Sophia

20/12/2022

Corbin (CSTC:8-10) – mundus imaginalis

Classé dans: — admin @ 5:57 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il y a longtemps, nous le redirons ci-dessous, que la philosophie occidentale, disons la philosophie « officielle », entraînée dans le sillage des sciences positives, n’admet que deux sources du Connaître. Il y a la perception sensible, fournissant les données que l’on appelle empiriques. Et il y a les concepts de l’entendement, le monde des lois régissant ces données empiriques. Certes, la phénoménologie a modifié et dépassé cette gnoséologie simplificatrice. Mais il reste qu’entre les perceptions sensibles et les intuitions ou les catégories de l’intellect, la place était restée vide. Ce qui aurait dû prendre place entre les unes et les autres, et qui ailleurs occupait cette place médiane, à savoir l’Imagination active, fut laissé aux poètes. Que cette Imagination active dans l’homme (il faudrait dire Imagination agente, comme la philosophie médiévale parlait de l’Intelligence agente) ait sa fonction noétique ou cognitive propre, c’est-à-dire qu’elle nous donne accès à une région et réalité de l’Être qui sans elle nous reste fermée et interdite, c’est ce qu’une philosophie scientifique, rationnelle et raisonnable, ne pouvait envisager. Il était entendu pour elle que l’Imagination ne sécrète que de l’imaginaire, c’est-à-dire de l’irréel, du mythique, du merveilleux, de la fiction, etc.
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19/12/2022

Corbin (TC:146-147) – les Sabéens

Classé dans: — admin @ 7:22 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

Dans un dialogue qu’institue en son œuvre célèbre l’historien des religions Shahrastânî (XIe-XIIe siècle) l’idéologie sabéenne du Temple va nous apparaître comme une phase essentielle de cette transmutation. C’est elle en effet qui fournit à la méditation la possibilité de passer de la représentation des Temples ou astres (hayâkil) inscrits aux Cieux de l’astronomie et reproduits symboliquement dans l’architecture des Temples terrestres, à la représentation d’un Temple spirituel constitué par la coalescence des âmes qui se substituent aux astres comme réceptacles et icônes des pures substances de Lumière. Car les Sabéens se représentaient les Temples célestes comme gouvernés par des Anges auxquels s’adressait leur culte. Pour que la transmutation s’opère non pas en dégradant ces êtres de Lumière, mais en exhaussant vers eux l’être de l’homme, l’anthropomorphose du Temple s’accompagnera simultanément d’une angélomorphose de l’homme. En ce sens l’angélologie présente une structure fondamentale : elle constitue le lien idéal permettant de penser le passage entre sabéisme et intériorisme ismaélien.
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Corbin (HLSI:31-36) – Récit de l’exil occidental

