HOMÉLIES SUR LA GENÈSE

Les passions corporelles

vendredi 6 juillet 2007.
 

Au sens allégorique, l’herbe et les fruits de la terre qui sont concédés à l’homme en nourriture, peuvent être interprétés des passions corporelles. Ainsi la colère et la convoitise sont des rejetons du corps. Le fruit de ce rejeton, c’est-à-dire l’accomplissement de l’action (opus) nous est commun, à nous être raisonnables, avec les bêtes de la terre. Car quand nous nous emportons justement, pour corriger un coupable et travailler à son salut, nous nous nourrissons de ce fruit de la terre et notre nourriture est l’emportement corporel qui réprime le péché et répare la justice.

J’ai peut-être l’air de tirer cela de mon propre fonds plutôt que de l’autorité de l’Écriture ; mais reportez-vous au livre des Nombres et rappelez-vous ce que fit le prêtre Phinéès : voyant une courtisane Madianite se livrer aux yeux de tout le monde aux embrassements impurs d’un Israélite, plein du zèle d’une sainte colère il saisit un glaive et les frappa tous deux en pleine poitrine, ce qui lui fut imputé par Dieu à justice, selon la parole du Seigneur : « Phinéès a apaisé ma fureur et cela lui sera imputé à justice. »

Cette nourriture de la colère devient donc notre nourriture terrestre quand nous nous en servons raisonnablement pour la justice.

Mais si la colère est déraisonnable, si elle punit des innocents, si elle bouillonne contre ceux qui n’ont pas failli, elle devient la nourriture des bêtes des champs, des serpents de la terre et des oiseaux du ciel ; car c’est de ces nourritures-là que se nourrissent les démons qui se repaissent de nos mauvaises actions et qui les favorisent. Caïn nous en est un exemple, lui qui, par colère et par jalousie, trompa son frère innocent.

Il faut en dire autant du désir et des passions du même genre. Car quand « notre âme désire et s’épuise en soupirant vers le Dieu vivant », notre nourriture est le désir. Mais si « nous regardons avec désir » une forme étrangère ou si nous convoitons « le bien du prochain », le désir devient une nourriture bestiale. On peut en donner comme exemple la convoitise d’Achab et ce que fit Jézabel pour la vigne de Naboth de Jezrahel.

Il faut bien remarquer la prudence de la Sainte Écriture jusque dans le choix des mots. L’Écriture dit, quand il s’agit des hommes, que Dieu dit : « voici que je vous donne toute semence sur la terre et tout arbre qui est sur la terre : ce sera pour votre nourriture » ; quand il s’agit des bêtes, elle ne dit pas : « voici que je vous donne tout cela pour nourriture », mais se contente de : « ce sera pour votre nourriture ». Par là, selon le sens spirituel que nous avons exposé, il faut comprendre que ces passions qu’il a données à l’homme, Dieu prévoit pourtant qu’elles seront aussi une nourriture pour les bêtes de la terre. C’est donc avec une souveraine prudence que l’Écriture divine emploie ses mots ; pour les hommes, elle rapporte que Dieu dit : « Je vous ai donné cela comme nourriture », mais, quand elle en vient aux bêtes, pour faire comprendre qu’il n’y a pas là qu’un ordre mais en quelque façon une prédiction, elle dit que ce sera aussi une nourriture pour les bêtes, les oiseaux et les serpents.

Et nous, selon la parole de l’Apôtre Paul, « appliquons-nous à la lecture », pour que nous puissions, selon ses propres termes, « recevoir le sens du Christ » et connaître « ce que Dieu nous a donné ». Ce qui nous a été donné comme nourriture, n’en faisons pas une nourriture de « porcs » ou de chiens, mais transformons-le pour nous rendre dignes de recevoir dans l’asile de notre coeur le Verbe et Fils de Dieu qui vient avec son Père et qui veut faire en nous sa demeure dans l’Esprit Saint, dont nous devons être avant tout le temple par notre sainteté. A Lui, la gloire dans l’éternité des siècles et des siècles. Ainsi soit-il.



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