Hilaire de Poitiers : Moïse

Traité des Mystères
jeudi 9 juin 2011.
 

L’imitation.

L’histoire de Moïse observa l’ordonnance de la préfigure commencée depuis Adam. C’est une chose digne de la miséricorde de Dieu que l’histoire de tous ses patriarches ait imité en quelque mesure la perfection de ce qui devait s’accomplir en Notre Seigneur. Car ce qui s’est accompli par Lui seul et en Lui seul, les types, les époques et les générations en offrent une première ébauche. Et en effet si l’imitation de tant de siècles na pu égaler la vérité qui est en Lui seul, cependant tout a été accompli en eux ou par eux de telle manière que ce qui, par la suite, s’est accompli par Lui et en Lui devait pour ainsi dire expliquer l’imitation qu’en offraient les événements présentement racontés.

Naissance et sauvetage de Moïse.

Moïse, né en un temps où Pharaon avait ordonné de tuer tous les nouveaux nés du sexe masculin, flottant sur les eaux grâce à un berceau de bois, est réservé comme chef pour le peuple. Est-ce que, au temps où Notre Seigneur naquit selon l’humanité, cette haine et cette crainte du roi n’éclatèrent pas de la même manière contre l’homme, identique à nous, que, par le mystère du bois et de l’eau Il assuma en Lui et pour Lui, qui était réservé à la gloire céleste et constitué roi des nations ? En se baignant dans le fleuve, la fille de Pharaon recueillit Moïse. Comme la soeur de l’enfant se trouvait là, elle alla chercher une nourrice chez les Hébreux. Ce fut sa mère quelle présenta : elle se chargea de le nourrir et le rendit à la fille de Pharaon qui l’adopta pour fils.

Moïse préfigure du Christ dans son enfance et son adolescence.

Rapprochez les personnes, comparez les événements, considérez les faits : vous retrouverez la vérité des événements à venir dans l’imitation qu’en présentent ceux dont nous parlons.

Sous la figure de la soeur de Moïse, en effet, la Loi a suivi le Christ jusqu’aux signes sacrés du bois et de l’eau. La fille de Pharaon est la figure des nations, elle qui, bien quelle nait vu selon le récit historique qu’un petit enfant, acquit cependant par la portée de ce symbole une valeur prophétique. La Loi, en effet, présenta à l’Église, comme à la fille de Pharaon, la synagogue comme nourrice et comme mère du petit enfant et ainsi l’ordre spirituel se trouve déjà dans cette histoire. C’est par la Loi, en effet, elle-même nous l’enseigne, qu’il convint que le Christ fût nourri selon la chair, mais c’est par l’Église qu’il fallait qu’il fût adopté. Devenu grand, Moïse cherche ses frères retenus dans l’esclavage. Puis il tue un Égyptien qui tyrannisait et brutalisait l’un deux, et par la suite il est accusé par celui qu’il avait vengé de l’Égyptien. Est-ce que le Christ, lorsqu’Il a atteint l’âge d’homme, ne visite pas son peuple, ses frères selon la chair ? Il vint en effet " aux brebis perdues de la maison d’Israël ". Na-t-il pas abattu et vaincu le diable qui dominait sur eux ? Car, personne ne détruira les biens de l’homme fort, s’il na d’abord enchaîné l’homme fort. N’est-il pas accusé par ceux-là même qu’Il avait vengés du diable et qu’Il avait délivrés de l’esclavage ? Ainsi, l’imitation que nous trouvons chez le promulgateur de la Loi est conforme à la consommation dans le Dieu de la Grâce.

Le buisson ardent.

Le buisson brûle sous les yeux de Moïse et pourtant ne se consume pas : c’est l’Église évidemment qui est embrasée des flammes des persécutions et des attaques des pécheurs selon ce que dit l’Apôtre : " Bien que supportant des angoisses et souffrant la pauvreté, nous ne sommes pas abandonnés ; nous sommes abattus et nous ne mourons pas, portant dans notre corps les souffrances de Jésus pour que la vie aussi du Christ-Jésus soit manifestée dans notre corps. " Ainsi, les incendies de toutes les iniquités font rage contre nous sans nous brûler.

Les trois signes.

