Sophia

20/12/2022

Saint-Martin (Tanner:55-64) – la mythologie: son objet véritable

TANNER, André (org.). Claude de Saint-Martin. Paris: Engloff, 1946

… Le vulgaire ne voit dans les récits mythologiques que le jeu de l’imagination des écrivains, ou la corruption des traditions historiques, ou peut-être les effets de l’idolâtrie, de la crainte, ou du penchant des peuples pour les faits merveilleux. Ainsi, en exceptant quelques allégories ingénieuses, tout dans la Fable lui paraît bizarre, ridicule, extravagant.
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Corbin (Ibn Arabi:125-126) – l’unio sympathetica

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Nous voici peut-être à même d’appeler à fructifier le second indice que nous relevions précédemment dans l’expérience sophianique de « l’interprète des ardents désirs ». La dialectique d’amour, par sa mise en œuvre de l’Imagination active créatrice, a opéré au monde de celle-ci, c’est-à-dire au plan des théophanies, la réconciliation du spirituel et du physique, l’unification de l’amour spirituel et de l’amour physique dans une expérience une et unique de l’amour mystique. De cette réconciliation dépend la possibilité de « voir Dieu » (puisqu’il nous a été expressément rappelé que l’on ne peut adorer ni aimer un Dieu que «l’on ne voit pas »), non pas, certes, de cette vision dont il est dit que l’homme ne peut voir Dieu sans mourir, mais de cette vision sans laquelle l’homme ne peut vivre. Si cette vision est sa vie et non sa mort, c’est qu’elle est non pas l’impossible vision de l’Essence divine en sa nudité, en son absoluité, mais vision du Seigneur propre à chaque âme mystique, revêtu du Nom propre correspondant à la virtualité particulière de l’âme qui en est l’épiphanie concrète. Cette vision présuppose et actualise la codépendance éternelle (ta’alloq) de ce Seigneur (rabb) et de l’être qui est également son être, pour qui et par qui il est le Seigneur (son marbûb), puisque la totalité d’un Nom divin comporte le Nommé et le Nommant, l’un donnant l’être, l’autre le révélant, se mettant mutuellement « au passif » comme action l’un de l’autre, action qui est compassion, sympathesis. C’est cette interdépendance, cette unité de leur bi-unité, du dialogue où chacun tient de l’autre son rôle, que nous avons désignée comme une union mystique qui est en propre une unio sympathetica. Cette union recèle le « secret de la divinité» du Seigneur qui est ton Dieu (sirr al-robûbîya), ce secret qui est « toi » (Sahl Tostarî), et qu’il t’incombe à toi-même de soutenir et de nourrir de ton propre être ; l’union dans cette sympathesis, dans cette passion commune au Seigneur et à celui qui le fait (et en qui lui-même se fait) son Seigneur, cette union dépend de ta dévotion d’amour, de ta devotio sympathetica dont le repas d’hospitalité offert aux Anges par Abraham, est la préfiguration.

Corbin (CSTC:47-48) – les Événements en Erân-Vêj

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Aussi bien, quels sont les Événements qui s’accomplissent en Erân-Vêj? Il y a les liturgies mémorables, célébrées par Ohrmazd lui-même, par les êtres célestes, par les héros légendaires. C’est en Erân-Vêj qu’Ohrmazd lui-même célébra des liturgies en l’honneur d’Ardvî Sûrâ Anâhitâ « la Haute, la Souveraine, l’Immaculée », l’Ange-déesse des Eaux célestes, pour lui demander que Zarathoustra s’attache à lui et soit son prophète fidèle (Yashr v, 17 ). C’est à elle également que Zarathoustra demanda la conversion du roi Vîshtâspa (Yasht v, 104). C’est en Erân-Vêj que le beau Yima, « Yima l’éclatant de beauté, le meilleur des mortels », reçut l’ordre de construire l’enclos, le Var, où fut rassemblée l’élite de tous les êtres, les plus beaux, les plus gracieux, pour être préservés de l’hiver mortel déchaîné par les Puissances démoniaques, et pour repeupler un jour le monde transfiguré. Le Var de Yima comprend en effet, à la façon d’une cité, des maisons, des réserves, des remparts. Il a portes et fenêtres luminescentes qui sécrètent d’elles-mêmes la lumière à l’intérieur, car il est illuminé à la fois par des lumières incréées et par des lumières créées. Une fois seulement chaque année, on voit se coucher et se lever les étoiles, la lune et le soleil; c’est pourquoi une année ne semble qu’un jour. Tous les quarante ans, de chaque couple humain naît un autre couple, masculin et féminin. Et peut-être est ainsi suggérée la condition androgyne de ces êtres qui « vivent de la plus belle des vies dans le Var constant de Yima ».
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Corbin (CSTC:8-10) – mundus imaginalis

