Commentaire sur Saint Jean

Le mal et le non-être

mardi 7 août 2007.
 

XIII. 91. Voyons pourquoi (Jean) a ajouté : « Sans lui rien ne fut. » En effet, il peut paraître à certains superflu d’ajouter « Sans lui rien ne fut » à « Toutes choses furent par lui ». Car, si absolument tout est par le Verbe, rien n’est sans lui. Mais si rien n’est sans le Verbe, il ne s’ensuit pas que tout est par son intermédiaire : car, si rien n’est hors du Verbe, il est possible que non seulement tout soit par son intermédiaire, mais aussi que certaines choses soient (directement) par lui.

92. Il s’agit donc de savoir comment il faut interpréter « toutes choses » et « rien ». Parce qu’on n’a pas défini le sens exact de ces deux termes, on peut admettre que, si toutes choses furent par le Verbe et si le mal, toute la profusion du péché et les vices font partie de toutes choses, ils furent eux aussi par le Verbe. Mais ceci est faux : il n’y a rien d’étonnant à ce que toutes les créatures soient par le Verbe - il faut croire également que les belles actions et les traits de vertu des bienheureux ont été accomplis par le Verbe -, mais (il n’en est) pas (de même) pour les péchés et pour les chutes.

93. C’est pourquoi plusieurs ont supposé que, puisque le mal n’a pas d’existence propre - il n’était pas au commencement et il ne demeurera pas éternellement - ces choses-là sont le « rien ». Et de même que certains Grecs disent que les genres et les espèces, comme être vivant et homme, font partie du « non-être », de même ils ont pensé que tout ce qui n’a reçu sa constitution apparente ni de Dieu ni par son Verbe est « rien ».

94. Voyons s’il est possible de prouver cela de façon très frappante en partant des Écritures. Pour ce qui est de la signification du rien et du non-être, ils paraîtront synonymes, le non-être étant appelé « rien » et le rien « non-être ». Mais l’Apôtre ne semble pas employer l’expression « ce qui n’est pas » pour ce qui n’a jamais existé d’aucune manière, mais pour ce qui est mauvais, en considérant ce qui est vil comme n’étant pas : « Dieu a appelé, dit-il en effet, les choses qui ne sont pas comme si elles étaient. »

95. Et dans le livre d’Esther, d’après la version des Septante, Mardochée appelle les ennemis d’Israël ceux qui ne sont pas en disant : « Ne livre pas ton sceptre, Seigneur, à ceux qui ne sont pas. » On peut encore ajouter cette preuve : si, à cause de leur vice, les méchants sont appelés « ceux qui ne sont pas », cela vient du nom attribué à Dieu dans le livre de l’Exode : « Le Seigneur dit en effet à Moïse : Celui qui est, voilà mon nom ».

96. Pour nous, qui souhaitons faire partie de l’Église, c’est le Dieu bon qui dit cela, lui que le Sauveur honore en disant : « Il n’y a de bon que seul Dieu le Père. » Donc « celui qui est bon » est identique à « celui qui est ». Le mal ou le vice est opposé au bien, le non-être opposé à l’être. D’où il résulte que le mal et le vice sont non-être.

97. C’est peut-être ce motif qui a pousse ceux qui affirment que le diable n’est pas l’œuvre de Dieu : en effet, en tant que diable, il n’est pas l’œuvre de Dieu ; mais, celui à qui il est arrivé d’être diable, puisqu’il a une origine et qu’il n’y a pas de créateur en dehors de notre Dieu, est une créature de Dieu ; tout comme si nous disions que le meurtrier n’est pas œuvre de Dieu, nous ne nierions pas que, en tant qu’il est homme, il a été créé par Dieu1.

98. Car en admettant que, en tant qu’il est homme, il a reçu l’être de Dieu, nous n’admettons pas qu’il l’a reçu de Dieu comme meurtrier. Car tous ceux qui participent de Celui qui est - les saints participent (de lui) - seraient à juste titre appelés « ceux qui sont ». Quant à ceux qui ont repoussé cette participation à Celui qui est, étant privés de Celui qui est, ils sont devenus des « non-êtres ».

99. Nous avons dit plus haut qu’il y a synonymie entre le « non-être » et le « rien » et, pour ce motif, les « non-être » sont « rien », la malice tout entière est « rien », puisqu’elle est aussi « non-être » ; étant appelée « rien », elle est sans le Verbe et n’est pas comptée parmi « toutes choses ». Nous avons donc établi autant que possible quelles sont, d’une part, toutes les choses qui sont par le Verbe et, d’autre part, ce qui fut sans lui, mais qui n’est pas (vraiment) et que, pour ce motif, on appelle « rien ».



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