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dans l’œuvre considérable de Sohravardî trois passages principalement mettent en scène la Nature Parfaite, non point théoriquement, mais comme figure d’une expérience visionnaire ou comme interlocutrice d’une prière. Le plus explicite est celui du Livre des Entretiens où Sohravardî fait, à n’en pas douter, allusion au texte hermétiste que l’on aura pu lire ici il y a quelques pages ; une forme de lumière apparaît à Hermès ; elle projette ou insuffle en lui les connaissances de gnose. A l’interrogation d’Hermès : « Qui donc es-tu ? ». Elle répond : « Je suis ta Nature Parfaite ». Et c’est ailleurs l’invocation adressée par Hermès à sa Nature Parfaite au milieu des périls éprouvés au cours d’une dramaturgie d’extase, mise en scène allusive d’une épreuve initiatique vécue dans le secret personnel (où Hermès est peut-être alors le pseudonyme de Sohravardî). Or, l’heure aussi bien que le lieu de cet épisode visionnaire font intervenir les symboles du Nord, pour indiquer le passage à un monde qui est au-delà du sensible. Cet épisode est l’illustration la plus frappante du thème que nous analysons ici : la Nature Parfaite, guide de lumière de l’individualité spirituelle à qui elle « ouvre » sa dimension transcendante en lui faisant franchir le seuil… (cf. encore infra 111). La « personne » à qui dans cette extase initiatique s’adresse l’appel, est cette même Nature Parfaite à qui s’adresse le psaume composé par Sohravardî, et qui est peut-être la plus belle prière qui ait jamais été adressée à l’Ange. En ce sens, c’est une liturgie personnelle satisfaisant aux prescriptions qu’Hermès, selon les « Sabéens », avait laissées aux Sages : « Toi, mon seigneur et prince, mon ange sacro-saint, mon précieux être spirituel, Tu es l’Esprit qui m’enfanta et tu es l’Enfant que mon esprit enfante… Toi qui es revêtu de la plus éclatante des Lumières divines… puisses-tu te manifester à moi en la plus belle (ou en la suprême) des épiphanies, me montrer la lumière de ta face éblouissante, être pour moi le médiateur… enlever de mon cœur les ténèbres des voiles… » C’est cette relation syzygique que le spirituel éprouve lorsqu’il atteint au centre, au pôle; celle-là même qui se retrouve dans la mystique de Jalâloddîn Rumî comme dans toute la tradition sohravardienne en Iran, ainsi que nous l’apprend le témoignage de Mîr Dâmâd, le grand maître de théologie à Ispahan au XVIIe siècle, relation telle que comme Maryam, comme Fâtima, l’âme mystique devient la « mère de son père », omm abî-hà. Et c’est ce que veut dire encore ce vers d’Ibn’Arabî : « Je n’ai créé en toi la perception que pour y devenir l’objet de ma perception. »
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Corbin (CETC:39-42) – Xvarnah, Lumière-de-Gloire

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Maintenant, la tâche sera de rechercher comment et à quelles conditions, lorsque les données de la perception sensible sont portées comme à l’état diaphane par l’imagination active (lorsque le gêtîk est saisi dans son mênôk), se profile précisément la figure de l’Ange. Cette tâche revient à préciser quelle est cette Forme imaginale comme organe par lequel l’Imagination active, en percevant directement les choses, en opère la transmutation; comment il se fait que cette transmutation accomplie, ce soit sa propre Image que les choses réfléchissent à l’âme, et comment alors cette auto-reconnaissance de l’âme instaure une science spirituelle de la Terre et des choses terrestres, telle que ces choses soient connues dans leur Ange, comme le pressentit l’intuition visionnaire de Fechner.
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Corbin (CETC:54-58) – la retraite de Zarathoustra

Classé dans: — admin @ 12:57 am

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

On voit que dans l’un et l’autre cas analysé ici, l’intention et l’effort de l’âme tendent à configurer et à réaliser la Terre céleste, pour y permettre l’épiphanie des êtres de lumière. Il s’agit de gagner la Terre des visions, in medio mundi, là où les événements réels consistent dans les visions elles-mêmes. Et tels soin bien les événements que décrivent les Récits concernant l’investiture prophétique de Zarathoustra. Par une indication d’une sublime simplicité, le Zaratusht-Nameh (Le « Livre de Zoroastre » abrév. ici = Z.N.) nous le signifie : « Lorsque Zarathoustra eut trente ans accomplis, il eut le désir d’Eran-Vej et se mit en route avec quelques compagnons, hommes et femmes. » Avoir le désir d’Eran-Vej, c’est désirer la Terre des visions, c’est gagner le centre du monde, la Terre céleste où a lieu la rencontre des Saints Immortels. De lait les épisodes qui marquent la progression et l’entrée de Zarathoustra et de ses compagnons en Eran-Vej, le moment du temps où cette entrée s’accomplit, ne sont ni des événements extérieurs ni des dates relevant de la chronique : ce sont des épisodes et des indications hiérophaniques.
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Corbin (HL:12-14) – Géographie sacrée

