Discours

La direction des âmes.

mardi 24 juillet 2007.
 

2, 16. Assurément cela me semble être l’art des arts et la science des sciences que de diriger l’homme, cet animal si varié et si changeant. On le comprendra si l’on compare le soin des âmes avec la cure des corps, si, sachant combien la première est difficile, on examine en outre comment la seconde, la nôtre, est encore bien plus difficile, soit par la nature du sujet à traiter, soit par la force de la science à employer, soit par le but qu’il s’agit d’atteindre.

18. Le médecin observera les temps et les lieux, les âges, les circonstances et autres choses semblables ; il prescrira des remèdes et un régime, il prendra des précautions pour que les désirs du malade ne rendent pas son art inutile ; parfois et pour certains il emploiera le feu, le fer et les remèdes les plus pénibles. Mais quelque difficile et dur que cela paraisse, ce n’est encore rien si on le compare à la difficulté de connaître et de soigner les mœurs, les affections, les vies, les désirs, et tout ce qu’il y a de tel en nous, et ayant chassé de nous ce que notre nature comporte d’animal et de sauvage, d’y introduire et d’y établir tout ce qui est doux et cher à Dieu, et d’être un arbitre équitable entre notre corps et notre âme ; de ne pas laisser la partie supérieure être subjuguée par l’inférieure, ce qui serait la pire des injustices, mais de soumettre ce qui est inférieur par nature à ce qui doit commander et gouverner, comme la loi divine l’a très bien établi pour toutes les créatures, tant les visibles que celles qui dépassent les sens.

28. On ne trouve pas la même tournure d’esprit et les mêmes élans chez l’homme et la femme, chez les vieux et les jeunes, chez les riches et les pauvres, les gais et les tristes, les bien portants et les malades, les chefs et les subordonnés, les savants et les ignorants, les audacieux et les timides, les doux et les emportés, chez ceux qui font le bien et ceux qui tombent.

29. Et si encore vous y regardez de près, quel intervalle vous trouvez entre les gens mariés et les célibataires et parmi ces derniers entre ceux qui vivent en ermites et ceux qui sont réunis en communauté , entre ceux qui ont vécu dans un long exercice de la contemplation, et ceux qui mènent simplement une bonne vie ; entre les citadins et les campagnards, les simples et les habiles, ceux qui sont dans les affaires et ceux qui restent en repos, ceux qui ont subi des revers et ceux qui sont dans la prospérité et ignorent le malheur ? Ils sont un chacun plus différents les uns des autres par leurs penchants et leurs inclinations que ne le sont les corps par les traits extérieurs, ou si vous préférez, par les éléments mélangés et confondus dont nous sommes composés. Aussi n’est-il pas facile de les conduire.

30. Mais de même que pour les corps on n’emploie pas les mêmes remèdes ou la même nourriture, mais qu’on les varie des uns aux autres selon que les tempéraments sont vigoureux ou maladifs, de même on soigne les âmes avec des procédés et des méthodes différentes. Ceux-là mêmes qui souffrent sont les témoins de ces cures diverses ; les uns sont touchés par la parole, les autres suivent l’exemple ; pour les uns il faut l’éperon, pour les autres le frein. Les uns sont indolents, difficiles à entraîner au bien, et il faut les stimuler par la parole ; les autres ont l’esprit plus ardent qu’il ne faudrait, leurs élans sont malaisés à contenir, comme de jeunes chevaux de race qui courent loin de la borne, et la parole ne saurait les améliorer qu’en les bridant et les retenant.

31. Pour les uns la louange est bonne, pour d’autres la réprimande, les deux étant employées opportunément ; au contraire elles sont nuisibles si l’on en use à contretemps et hors de propos. L’exhortation redresse les uns, le blâme les autres ; et encore les uns doivent-ils être blâmés publiquement, les autres repris sans témoins. Car il en est qui ne font pas cas des réprimandes privées, mais que les reproches publics assagissent ; et il en est d’autres qui perdent toute retenue si on les reprend trop librement, alors qu’ils obéiraient à un avis discret et qu’ils témoigneraient de la docilité à qui leur montrerait de la sympathie.



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