Classé dans: — admin @ 5:57 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il y a longtemps, nous le redirons ci-dessous, que la philosophie occidentale, disons la philosophie « officielle », entraînée dans le sillage des sciences positives, n’admet que deux sources du Connaître. Il y a la perception sensible, fournissant les données que l’on appelle empiriques. Et il y a les concepts de l’entendement, le monde des lois régissant ces données empiriques. Certes, la phénoménologie a modifié et dépassé cette gnoséologie simplificatrice. Mais il reste qu’entre les perceptions sensibles et les intuitions ou les catégories de l’intellect, la place était restée vide. Ce qui aurait dû prendre place entre les unes et les autres, et qui ailleurs occupait cette place médiane, à savoir l’Imagination active, fut laissé aux poètes. Que cette Imagination active dans l’homme (il faudrait dire Imagination agente, comme la philosophie médiévale parlait de l’Intelligence agente) ait sa fonction noétique ou cognitive propre, c’est-à-dire qu’elle nous donne accès à une région et réalité de l’Être qui sans elle nous reste fermée et interdite, c’est ce qu’une philosophie scientifique, rationnelle et raisonnable, ne pouvait envisager. Il était entendu pour elle que l’Imagination ne sécrète que de l’imaginaire, c’est-à-dire de l’irréel, du mythique, du merveilleux, de la fiction, etc.
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Corbin (Ibn Arabi:151-152) – Le Dieu crée dans les croyances

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est une double Epiphanie (tajalli) initiale qui détend la tristesse de l’Etre Divin, le « Trésor Caché » aspirant à sortir de sa solitude d’inconnaissance : l’une dans le monde du Mystère (’âlam al-ghayb), l’autre, dans le monde du phénomène (’âlam al-shahâdat). La première c’est l’Epiphanie de l’Etre Divin à soi-même et pour soi-même, dans les essences archétypes, les heccéités éternelles de ses Noms qui aspirent à leur Manifestation concrète. Cela, c’est l’Effusion sacrosainte (fayd aqdas) au plan ou à la « Présence des Noms » (Hadrat al-Asmâ’). La seconde, c’est l’Epiphanie dans le monde manifesté, c’est-à-dire dans les êtres qui sont les formes ou les réceptacles épiphaniques (mazâhir) des Noms divins. C’est l’Effusion sainte, « hiératique » et « hiérophanique » (fayd moqaddas) faisant paraître à la Lumière ces formes qui, comme autant de miroirs, reçoivent le reflet de la pure Essence divine dans la mesure de leur capacité respective. Cette double Epiphanie est typifiée dans les Noms divins « le Caché et le Révélé, le Premier et le Dernier », dont Ibn ’Arabî illustrera la vérification expérimentale dans sa pratique théosophique de la Prière.
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Corbin (Ibn Arabi:92-93) – Le « Dieu pathétique »

