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Bernard : Sermon LII - Je dors mais mon cœur veille...

Selection de James Cutsinger
jeudi 3 septembre 2015.
 

3. Disons donc, si nous le pouvons, quel est ce sommeil dont l’Époux désire que dorme sa bien-aimée, et ne veut pas qu’on l’éveille, si elle ne s’éveille d’elle-même, de peur que quelqu’un venant à lui, ne dise ce qu’on lit dans l’Apôtre : " Il est temps de quitter le sommeil (Rom. XIII, 11)), " ou dans le Prophète, " qu’il prie Dieu d’éclairer ses yeux (Psal. XII, 4), " afin qu’il ne s’endorme jamais du sommeil de la mort, il ne soit troublé par quelque équivoque, et ne se fasse pas une juste idée du sommeil de l’Épouse, dont il est parlé en cet endroit. Or, il n’était pas semblable non plus à celui dont le Sauveur parle dans l’Évangile, au sujet de Lazare, quand il dit : " Lazare notre ami dort : allons, réveillons-le de ce sommeil (Joan. XI, II). " Par ces mots, en effet, il entendait la mort du corps, au lieu que les disciples s’imaginaient qu’il parlait d’un véritable sommeil. Le sommeil de l’Épouse n’est point ce sommeil tranquille du corps, qui plonge les sens dans un doux assoupissement, ni ce sommeil horrible qui a ôté entièrement la vie. Il est encore bien plus éloigné de cet autre sommeil, giri fait qu’on s’endort dans la mort, en persévérant dans le péché mortel. Au contraire celui-ci qu’on peut appeler un sommeil de vie et un sommeil vigilant, illumine les sens intérieurs, bannit la mort, et communique une vie immortelle. C’est vraiment un sommeil qui, néanmoins, n’assoupit pas les sens, mais les transporte, et les ravit. Je puis dire même, sans crainte de me tromper, comme disait l’Apôtre pour louer quelques personnes vivant encore de la vie du corps, dit "Vous êtes mortes, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. "

4. Je puis donc, sans aucune absurdité, appeler mort l’extase de l’Épouse, mais n’est une mort qui, bien loin de lui ôter la vie,la délivre au contraire de ses filets, en sorte qu’elle peut dire : " Notre âme s’est sauvée comme un oiseau qui s’échappe du filet des oiseleurs (Psal LXXIII, 7). " Car on marche en cette vie comme au milieu des filets, et l’âme ne les appréhende point, toutes les fois qu’elle est ravie hors d’elle-même, par une juste et sainte pensée, si néanmoins elle s’en retire et s’en sépare de sorte qu’elle aille au-delà de la façon ordinaire de penser. Car, comme dit le Sage : "C’est en vain qu’on jette le filet devant les oiseaux qui ont des ailes pour s’envoler (Prov. I, 17) . " Au fait, comment craindrait-on l’impureté, lorsqu’on ne sent pas seulement la vie. Car lorsque l’âme sort sinon de la vie, du moins des sens de la vie, il est hors de doute qu’elle ne sent point non plus les tentations de la vie. " Qui me donnera des ailes de colombe pour m’envoler et rue reposer (Psal. LIV, 7) ? Plût à Dieu que je mourusse souvent de la sorte, afin que je pusse éviter les filets de la mort, être insensible aux attraits mortels de la volupté, ne point céder aux charmes des plaisirs sensuels, n’être ni brûlé du désir des richesses, ni animé des mouvements de la colère et de l’impatience, ni troublé, ni inquiété, ni rongé par les soucis. Que mon âme meure de la mort des justes, afin qu’elle ne tombe plus dans les filets trompeurs de l’ennemi, et qu’elle ne prenne plus de satisfaction à mal faire. Quelle bonne mort, que celle qui n’ôte pas la vie, mais la change en mieux, qui ne fait pas tomber le corps, mais élève l’âme.

5. Mais ce n’est encore là qu’une mort qui est propre aux hommes. Que. mon âme meure de la mort des anges même, si je puis parler ainsi, afin que, perdant le souvenir des choses présentes, elle se dépouille non seulement de l’amour, mais des biens inférieurs et corporels, et qu’elle ait un commerce pur avec ceux dont elle imite la pureté. C’est dans ce ravissement que consiste seulement ou principalement la contemplation ; car, de n’être point touché, durant cette vie, de l’amour des choses de la vie, c’est l’effet d’une vertu humaine, mais de n’être pas même détourné de la contemplation par les images du corps, c’est le propre d’une pureté angélique, l’un et l’autre pourtant, sont un don de Dieu, l’un et l’autre sont lune extase, l’un et l’autre vous font sortir hors de vous-même ; mais dans l’un vous allez loin de vous, et dans l’autre vous demeura bien près de vous. Heureux celui qui peut dire : " Je me suis éloigné en fuyant, et suis demeuré dans la solitude (Psal. LIX, 8). " C’était peu pour lui de sortir, s’il ne s’en allait bien loin afin de pouvoir se reposer. Vous avez passé les plaisirs de la chair, en sorte que vous n’obéissez point à ses convoitises, et n’êtes plus arrêté par ces attraits ? Vous vous êtes avancé, vous vous êtes séparé, mais vous ne vous êtes pas encore éloigné, si vous n’avez pas assez de force pour vous élever par la pureté de votre esprit, au dessus des fantômes des choses corporelles, qui viennent en foule de toutes parts, se présenter à votre imagination. Jusques là ne vous promettez point de repos. Vous vous trompez, si vous croyez retrouver au dessous de vous le lieu de repos, le secret de la solitude, la sérénité de la lumière, la demeure de la paix. Mais donnez-moi quelqu’un, qui en soit arrivé là, je confesserai aussitôt qu’il est en repos, et qu’il peut dire avec raison : " Mettez-vous en repos, mon âme, puisque le Seigneur vous a fait tant de grâce (Psal. CXIX, 7). " Et ce lieu est vraiment une solitude, vraiment une demeure lumineuse (Lsa. IV, 6) et, pour user des termes du Prophète, une tente qui met à l’abri de la chaleur du jour, et à couvert des tourbillons et des orages. C’est de lui que le Prophète Roi parlait en ces termes : "Il m’a caché, dit-il, dans sa tente, durant les mauvais jours ; il m’a protégé en me retirant dans le lieu le plus secret deson pavillon (Psal . XXXI, 5). "

6. C’est donc dans cette solitude, je crois, que l’Épouse s’est retirée, c’est dans ce lieu si beau qu’elle dort doucement entre les bras de son Époux, c’est-à-dire qu’elle est ravie en esprit, puisqu’on défend aux jeunes filles de la réveiller, jusqu’à ce qu’elle s’éveille d’elle-même.



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