Homélies sur les Nombres

Dieu a-t-il donc des fêtes ?

lundi 6 août 2007.
 

XXIII. Dieu a-t-il donc des fêtes ? Oui. Ce Lui est une grande fête que le salut du genre humain. A mon avis, tout fidèle, tout homme qui se convertit à Dieu, ou qui progresse dans la foi, donne lieu à une fête du Seigneur. Quelle joie n’éprouve-t-Il pas, dis-moi, quand l’impudique devient chaste, quand l’injuste se met à respecter la justice, quand l’impie devient pieux ! Toutes ces conversions individuelles donnent lieu à des fêtes pour Dieu. Il n’est pas douteux que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui pour notre salut a répandu Son sang, célèbre la plus grande de toutes les fêtes en voyant que ce n’est pas en vain qu’il « s’est humilié et, prenant la forme d’esclave, s’est fait obéissant jusqu’à la mort ». Le Saint Esprit aussi célèbre des fêtes en voyant se multiplier, avec les convertis, les temples qui Lui sont préparés.

Que dire des anges, dont il est dit que la fête joyeuse se renouvelle à chaque conversion ? N’est-ce pas pour eux une grande fête quand ils se réjouissent « dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence plus que pour quatre-vingt-dix-neuf qui n’en ont pas besoin ». Les anges célèbrent donc une fête quand ils se réjouissent à l’occasion de ceux qui ont échappé à la communion des démons, et par l’exercice des vertus, se hâtent d’entrer dans la communion des anges.

C’est peut-être un paradoxe que j’avance : nous donnons à Dieu et aux anges des motifs de fête et de joie, semble-t-il ; nous qui sommes placés sur la terre, nous donnons dans le ciel un sujet de joie et d’allégresse quand, « marchant sur la terre, nous vivons dans les Cieux » ; et telle est en effet la manière dont nous donnons des occasions de fêtes aux puissances célestes. Mais si nos bonnes actions et nos progrès dans les vertus donnent lieu à des fêtes pour Dieu et pour les anges, notre mauvaise conduite, je le crains, donne lieu à des lamentations et à des deuils, non seulement sur terre mais aussi dans le ciel ; peut-être les péchés des hommes affligent-ils Dieu même. N’est-ce pas le mot d’un affligé : « Je me repens d’avoir fait l’homme sur la terre » ? N’en est-ce pas un, celui de Notre Seigneur et Sauveur dans l’Évangile : « Jérusalem, Jérusalem, qui lapides les prophètes et tues ceux qui te sont envoyés, que de fois J’ai voulu rassembler tes fils comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ? ». Qu’on ne s’imagine pas qu’il ne s’agisse là que des anciens qui ont « lapidé les prophètes » ; si aujourd’hui, au lieu d’écouter le prophète, je méprise ses avertissements, moi aussi je le lapide, je le tue autant qu’il est en moi, en refusant comme s’il était mort d’écouter ses paroles.

Dieu gémit encore sur le genre humain quand il fait dire au prophète : « Hélas ! Je suis devenu comme un rainasseur de paille à la moisson, comme un cueilleur de raisins à la vendange, car il n’y a pas un épi, pas une grappe, pour en manger les prémices. Hélas ! mon âme ! elle est morte de crainte loin de la terre, et il n’y a plus de redresseur de torts parmi les hommes ». Ce sont des plaintes du Seigneur qui pleure sur le genre humain. Il est venu Lui-même pour ramasser la moisson et Il n’a trouvé que de la paille au lieu de moisson ; Il est venu vendanger et Il n’a trouvé pour toute récolte que quelques raisins, à savoir les Apôtres, et si « le Seigneur Sabaoth ne nous les avait laissés pour semence », « si le grain de blé n’était tombé en terre pour produire beaucoup de fruit », « nous serions devenus comme Sodome et nous ressemblerions à Gomorrhe ». Chez les anges de Dieu aussi, avons-nous dit, « il y a joie dans le ciel pour la pénitence d’un seul pécheur ». Or quand on se réjouit du bonheur, on s’afflige de l’adversité : si donc ils se réjouissent des conversions, ils pleurent les péchés commis.

Ainsi c’est parce que « Jérusalem a commis un péché monstrueux », comme il est écrit dans les Lamentations, « qu’elle a été ébranlée » et que toutes ses fêtes et ses solennités ont disparu ; c’est parce que ses habitants ont tué mon Seigneur Jésus-Christ. C’est pour cela que Dieu leur dit : « Mon âme hait vos nouvelles lunes, vos sabbats et vos fêtes ». Tandis que dans notre passage, dans les prescriptions concernant les offrandes, en un temps où il n’y a pas encore de péché, le Seigneur dit : « Mes fêtes », après le péché Il ne dit plus : « Mes fêtes », mais : « vos fêtes ».

Mais tous ces termes : Dieu pleure, ou, se réjouit, déteste ou aime, sont à prendre comme des expressions figurées dans lesquelles l’Écriture se conforme aux habitudes du langage humain. Car la nature divine ignore toute passion et tout changement qui l’affecterait, elle demeure toujours immobile et inébranlable au sommet de la béatitude.



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