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les prémisses de la théologie négative sont si loin d’exclure de par elles-mêmes toute situation dialogique, qu’elles importent au contraire pour en fonder l’authenticité. Ainsi en va-t-il pour la gnose en Islam, dont les prémisses ont maint trait commun avec celles de la Gnose en général, celles qui sont aussi les plus irritantes pour toute dogmatique en souci de définir rationnellement. La structure est constante : il y a « Ce qui origine » ; au-delà de l’être « qui est », le « Dieu qui n’est pas » (ούκ ὤν θεός, de Basilide), c’est-à-dire le Theos agnostos, le Dieu inconnaissable et imprédicable ; et il y a le Dieu révélé, son Νοῦς qui pense et qui œuvre, qui supporte les attributs divins, et est capable de relation. Or, ce n’est pas en cherchant un compromis au profit de l’une ou l’autre notion, mais en maintenant fermement la simultanéité de la vision, que l’on en arrive à parler d’un Dieu pathétique, non point comme une revendication théorique contre les théologies positives soucieuses du dogme de l’immutabilité divine, mais comme une progression interne effectuant expérimentalement le passage de l’Abîme et du Silence suressentiels à des Figures et à des énoncés positivement fondés.
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Corbin (Ibn Arabi:117-118) – Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ?

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

De tous les maîtres du soufisme, Ibn Arabi est (avec Ruzbehan de Shiraz) l’un de ceux qui ont poussé le plus loin l’analyse des phénomènes de l’amour ; il y a mis en oeuvre une dialectique très personnelle, éminemment propre à nous découvrir quel est le ressort de la dévotion totale professée par les « Fidèles d’amour ». De ce que nous avons esquissé jusqu’ici, surgit la question : Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ? Et comment est-il possible d’aimer Dieu ? Ce sont là des expressions que la langue religieuse emploie ailleurs comme s’il s’agissait d’évidences allant de soi. Or, ce n’est pas si simple. Ibn Arabi nous fait progresser par une double constatation : « J’en atteste Dieu, écrit-il, si nous en étions restés aux seuls arguments rationnels de la philosophie, lesquels, s’ils nous font connaître l’Essence divine, ne le font que d’une manière négative, il est sûr qu’aucune créature n’eût jamais éprouvé d’amour pour Dieu… La religion positive nous apprend qu’il est ceci et cela ; ce sont des attributs dont les apparences exotériques sont absurdes pour la raison philosophique, et cependant c’est à cause de ces attributs positifs que nous l’aimons. » Après cela seulement, il incombe à la religion de nous dire : Rien ne lui ressemble. Mais d’autre part, Dieu ne peut nous être connu que dans ce que nous éprouvons de lui, de sorte que « nous puissions le typifier et le prendre comme objet de notre contemplation, aussi bien dans l’intime de nos cœurs que devant nos yeux et dans notre imagination, comme si nous le voyions, ou mieux dit, de telle sorte que nous le voyions réellement… Il est celui qui dans chaque être aimé se manifeste au regard de chaque amant… de même que nul autre que lui n’est adoré, car il est impossible d’adorer un être sans se représenter en lui la divinité… Ainsi en va-t-il pour l’amour : un être n’aime en réalité personne d’autre que son créateur. » La propre vie d’Ibn Arabi nous fournit sur tous ces points le gage d’une expérience personnelle.
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Corbin (Ibn Arabi:160-161) – besoin d’une herméneutique ou ta’wîl