Classé dans: — admin @ 12:36 am

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

L’orientation est un phénomène primaire de notre présence au monde. Le propre d’une présence humaine est de spatialiser un monde autour d’elle, et ce phénomène implique une certaine relation de l’homme avec le monde, son monde, cette relation étant déterminée par le mode même de sa présence au monde. Les quatre points cardinaux, est et ouest, nord et sud, ne sont pas des choses que rencontre cette présence, mais des directions qui en expriment le sens, son acclimatation à son monde, sa familiarité avec lui. Avoir ce sens, c’est s’orienter dans le monde. Les lignes idéales d’orient en occident, du septentrion au midi, forment un réseau d’évidences spatiales a priori, sans lesquelles il n’y aurait d’orientation ni géographique ni anthropologique. Les contrastes de l’oriental et de l’occidental, de l’homme du nord et de l’homme du sud, règlent aussi bien nos classifications idéologiques et caractérologiques.
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Shayegan (Corbin): L’herméneutique et Heidegger

Le passage de Heidegger à Sohrawardî a fait couler beaucoup d’encre : on y a décelé un signe de déception, une disparité et même un mélange incongru. Corbin s’y est expliqué clairement dans son entretien avec Philippe Nemo : « Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique. » Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre « climat de l’Être » (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l’analytique heideggerienne. Le « retour aux choses mêmes » que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l’âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat ou le monde de l’imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n’était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l’accès à un autre climat de l’être, et qui ne porta tout son fruit que lorsque Corbin, isolé à Istanbul en compagnie du Shaykh al-Ishrâq, en eut peu à peu la vision immédiate.
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18/12/2022

Corbin (HL:24-27) – L’homme de lumière

Cette idée de l’« homme de lumière », nous en suivons la présence jusque dans le soufisme de Najm Kobrâ où les expressions arabes shakhs min nur, shakhs nurani donnent l’équivalent de l’expression grecque φωτεῖνος ἄνθρωπος. Quant à celle-ci, elle figure dans les documents hermétistes qui nous ont été transmis grâce à Zozime de Panopolis (IIIe siècle), le célèbre alchimiste dont la doctrine médite les opérations métallurgiques réelles comme types ou symboles de processus invisibles, de transmutations spirituelles. Cette doctrine réfère à la fois à un gnosticisme chrétien représenté pour elle par les « Livres des Hébreux », et à un platonisme hermétisant représenté par les « Livres saints d’Hermès ». Est commune aux uns et aux autres une anthropologie dégageant l’idée de l’homme de lumière de la façon suivante : il y a l’Adam terrestre, l’homme extérieur charnel (σάρκινος ἄνθρωπος) soumis aux Eléments, aux influences planétaires et au Destin; les quatre lettres composant son nom « chiffrent » les quatre points cardinaux de l’horizon terrestre. Et il y a l’homme de lumière (φωτεῖνος ἄνθρωπος), l’homme spirituel caché, pôle opposé de l’homme corporel : phôs. C’est une homonymie qui attestait ainsi dans la langue même l’existence de l’homme de lumière : φῶς, lumière et φῶς, l’homme, l’individu par excellence (le héros spirituel, correspondant en ce sens au persan javânmard). Adam est l’archétype des hommes de chair; Phôs (dont le nom propre personnel ne fut connu que du mystérieux Nicotheos) est l’archétype non pas des humains en général, mais des hommes de lumière : les φῶτες.
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31/7/2014

Festugière : LE DIEU INCONNU ET LA GNOSE

Classé dans: — admin @ 10:05 am

Le Dieu qui crée le monde et le gouverne est naturellement connu par la contemplation de l’ordre du monde. Mais le Dieu transcendant au monde, et qui non seulement n’a pas créé le monde puisque le monde est matière, mais est totalement éloigné du monde et en quelque sorte opposé au monde, ce Dieu-là peut-il encore être connu, et, s’il l’est, de quelle manière? Voilà le problème que pose cet ouvrage, par lequel s’achève notre étude de la philosophie religieuse sous l’Empire. Il est divisé en deux parties.

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