. Quoi que tu puisses accumuler hors de toi-même, cela ne résistera pas mieux qu’un tas de poussière exposé à tous les vents. Non, il ne mérite pas le nom de savant, celui qui ne l’est pas de soi. Un vrai savant devra d’abord connaître ce qu’il est et boira le premier de l’eau de son propre puits ! Que ta considération commence donc par s’appliquer à toi-même, et qu’elle ne s’en tienne pas là, car c’est par toi aussi quelle doit finir. Quelles que soient les directions de ses écarts, tu la ramèneras à toi avec profit pour ton salut. Tu dois être, de ta propre considération, le premier et le dernier terme.

Prends donc exemple sur le souverain Créateur de toutes choses, qui lance au loin son Verbe dans le même temps qu’il le retient. Ton verbe à toi, c’est ta considération. Si elle se donne carrière, qu’elle ne te quitte pas complètement. Elle doit pouvoir aller de l’avant sans s’en aller, s’éloigner de toi sans déserter. Quand il s’agit de ton salut, tu ne peux avoir de meilleur frère que toi-même. Ne laisse rien entrer dans ta pensée qui soit contraire à ton salut. Que dis-je ! contraire ; c’est étranger qu’il eût fallu dire. Oui, quel que soit le sujet qui se présente à ta considération, refuse de l’accueillir s’il n’a point de rapport avec ton salut.

La considération, II, 6.


Sincérité envers soi-même

Avance donc avec précaution dans cette considération de toi-même. Sois envers toi intransigeant. Évite, lorsqu’il s’agit de toi, l’excès de complaisance et d’indulgence. Tu pécherais par complaisance en t’attribuant des qualités que tu n’as pas ; et, tout autant, en te faisant mérite de celles que tu as. Fais donc soigneusement la part de ce que tu es par toi-même et de ce que tu n’es que par la grâce de Dieu. Qu’il n’y ait surtout dans ton esprit aucune fraude ! Il faut que le partage soit loyal : à toi ce qui est tien ; à Dieu, et sans mauvaise foi, ce qui est à lui. Je crois inutile de te persuader que le mal provient de toi et que le bien est le fait du Seigneur !

Dans le même temps que tu te considéreras tel que tu es, il sera bon que tu fasses un retour en arrière pour te considérer aussi tel que tu as été. Compare le présent et le passé. As-tu fait des progrès dans la voie de la vertu, de la sagesse, de l’intelligence, de la bonté ; ou bien, ce qu’à Dieu ne plaise, y as-tu par hasard rétrogradé ? Es-tu habituellement plus patient qu’autrefois ou plus impérieux, plus irascible ou plus doux, plus arrogant ou plus humble, plus bienveillant ou plus hautain, plus indulgent ou plus intraitable, plus étroit d’esprit ou plus généreux, plus sérieux ou plus dépravé ? Qu’as-tu développé en toi, crainte de Dieu ou hardiesse dangereuse ?

Tu le vois : c’est un vaste champ qui s’ouvre devant toi pour cette considération particulière. Je n’ai énuméré qu’un petit nombre de points ; ce ne sont là que quelques graines. A toi et non à moi de les semer : je les dépose dans ta main.

La considération, 11, 20.



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