« Si tu déclares que telle forme est Dieu, c’est que tu l’homologues parce qu’elle est une forme d’entre les formes où il se manifeste (mazhar) ; mais si tu dis qu’elle est autre chose, autre que Dieu, c’est que tu l’interprètes, de la même manière qu’il t’incombe d’interpréter les formes vues en rêve. » Mais homologation et interprétation ne valent que simultanément, car alors dire que la forme théophanique est autre que Dieu, cela n’est nullement la déprécier comme « illusoire », c’est au contraire la valoriser et la fonder comme symbole référant au symbolisé (marmûz ilayhi), lequel est l’Etre Divin. En effet, l’être révélé (zâhir) est Imagination théophanique, et simultanément sa vraie réalité cachée (bâtin) est l’Etre Divin. C’est parce que l’être révélé est Imagination, qu’une herméneutique des formes manifestées en lui est nécessaire, c’est-à-dire un ta’wîl qui « reconduise » (selon l’étymologie du mot ta’wîl) ces formes à leur vraie réalité. Non seulement le monde du rêve mais le monde que nous appelons communément le monde de la veille, tous deux ont même et égal besoin d’une herméneutique. Mais notons bien ceci : si le monde est création récurrente (khalq jadîd) et récurrence d’épiphanies, si comme tel il est Imagination théophanique, si dès lors il a besoin d’une herméneutique ou ta’wîl, c’est donc bien la création récurrente, imperceptible aux sens, qui en dernier ressort fait que le monde soit Imagination et ait besoin d’une herméneutique tout comme les rêves. La sentence attribuée au Prophète : « Les humains dorment, à leur mort ils se réveillent », donne à comprendre que tout ce que les humains voient dans leur vie terrestre est du même ordre que les visions contemplées en songe. La supériorité du rêve sur les données positives de la veille est même là : permettre, ou plutôt requérir une interprétation qui dépasse les données, parce que ces données signifient autre chose que ce qui se montre. Elles manifestent (et tout le sens des fonctions théophaniques est là). On n’interprète pas ce qui n’a rien à vous apprendre, ne signifie rien de plus que ce qu’il est. C’est parce que le monde est Imagination théophanique, qu’il est constitué d’« apparitions » demandant à être interprétées et dépassées. Mais alors aussi c’est par la seule Imagination active que la conscience, éveillée à la vraie nature du monde comme « apparition », peut en dépasser les données, et par là se rendre apte à de nouvelles théophanies, c’est-à-dire à une ascension continue. L’opération imaginative initiale sera de typifier (tamthîl) les réalités immatérielles et spirituelles dans les formes extérieures ou sensibles, celles-ci devenant alors le « chiffre » de ce qu’elles manifestent. L’Imagination reste ensuite la motrice de ce ta’wîl qui est ascension continue de l’âme.

Corbin (Ibn Arabi:87-88) – la communauté d’essence entre visible et invisible

Classé dans: — admin @ 2:33 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans un traité sur «l’art hiératique des Grecs», Proclus, cette haute figure du néoplatonisme tardif dont l’étude fut pendant longtemps délaissée, écrit ceci : « Comme on le fait dans la dialectique d’amour, on part des beautés sensibles pour s’élever jusqu’à ce que l’on rencontre le principe unique de toute beauté et de toute idée, ainsi que les adeptes de la science hiératique prennent pour point de départ les choses apparentes et les « sympathies » qu’elles manifestent entre elles et avec les puissances invisibles. Observant que tout est en tout, ils ont posé les fondements de la hiératique, s’étonnant de voir et admirant dans les réalités premières les derniers venus des êtres et dans les derniers les tout premiers ; dans le ciel, les choses terrestres selon un mode causal et célestement, et sur la terre, les choses célestes dans une condition terrestre. » Exemple : l’héliotrope et sa prière. « Quelle autre raison peut-on donner du fait que l’héliotrope suit par son mouvement le mouvement du soleil, et le sélénotrope le mouvement de la Lune, faisant cortège dans la mesure de leur pouvoir, aux flambeaux du monde ? Car, en vérité, toute chose prie selon le rang qu’elle occupe dans la nature, et chante la louange du chef de la série divine à laquelle elle appartient, louange spirituelle, ou louange rationnelle ou physique ou sensible ; car l’héliotrope se meut selon qu’il est libre de son mouvement, et dans le tour qu’il fait, si l’on pouvait entendre le son de l’air battu par son mouvement, on se rendrait compte que c’est un hymne à son roi, tel qu’une plante peut le chanter. »
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Corbin (Ibn Arabi:67-69) – le soufisme

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce titre ne fait qu’énoncer le thème de l’enquête à laquelle aboutiraient normalement les pages qui précèdent, et celles-ci en limitent pour autant la généralité. En fait, il s’agirait d’analyser la situation respective de l’ésotérisme par rapport à l’Islam et par rapport au christianisme, pour discerner dans quelle mesure cette situation est homologable. Même en délimitant ainsi le champ de la recherche, on s’aperçoit qu’elle nécessiterait un minimum de travaux préalables qui nous font encore défaut. Au surplus, chaque chercheur est forcément limité par le champ de son expérience et de ses observations personnelles. Ce que l’on va en dire ici, le sera donc surtout à titre d’indication et d’esquisse.
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Corbin (Ibn Arabi:209-210) – voir Dieu, le jamais vu

