Clément d’Alexandrie

La pénitence

mercredi 6 décembre 2006.
 

Pour que tu prennes confiance, lorsque tu auras fait aussi une vraie pénitence, qu’il te reste un espoir de salut, écoute l’histoire, qui n’est pas une histoire mais un récit véridique au sujet de l’apôtre Jean, récit transmis par la tradition et implanté dans la mémoire. Après la mort du tyran, Jean avait quitté l’île de Patmos et était revenu à Ephèse. Sur une invitation, il partit pour les régions voisines, afin d’installer ici des évêques, de rétablir ailleurs l’harmonie des Eglises, ailleurs encore d’inscrire dans le clergé tous ceux que désignerait l’Esprit. Etant donc arrivé dans une ville peu éloignée d’Ephèse et dont quelques-uns rapportent le nom, il y consola les frères ; après quoi, ayant remarqué un tout jeune homme, beau de corps, agréable à voir et doué d’une âme passionnée, il se tourna vers l’évêque en charge : « Je le confie, dit-il, à tes soins dévoués, et je prends à témoin l’Eglise et le Christ ». L’évêque accepta et promit ; à plusieurs reprises, l’apôtre renouvela sa demande et son témoignage. Puis il retourna à Ephèse. Le presbytre reçut dans sa maison le jeune homme qui lui avait été confié, il l’éleva, le garda près de lui, le soigna, et finalement le baptisa. Après cela, il se relâcha de son soin et de sa surveillance, sous prétexte qu’il lui avait donné la protection parfaite, le sceau du Seigneur.

Mais ce jeune homme avait été livré à lui-même avant le temps. Quelques camarades oisifs et dissolus, coutumiers du mal, s’attachèrent à lui pour le corrompre. D’abord ils le gagnèrent par de riches festins ; puis ils l’emmenèrent avec eux de nuit pour dépouiller les passants ; puis ils le jugèrent capable d’accomplir encore de plus grands exploits. Peu à peu le jeune homme s’habituait, et à cause de sa vive nature, il sortait du droit chemin comme un cheval rétif et vigoureux qui mord son frein, et il se laissait emporter vers l’abîme. Finalement, il méconnut le salut qui appartient à Dieu. Il ne songeait plus alors à rien de mesquin. Après avoir commis de grands crimes, et se croyant perdu définitivement, il voulut associer son malheur à celui des autres. Il rassembla donc ses compagnons et groupa une bande de voleurs à la tête desquels il se mit : violent, meurtrier, criminel plus que tous les autres.

Le temps passait cependant : quelque besoin étant survenu, on rappelle Jean dans cette ville. L’apôtre, après avoir réglé les affaires pour lesquelles il était venu : « Eh bien, dit-il, évêque, rends-moi le dépôt que le Christ et moi nous t’avions confié en présence de l’Eglise à laquelle tu présides ». L’évêque s’étonna d’abord, pensant qu’on avait imaginé contre lui une calomnie pour l’obliger à rendre de l’argent qu’il n’avait pas reçu ; il ne pouvait ni croire qu’il avait ce qu’il n’avait pas, ni se défier de Jean. Mais, lorsque celui-ci eut repris : « Je te réclame le jeune homme, et l’âme de ton frère », le vieillard se mit à pleurer et à gémir , « H est mort », dit-il. - « Comment et de quelle mort ? » - « Il est mort à Dieu, reprit-il ; il est devenu méchant, vicieux, et pour tout dire, voleur ; maintenant au lieu d’être dans l’église, il tient la montagne avec une bande qui lui ressemble ». Alors l’apôtre déchirant ses vêtements et se frappant la tête avec de grandes gémissements : « J’avais vraiment laissé, dit-il, un beau gardien de l’âme de son frère ! mais qu’on me prépare tout de suite un cheval, et qu’on me donne quelqu’un pour me conduire ».

Aussitôt, il sortit, comme il était, de l’église. Et étant arrivé à l’endroit voulu il est pris par l’avant-garde des brigands sans fuir, sans réclamer, mais criant au contraire : « C’est pour cela que je suis venu ; menez-moi à votre chef ». Ce dernier attendait en armes, mais quand il eut reconnu Jean qui s’avançait, il fut pris de honte et commença de fuir. L’apôtre le poursuivit de toutes ses forces, oubliant son âge et criant : « Pourquoi me fuis-tu, mon enfant, moi ton père, désarmé, vieux ? Aie pitié de moi, enfant, ne crains pas. Tu as encore l’espérance de vivre. Moi je rendrai compte au Christ à ta place. S’il le faut, je supporterai volontiers la mort, comme a fait le Seigneur pour nous ; pour toi je donnerai ma vie. Arrête-toi. Aie confiance. C’est le Christ qui m’a envoyé. » A ces paroles, le jeune homme s’arrêta, les yeux baissés, puis il jeta ses armes, se mit à trembler et à pleurer amèrement. Il embrassa le vieillard qui venait à lui, se justifiant comme il pouvait par ses gémissements, et recevant un second baptême dans ses larmes ; mais cachant encore sa main droite. Et l’apôtre de se porter caution, de promettre qu’il a obtenu le pardon de la part du Sauveur, de prier, de se mettre à genoux, d’embrasser cette main droite purifiée par le repentir. Puis il le conduisit à l’église, et répandant des larmes abondantes, combattant avec lui par des jeûnes prolongés, retournant son cœur par les séductions variées de ses paroles, il ne partit pas, dit-on, avant de l’avoir préposé à l’Église, donnant une grande leçon de véritable pénitence, un grand exemple de naissance nouvelle. (Quis dives salvetur)



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