Éloge du désert

Eucher : Divers éloges du désert.

Textes ascétiques des Pères de l’Église
mercredi 12 novembre 2008.
 
Rouët de Journel, Textes ascétiques des Pères de l’Église. Herder, 1947

3. Je puis dire avec raison que le désert est le temple sans bornes de notre Dieu ; car nous devons admettre que celui qui habite dans le silence doit se complaire dans la retraite. C’est là que souvent il s’est manifesté à ses saints ; c’est à la faveur de la solitude qu’il a daigné converser avec les hommes. C’est dans le désert que Moïse, la face inondée de lumière, aperçoit le Seigneur ; c’est dans le désert qu’Elie se couvre le visage, craignant de contempler le Seigneur.

4. Quelqu’un, dit-on, demandait à un autre quel était, à son avis, le séjour de Dieu ; celui-ci le pria de vouloir bien le suivre au lieu où il le mènerait. Alors il le conduisit dans la profondeur d’un vaste désert, et lui montrant l’immensité de la solitude : Voilà, dit-il, où est Dieu. Et certes, on peut bien croire que le Seigneur habite dans les lieux où on le trouve plus facilement.

7. Là Moïse est admis pour la première fois à converser familièrement avec Dieu ; il échange parole contre parole ; il demande et apprend tout ensemble ce qu’il faut dire et ce qu’il faut faire, et s’entretient avec le Maître du ciel, ainsi que l’homme a l’habitude de s’entretenir avec l’homme. Là il reçoit la verge puissante en prodiges ; et après être venu.au désert pasteur de brebis, il quitte le désert pasteur de peuples.

12. Là encore le même peuple recueillit, sur un sol blanchissant, une nourriture envoyée du ciel, quand le Seigneur fit pleuvoir des nuages un pain miraculeux. La manne, descendant en flocons de neige, tomba dans les tentes et les alentours du camp : c’est là que « l’homme mangea le pain des anges » ( Ps 77, 25 ).

13. N’est-ce pas aussi quand ils habitaient le désert que les Hébreux reçurent la loi et les divins commandements, et méritèrent de contempler de près les caractères que le doigt de Dieu avait imprimés sur les tables ?... Les enfants d’Israël obtinrent donc, pendant qu’ils vivaient dans les solitudes du désert, de ; voir le trône de Dieu et d’entendre sa voix.

16. Faut-il ajouter que les fils d’Israël ne parvinrent à cette terre désirable qu’après avoir séjourné au désert ? Et pour que le même peuple entrât plus tard en possession d’une contrée où : coulait le lait et le miel, il lui fallut d’abord passer par des lieux arides et incultes. C’est toujours par des campements au ; désert que l’on s’achemine vers la véritable patrie. Qu’il habite une terre inhabitable, celui qui veut voir les biens du Seigneur dans la région des vivants ; qu’il soit l’hôte de la première, celui f qui veut devenir le citoyen de la seconde.

21. Et celui qui n’eut pas son rival entre les enfants des femmes, ne vivait-il pas au désert, ne criait-il pas au désert ? C’est au désert qu’il donne le baptême, au désert qu’il prêche la pénitence, au désert qu’il fait mention pour la première fois du royaume des deux. C’est là d’abord qu’il l’annonce à ses auditeurs, là que se hâtent de venir le mériter tous ceux qui aspirent à le posséder. Et c’est à bon droit que ce rude habitant du désert, envoyé comme messager devant la face du Seigneur, fraie les voies au royaume des cieux, étant à la fois précurseur et témoin bien digne d’entendre le Père parler du haut du ciel, de toucher le Fils en le baptisant, et de voir descendre l’Esprit-Saint.

22. Notre Seigneur et Sauveur, aussitôt après son baptême, au rapport de l’Ecriture ( Mt 4, 1 ), est conduit par l’Esprit dans le désert. Quel est donc cet Esprit ? Nul doute que ce ne soit l’Esprit-Saint. Mais si l’Esprit-Saint entraîne au désert, c’est qu’il conseille, c’est qu’il inspire tacitement de s’y rendre, et que le désert est digne d’être conseillé par l’Esprit-Saint. Le Christ donc, baigné dans ce fleuve mystique, estime qu’il doit avant tout s’acheminer vers le désert... Si un Dieu exempt de fautes ambitionne la solitude, combien n’est-elle pas plus nécessaire à l’homme sujet au péché ? Si l’innocent la recherche, combien plus vivement ne doit-elle pas être désirée par le coupable ?

23. Là aussi, loin de la foule bruyante, les ministres silencieux de la puissance divine s’apprêtent à servir le Seigneur ; et placé au désert comme s’il était déjà remonté au ciel, il voit les anges accourir pour lui rendre service. Là il confond cet adversaire antique, qui essayait alors sur lui ses ruses accoutumées : le nouvel Adam terrasse le vainqueur du premier Adam. O l’admirable éloge du désert ! le diable, qui avait vaincu dans le paradis, est vaincu dans le désert.

24. Le désert est encore le lieu où notre Sauveur, avec cinq pains et deux poissons, nourrit, rassasia, satura cinq mille hommes. C’est toujours au désert que Jésus nourrit les siens de pain. Aux siens jadis il avait donné la manne comme un gage de sa divine munificence ; cette fois ils recueillirent les restes.

25. Le Seigneur Jésus s’étant retiré à l’écart sur une haute montagne, c’est alors qu’ayant pris avec lui seulement trois disciples choisis, son visage brilla d’un éclat extraordinaire ; et lui qui se montrait au public sous les dehors de l’humanité, il confia à la solitude la révélation de sa glorieuse majesté. C’est alors, et c’est là que le prince des apôtres dit : « Il est bon pour nous d’être ici » ( Mt 17, 4 ) : sans doute goûtait-il mieux la grandeur du prodige dans i’éloignement du désert.

26. Le même Seigneur Jésus, comme il est écrit, allait dans la solitude et y priait ( cf. Lc 5, 16 ). Que ce lieu soit donc appelé un lieu de prière, puisque, en priant Dieu, un Dieu même nous a montré par son exemple qu’il convenait à la prière, et nous a enseigné comment la prière de l’homme qui s’humilie perce plus aisément les nuages, étant favorisée par le site, parce qu’embellie par la solitude ; et en priant lui-même à l’écart pour demander, il nous a fait voir où il veut que nous allions prier, quand nous avons quelque chose à lui demander.

28. J’appellerai donc à bon droit cette demeure du désert le séjour de la foi, l’arche de la vertu, le sanctuaire de l’amour, le trésor de la piété, le tabernacle de la justice. Car de même que dans une grande maison les objets les plus précieux sont tenus sous clef et gardés à l’écart, ainsi la magnificence des choses saintes cachées au désert et que préservent les obstacles mêmes de la nature, est mise en dépôt et comme sous clef dans cette terre de la solitude, pour ne pas se perdre au contact des hommes.

43. Quelles réunions, quelles assemblées de saints n’ai-je point vues là, bon Jésus !... Tandis qu’ils cherchent la vie bienheureuse, ils l’ont déjà bienheureuse ; tandis qu’ils la poursuivent, déjà ils la possèdent. Ils souhaitent d’être séparés des pécheurs ? Ils en sont déjà séparés. Ils veulent avoir une vie chaste ? Déjà ils l’ont. Ils entendent donner tout leur temps aux louanges de Dieu ? Déjà ils le donnent. Ils désirent jouir de la société des saints ? Ils en jouissent. Ils aspirent à posséder le Christ ? Ils possèdent le Christ en esprit. Ils s’efforcent d’atteindre la vraie vie du désert ? Ils l’atteignent en effet.



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