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ayons alors bien présent à la pensée un double leitmotiv : la réponse de Dieu à Moïse, enregistrée dans le texte qorânique : « Tu ne me verras pas » — et le célèbre hadîth de la vision (hadith al-rû’ya), que ce fût vision en songe ou vision extatique, où le Prophète atteste : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or (ou d’une robe verte, selon une variante) ; sur sa chevelure, une mitre d’or; à ses pieds, des sandales d’or.» Refus de la vision et attestation de cette vision ; les deux motifs forment ensemble déjà une coincidentia oppositorum. Mais de plus, l’Image récurrente aussi bien dans le hadîth de la vision prophétique que dans l’expérience personnelle d’Ibn ’Arabî, est une Image du puer aeternus, symbole plastique visionnaire de cette même coincidentia oppositorum, bien connu des psychologues. Dès lors une triple question se fait jour : Qui est cette Image ? D’où vient-elle et quel en est le contexte ? Quel degré d’expérience spirituelle annonce son apparition, c’est-à-dire quelle réalisation de l’être est opérée dans et par cette Image ?
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Corbin (Ibn Arabi:198) – l’oraison, récurrence de la Création

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Approfondir ce sens créatif de la Prière, c’est voir comment elle accomplit chaque fois pour sa part ce vœu de l’Etre Divin aspirant à créer l’univers des êtres, à se révéler en eux pour être connu de soi-même, bref le vœu du Deus absconditus ou Theos agnostos aspirant à la Théophanie. Chaque oraison, chaque instant de chaque oraison, est alors une récurrence de la Création (tajdid al-khalq), une Création nouvelle (khalq jadid), telle que nous en avons vu précédemment le sens. A la créativité de la Prière est lié le sens cosmique de la Prière, ce sens que percevait si bien Proclus dans la prière de l’héliotrope. Ce sens cosmique apparaît dans deux sortes d’homologations qu’esquissent Ibn Arabi et ses commentateurs, et qui ont cet extrême intérêt de nous montrer le soufisme reproduisant, en Islam même, les démarches et configurations mentales de la conscience mystique connues par ailleurs, notamment dans l’Inde. Une de ces homologations consiste pour l’orant à se représenter soi-même comme étant l’Imam de son propre microcosme. Une autre consiste à homologuer les gestes rituels de la Prière (accomplie en privé) avec les « gestes » de la Création de l’univers qui est le macrocosme. Ces homologations sous-tendent le sens de la Prière comme créatrice ; elles en préparent, fondent et justifient le dénouement visionnaire, puisque précisément comme création nouvelle, elle signifie épiphanie nouvelle (tajalli). Nous progressons ainsi vers le dénouement : l’Imagination créatrice au service de la Prière créatrice, dans la concentration de toutes les puissances du cœur, la himma.

Corbin (Ibn Arabi:143-144) – J’étais un Trésor caché…

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Il est nécessaire avant tout, de nous remémorer les actes de la cosmogonie éternelle conçue par le génie d’Ibn ’Arabî. Un Etre Divin esseulé en son essence inconditionnée, dont nous ne connaissons qu’une chose : précisément la tristesse de cette solitude primordiale, qui le fait aspirer à se révéler dans des êtres qui le manifestent à lui-même pour autant qu’il se manifeste à eux. C’est cette Révélation que nous percevons ; c’est elle qu’il nous faut méditer pour connaître qui nous sommes. Le leitmotiv énonce non pas la fulguration d’une Omnipotence autarcique, mais une nostalgie foncière : « J’étais un Trésor caché, j’ai aimé à être connu. C’est pourquoi j’ai produit les créatures afin de me connaître en elles. » Cette phase est représentée comme la tristesse des Noms divins s’angoissant dans l’inconnaissance, parce que personne ne les nomme, et c’est cette tristesse que vient détendre cette Spiration divine (tanaffos) qui est Compatissance (Rahma) et existentiation (îjâd), et qui dans le monde du Mystère est Compassion de l’Etre Divin avec et pour soi-même, c’est-à-dire pour ses propres Noms. Ou encore, origine et principe sont une détermination de l’amour, lequel comporte mouvement d’ardent désir (harakat shawqîya) chez celui qui est épris. A cet ardent désir, le Soupir divin apporte sa détente.
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Corbin (Ibn Arabi:110-111) – le poème sophianique d’un « fidèle d’amour »