Vient ensuite comme signe de la Foi le changement de la baguette en serpent et du serpent en baguette. Mais ce changement concerne l’affermissement de la Foi, non un bouleversement de l’ordre naturel. Puisque la baguette renferme le pouvoir souverain et que le serpent représente le diable, nous sommes avertis de croire en celui qui alors qu’Il était Dieu des siècles a été pris pour Béelzebul, puis de Béelzebul, dont on lui donnait le nom et pour qui on le prenait, reconnu par le changement de la Résurrection pour Dieu des siècles, ce qu’Il était effectivement. Le signe suivant, en s’accordant en même temps à l’espérance et au présent a achevé d’établir la foi en cette réalité en en proposant une imitation. En effet, lorsque la main qu’il avait plongée dans son sein prit l’éclat de la neige, elle signifie que nous devons être illuminés en reposant dans le sein de nos pères, c’est-à-dire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, la nature de notre corps étant absorbée dans la nature de la gloire et de la splendeur. Mais lorsque la main, de nouveau plongée dans son sein, revient à son état antérieur, il nous est enseigné que ce que le signe préfigurait n’existait pas encore à ce moment-là. Lorsque, dans un troisième signe, de l’eau tirée du fleuve est répandue sur la terre et changée en sang, une figure des rites sacramentels est mêlée à ces signes, puisque ceux qui ont été lavés par l’eau doivent en arriver à la connaissance du sang.

Encore l’imitation.

C’est une grande merveille que dans l’histoire des patriarches les événements rapportés soient tels que dans ce qui a été accompli plus tard dans le Seigneur, rien ne soit en discordance avec eux ni pour le lieu, ni pour le temps, ni pour le mode. C’est en Lui, en effet, que l’imitation qui La précédé atteint la forme de la vérité absolue et se présente, comme l’image du modèle quelle s’efforce d’imiter. Les événements, certes, ont leur propre réalité, qui résultait d’actions naturelles ; mais cette réalité des actes humains était elle-même l’imitation de l’opération divine, et cela pour former véritablement en nous l’espérance et la foi, puisqu’on ne trouve rien dans les oeuvres de Dieu qu’on ne voie avoir été préparé d’avance dans les époques, les moeurs et les actions des hommes. Et bien que nous ayons montré précédemment que jusqu’à la sortie du peuple d’Égypte les actes de Moïse s’accordent aux actes accomplis dans ou par le Seigneur, cependant, maintenant encore l’imitation spirituelle est liée à la réalité corporelle.

La figure du bois.

Le peuple, en effet, eut soif dans le désert, l’eau est amère, on murmure contre le chef ; mais Dieu montre un morceau de bois et par son contact l’eau devient douce ; par là sont manifestés la justification, les jugements et la tentation. On arrive ensuite aux douze sources et aux soixante-dix palmiers, et on s’arrête près des eaux. Bien que l’ardeur de nos ennemis en détourne leur esprit et que l’égarement des infidèles ferme leur intelligence par le sceau de la désobéissance, ils ne pourront cependant ignorer la portée d’un tel miracle. Quel secours constituait le bois, ou quelle puissance contenait la matière inanimée pour faire disparaître l’amertume, pour engendrer la douceur, pour conférer ou enlever des qualités naturelles en rendant douce au goût l’amertume qui lui répugnait ? Et puisque, dans l’événement présent, toute l’efficacité venait de la puissance divine changeant une chose en une autre, il faut bien estimer qu’il n’avait pas besoin des services du bois au point de ne pouvoir conférer aux eaux ce changement que par son intermédiaire.

Mais parce que Dieu pouvait tout, Il commence a esquisser dans l’événement présent l’oeuvre mystérieuse réservée pour l’accomplissement des temps. Pour le peuple qui vivait dans le désert, l’eau était inutile, et en vérité nous trouvons souvent que les peuples sont désignés sous le nom d’eaux, lorsqu’il est dit : " Les eaux t’ont vu, ô Dieu, et elles ont tremblé " ; et encore : " Eaux, battez toutes des mains. " Or, l’action sanctifiante du bois change en douceur soit l’amertume naturelle des eaux, soit l’amertume contractée par le peuple, à la suite des murmures provoqués par son esprit de revendication, durant son séjour dans le désert, en voyant qu’il n’était pas encore sur le point d’obtenir la terre de la promesse. Et il n’y a pas seulement disparition de l’état premier, mais changement en un état meilleur qui dépasse ce que réclame l’usage ; l’eau, en effet, ne cessa pas seulement d’être amère, elle devint douce. Le bois donc opère présentement sur l’eau, et, par l’action sanctifiante de sa puissance, est utile aux peuples désignés sous le nom d’eaux.

