Shayegan (Corbin): L’herméneutique et Heidegger
Le passage de Heidegger à Sohrawardî a fait couler beaucoup d’encre : on y a décelé un signe de déception, une disparité et même un mélange incongru. Corbin s’y est expliqué clairement dans son entretien avec Philippe Nemo : « Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique. » Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre « climat de l’Être » (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l’analytique heideggerienne. Le « retour aux choses mêmes » que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l’âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat ou le monde de l’imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n’était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l’accès à un autre climat de l’être, et qui ne porta tout son fruit que lorsque Corbin, isolé à Istanbul en compagnie du Shaykh al-Ishrâq, en eut peu à peu la vision immédiate.
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