Classé dans: — admin @ 1:35 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans le prologue du Dîwân qu’il a intitulé « L’interprète des ardents désirs », Ibn ’Arabî relate ainsi les circonstances de sa composition : « Lorsque pendant l’année 598 h. (= 1201 A. D.) je séjournais à La Mekke, je fréquentais une société de personnes éminentes, hommes et femmes, formant une élite des plus cultivées et des plus vertueuses. Quelle que fût leur distinction, je ne vis cependant parmi elles personne qui égalât le sage docteur et maître Zâhir ibn Rostam, originaire d’Ispahan mais ayant pris résidence à La Mekke, ainsi que sa sœur, la vénérable ancienne, la savante du Hedjâz, appelée Fakhr al-Nisâ’ (la « Gloire des femmes ») Bint Rostam. » Ici Ibn ’Arabî s’étend avec complaisance sur d’agréables souvenirs, mentionnant, entre autres, les livres qu’il étudia sous la direction du shaykh en compagnie de la sœur de celui-ci. Tout cela n’est encore que préparatifs pour introduire le motif qui est à l’origine des poèmes constituant le Dîwân.
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Corbin (Ibn Arabi:98-99) – le Seigneur

Classé dans: — admin @ 1:15 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les deux termes nous avaient été proposés comme formant antithèse [unio mystica et unio sympathetica]. La voie que suit notre recherche semble bien nous conduire à un schéma d’expérience spirituelle où, loin de s’exclure, ils s’interprètent l’un par l’autre. Récapitulons les étapes : chaque être est une forme épiphanique (mazhar, majla) de l’Etre divin qui s’y manifeste comme revêtu de l’un ou de plusieurs de ses Noms. L’univers est la totalité des Noms dont Il se nomme quand nous Le nommons par eux. Chaque Nom divin manifesté est le seigneur (rabb) de l’être qui le manifeste (c’est-à-dire qui est son mazhar). Chaque être est la forme épiphanique de son Seigneur propre (al-rabb al-khâss), c’est-à-dire ne manifeste l’Essence divine que chaque fois particularisée et individualisée dans ce Nom. Aucun être déterminé et individualisé ne peut être la forme épiphanique du Divin en sa totalité, c’est-à-dire de l’ensemble des Noms ou des « Seigneurs ». « Chaque être, dit Ibn ’Arabî, n’a comme Dieu que son Seigneur en particulier, il est impossible qu’il ait le Tout. »
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Corbin (Ibn Arabi:147-148) – le monde lumineux des Idées-Images

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Le monde ou le plan d’être intermédiaire correspondant en propre à la fonction médiatrice de l’Imagination, la « cosmographie » mystique le désigne comme le monde lumineux des Idées-Images, des Figures d’apparition (’âlam mithâlî nûrâni). Certes, la préoccupation première d’Ibn ’Arabî vise les connexions des visions avec la faculté imaginative d’une part, avec l’inspiration divine d’autre part. En fait, tout le concept métaphysique de l’Imagination se trouve engagé dans l’instauration de ce monde intermédiaire. Toutes les réalités essentielles de l’être (haqâ’iq al-wojûd) y sont manifestées en Images réelles; et pour autant qu’une chose manifestée aux sens ou à l’intellect, possède une signification qui, en dépassant la simple donnée, fait de cette chose un symbole, et pour autant qu’elle exige ainsi une herméneutique (ta’wîl), la vérité symbolique de cette chose implique une perception au plan de l’Imagination active. La sagesse qui prend en charge ces significations, celle qui restituant les choses en symboles, a pour objet propre ce monde intermédiaire d’images subsistantes, est une sagesse de lumière (hikmat nûrîya) qui est typifiée dans la personne de Joseph comme interprète exemplaire des visions. La métaphysique de l’Imagination emprunte, chez Ibn ’Arabî, bien des traits à la « théosophie orientale » de Sohravardî. L’Imagination active est essentiellement l’organe des théophanies, parce qu’elle est l’organe de la Création, et que la Création est essentiellement théophanie. Aussi bien, avons-nous dit, dans la mesure même où l’Etre Divin est Créateur parce qu’il a voulu se connaître dans des êtres qui le connaissent, il est impossible de dire que l’Imagination soit « illusoire », puisqu’elle est l’organe et la substance de cette auto-révélation. Notre être manifesté est cette Imagination divine ; notre propre Imagination est Imagination dans la sienne.