C’est à ce bois que chez Moïse la vie de tous les hommes est suspendue, lorsqu’il dit : " Vous verrez votre vie suspendue sous vos yeux nuit et jour et vous aurez peur et vous n’aurez pas foi en votre vie. " Chez Jérémie ce bois est mis dans le pain : "Ils délibérèrent à mon sujet et dirent : Venez, mettons du bois dans son pain. " C’est de cette matière qu’est faite la baguette qui triomphe des magiciens, qui effraie Pharaon, qui ravage l’Égypte, qui divise la mer, qui en ramène les flots, qui fait jaillir une source, qui fait disparaître l’amertume, qui donne la douceur ; c’est en effet par l’action sanctifiante du bois que les coeurs des infidèles sont amollis et passent de l’amertume du péché et de l’impiété à la douceur de la Foi. Et de peur que tous les événements de cette période ne s’accordent pas avec les effets du mystère encore caché, l’Écriture ajoute : "C’est là que Dieu mit la justification et le jugement et c’est là qu’Il le tenta. " En disant " là " elle ne désigne pas le lieu, mais l’événement. Nous ne connaissons pas, en effet, qu’en cet endroit aient été disposés ni justifications, ni jugements, ni tentations.

Au contraire, dans l’action sanctifiante du bois, où a été pendu Notre Seigneur et où Il a attaché avec Lui tout ce qui s’opposait au salut du genre humain, nous trouvons la justification parce que le juste est de la Foi, et le jugement, parce que " celui qui ne croit pas est déjà jugé ", et la tentation, parce que le salut s’opère par le scandale de la Croix ; " la Croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais elle est force de Dieu pour le salut de ceux qui croient. " Ainsi, puisque l’opprobre de la Croix est la tentation de la Foi, puisque l’infidélité est la cause du jugement, puisque la Foi est le prix de la justification, c’est à juste titre que l’action sanctifiante du bois, qui fit passer l’eau de l’amertume à la douceur, contient et la justification et le jugement et la tentation.

Les douze sources et soixante-dix palmiers.

" Ils arrivèrent à Elym et il y avait là douze sources et soixante-dix palmiers. Ils s’installèrent près des eaux. " L’économie spirituelle se trouve accomplie dans les événements à venir ; car de Merra, le lieu de l’amertume, on arrive à Elym où il y avait douze sources et soixante-dix palmiers. Une fois connue l’action sanctifiante du bois, on recherche le séjour de la foi apostolique et de la prédication de l’Évangile, auprès de soixante-dix prédicateurs, dont l’ombre est temporaire, et des douze apôtres, sources qui jaillissent dans l’éternité. Mais parce que les soixante-dix prédicateurs choisis dans l’Évangile se montrèrent par la suite infidèles, bien qu’ils aient rapporté les fruits de la Foi après s’être soumis les esprits impurs, tandis que les Apôtres persévéraient dans la prédication de la Foi, malgré la mention des soixante-dix arbres en même temps que des douze sources, au témoignage de l’Écriture on ne trouve de repos que près des eaux.

La manne.

Quelle figure encore, et combien exacte, des réalités spirituelles, trouvons-nous dans la chair des cailles et dans l’aliment de la manne ! Le peuple qui avait été tiré d’Égypte murmure contre ses chefs ; il a le regret, de la viande dont il avait coutume de se nourrir en Égypte. Un vol de cailles arrive le soir et couvre le camp ; le peuple se nourrit de leur viande. Au matin, on trouve la manne. Sans distinction d’âge ni de sexe, la même mesure est attribuée à chacun : celui qui en ramasse plus n’en a pas plus, celui qui en ramasse moins n’en manque pas. Ce qui dépasse les besoins, les vers s’y mettent. Ce qui restait de manne dans la plaine, se desséchait à la chaleur du soleil. Le sixième jour, on ramasse une double mesure sans quelle se corrompe ; le septième jour, il n’y a pas de manne malgré la vaine attente de certains. Enfin, un gomor, la mesure attribuée à chacun, enfermé dans un vase d’or est conservé en témoignage pour les générations à venir.