Corbin (Ibn Arabi:214-215) – l’Alter Ego divin

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce prélude — qui n’est un prélude que parce qu’il est l’aboutissement de toute une expérience spirituelle — se présente comme un dialogue d’une extraordinaire lucidité à la limite de la conscience et de la transconscience, entre le moi humain et son Alter Ego divin. Ibn ’Arabî est en train d’accomplir ses circumambulations autour de la Ka’ba, et voici que devant la Pierre Noire, il rencontre l’être mystérieux qu’il reconnaît et qu’il désigne comme « le Jouvenceau évanescent, le Parlant-Silencieux, celui qui n’est ni vivant ni mort, le composé-simple, l’enveloppé-enveloppant », autant de termes accumulés (avec réminiscences alchimiques) pour signifier la coincidentia oppositorum. A ce moment, le visionnaire a un doute : « Ce processionnal ne serait-il autre chose que la Prière rituelle d’un vivant autour d’un cadavre (la Ka’ba) ? » « Regarde, lui dit le Jouvenceau mystique, le secret du Temple avant qu’il s’échappe. » Et le visionnaire voit soudain le Temple de pierre devenir un être vivant. Il comprend quel est le rang spirituel de son Compagnon ; il baise sa main droite ; il veut devenir son disciple, apprendre de lui tous ses secrets ; il n’enseignera pas autre chose. Mais celui-ci ne parle que par symboles ; il n’a d’autre éloquence que celle des énigmes. Et sur un signe mystérieux de reconnaissance, le visionnaire est submergé sous une telle puissance d’amour qu’il perd conscience. Quand il revient à lui, son Compagnon lui dévoile : « Je suis la Connaissance, je suis ce qui connaît et je suis ce qui est connu. »
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Corbin (PM:99-101) – l’angélologie

Classé dans: — admin @ 11:51 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

A partir du sens courant du mot grec Angelos, messager (qui a pour équivalent l’hébreu malakh, l’arabe malak, le persan fereshteh), nous avons à considérer les montées, les exhaussements de cette signification apparemment inoffensive, parce qu’elle est encore purement exotérique. Ces exhaussements ont leur lieu dans la gnose, dans l’ésotérisme (au sens étymologique de ce mot) des trois communautés abrahamiques, celles que le Qorân désigne comme Ahl al-Kitâb, les « communautés du Livre ». Ce que ces exhaussements confèrent au message de l’Ange, ce n’est rien de moins que le sens d’une fonction théophanique nécessaire. La nécessité de cette fonction théophanique découle du concept de la divinité comme absolument transcendante, et l’on perd souvent de vue le fait que, sans l’angélologie, ce qu’on appelle si facilement le monothéisme périt dans un triomphe illusoire. Pour le comprendre, nous aurons à nous rappeler tout d’abord comment le tawhîd, l’Acte unificateur de l’Unique a été médité jusqu’au vertige par les métaphysiciens mystiques en Islam. Et cette méditation ne prend toute sa résonance que si nous évoquons simultanément l’angélologie néoplatonicienne d’un Proclus, parce que de part et d’autre un même schéma métaphysique de l’être réserve à l’Ange, à l’Angelos, une fonction théophanique semblable.
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Corbin (Ibn Arabi:139-140) – L’Imago-Magia