Il faut aussi considérer que la manne est donnée en tentation : par l’observance des règles prescrites pour son usage chacun sera mis à l’épreuve pour savoir s’il est apte à suivre les préceptes de Dieu. Il est écrit, en effet : " Le Seigneur dit à Moïse : Voici que je vais faire tomber sur vous du haut du ciel une pluie de pain et le peuple sortira et il ramassera chaque jour la mesure d’un seul jour pour que je sache en le tentant s’il suivra ma Loi ou non. " Il est dit par ailleurs de la viande : " Le soir, vous mangerez de la viande et le matin vous serez rassasiés de pain." La nourriture du soir est de viande, mais la nourriture du matin est désignée dans la figure de la manne. Ce qui concerne la viande, c’est le fait que le peuple, dans son séjour au désert, est tenu par le regret de ses habitudes précédentes ; en effet il regrette la viande d’Égypte. Il mange cette viande le soir, c’est-à-dire que le peuple, infidèle à Dieu et n’ayant pas la patience d’attendre la réalisation de ses promesses devait continuer jusqu’à la consommation du siècle présent qui est figuré dans le soir à user des désirs du monde qui est ordinairement figuré dans l’Égypte. Enfin, le peuple n’eut qu’une fois de la viande, pour nous enseigner quelle n’était pas donnée en vue d’un usage nécessaire, mais pour signifier une préfigure. La manne représente la tentation : par elle en effet le peuple est éprouvé pour savoir s’il obéira à Dieu, c’est-à-dire s’il sera digne de manger le vrai pain du ciel, et le sens de cette tentation doit être cherché dans ce qui suit.

C’est au matin qu’on trouve la manne, car c’est au jour de la Résurrection du Seigneur que vient le moment de recevoir la nourriture céleste. La même mesure est attribuée à tout âge et tout sexe ; la nature humaine exige le contraire - quand en effet le petit enfant et l’adulte ont-ils besoin de la même quantité de nourriture ? - mais, selon la préfigure spirituelle, il est très convenable d’accorder à tous à égalité la nourriture céleste ; car l’efficacité de cette nourriture ne se divise pas en parties - je parle en effet à des gens qui sont instruits du sacrement - personne n’est dans l’abondance s’il en mange plus ni dans l’indigence s’il en mange moins puisque tous évidemment sont également rassasiés de cette nourriture qu’ils ont reçue divisée en parties. Ce qui est ramassé en plus de la mesure et qui reste le matin, en un mot ce qui est livré aux vers et à la pourriture, s’applique sans aucun doute à ceux qui accumulent sans profit au delà du don céleste et de la doctrine spirituelle : ce qu’ils ont accumulé est fétide à sentir, c’est-à-dire séparé de la vérité par la corruption, bouillonnant des vices des démons, autant dire troublé par les vers, et sera réduit en eau par la chaleur du soleil, c’est-à-dire par le Christ, qui est le soleil de justice, lorsqu’il reviendra pour le jugement.

La double mesure de manne ramassée le sixième jour en vue du repos du septième nous avertit que la préparation des oeuvres spirituelles s’accumule pour ceux qui jouiront au temps du repos, des biens qui leur ont été préparés. Enfin, ce qui reste du sixième jour ne se corrompt pas, alors que ce qui, les autres jours, dépasse la mesure se gâte. Ainsi, la corruption est d’avance réservée à ce qui sort de la prescription. Il faut donc faire pendant notre vie des oeuvres dont nous puissions jouir dans le repos. Le temps de ce sixième millénaire est celui qui est désigné par le chiffre du sixième jour, puisque le prophète dit : " Mille ans aux yeux du Seigneur sont comme un jour." Le peuple se nourrit donc le septième jour, c’est-à-dire le jour du repos du Seigneur, d’une nourriture amassée la veille et use de ce qu’il avait préparé, car il ne trouvera pas le septième jour de quoi se nourrir, bien que beaucoup s’avancent dans la plaine sans rien trouver ; ce qui signifie qu’après la fin des siècles, nous ne trouverons plus rien pour l’usage de notre repos que ce que nous aurons auparavant préparé et amassé.

Vient ensuite l’ordre de conserver en présence du Seigneur dans un vase d’or un gomor de manne pour les générations à venir. Mais où est ce vase, où est la manne qui y a été mise, après les nombreuses captivités du peuple ? Après la double destruction de la ville et du temple, rien ne reste de ce qui y a été déposé. Eh quoi ! pensons-nous que Dieu ait ignoré que la manne ne pouvait être conservée pour les générations futures ? Non certes, on ne doit pas croire qu’Il l’ait ignoré alors qu’Il connaît les pensées futures des hommes, mais, sous la figure du vase d’or et de la manne qui y a été mise sous les yeux de Dieu et qui a été conservée pour les générations futures, Il montre que celui qui aura conservé dans son corps comme en un vase d’or la manne qu’il a reçue sera précieux et éternel pour Dieu qui porte ses regards sur le réceptacle sans souillures de cette nourriture céleste qui nous est donnée.



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