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

« La notion de l’imagination, intermédiaire magique entre la pensée et l’être, incarnation de la pensée dans l’image et position de l’image dans l’être, est une conception de la plus haute importance qui joue un rôle de premier plan dans la philosophie de la Renaissance et qu’on retrouve dans celle du Romantisme. » Cette observation relevée chez l’un de nos meilleurs interprètes des doctrines de Boehme et de Paracelse, nous fournit la meilleure introduction à la seconde partie du présent livre. Nous en retiendrons d’une part la notion de l’imagination comme étant la production magique d’une image, le type même de l’action magique, voire de toute action comme telle, mais par excellence de toute action créatrice ; et d’autre part la notion de l’image comme d’un corps (un corps magique, un corps mental) dans lequel s’incarnent la pensée et la volonté de l’âme. L’Imagination comme puissance magique créatrice qui, donnant naissance au monde sensible, produit l’Esprit en formes et en couleurs ; le monde comme Magia divina « imaginée » par la divinité « imagicienne », c’est cette antique doctrine, typifiée dans la juxtaposition des mots Imago-Magia, qu’un Novalis retrouvait à travers Fichte. Mais ici une mise en garde initiale s’impose : cette Imaginatio ne doit surtout pas être confondue avec la fantaisie. Comme l’observait déjà Paracelse, à la différence de l’Imaginatio vera, la fantaisie (Phantasey) est un jeu de la pensée, sans fondement dans la nature, elle n’est que « la pierre angulaire des fous ».
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Corbin (Ibn Arabi:190-191) – la prière

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Que dans une doctrine comme celle d’Ibn ’Arabî la Prière assume encore une fonction, voire une fonction essentielle, on a pu tantôt s’en étonner comme d’un paradoxe, tantôt en dénier l’authenticité. C’est qu’au fond en se hâtant de classer sa doctrine de l’« unité transcendantale de l’être » dans ce que nous appelons monisme et panthéisme, avec le sens que prennent ces mots dans notre histoire de la philosophie moderne, on rendait en effet difficile de comprendre quel sens peut encore garder ce qu’on appelle la Prière. C’est ce sens que nous nous proposons de dégager en parlant de « Prière créatrice », cela dans le contexte où la Création vient de nous être montrée comme une théophanie, c’est-à-dire comme Imagination théophanique. (Peut-être les analyses qui précèdent auront-elles au moins pour fruit de suggérer quelques réserves à l’égard des jugements trop hâtifs ; ce vœu ne signifie pourtant pas que nous songions à intégrer de force la théosophie d’Ibn ’Arabî à l’orthodoxie commune de l’Islam exotérique !) La structure théophanique de l’être, la relation qu’elle détermine entre Créateur et créature, implique, certes, l’unité de leur être (parce qu’il est impossible de concevoir de l’être extrinsèque à l’être absolu). Mais le propre de cet être d’essence unique est de se différencier, de se « personnaliser » en deux modes d’existence correspondant à son être caché et à son être révélé. Certes, le révélé (zâhir) est bien la manifestation (zohûr) du caché (bâtin) ; ils forment une unité indissoluble ; cela ne veut pas dire leur identité existentielle. Car existentiellement, le manifesté n’est pas le caché, l’exotérique n’est pas l’ésotérique, le fidèle n’est pas le seigneur, la condition humaine (nâsût) n’est pas la condition divine (lâhût), bien qu’une même réalité essentielle foncière conditionne leur diversification ainsi que leur codépendance réciproque, leur bi-unité.
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Corbin (PM:12-13) – Le paradoxe du monothéisme

Classé dans: — admin @ 1:01 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

[…] Ce paradoxe est de nature essentiellement théologique et philosophique. Lorsque l’on parle des « religions monothéistes », on vise en général le groupe des trois grandes religions abrahamiques : judaïsme, christianisme, Islam.
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Corbin (Ibn Arabi:202) – le dhikr

Classé dans: — admin @ 12:44 am

L’enjeu, pour le disciple d’Ibn ’Arabî, est donc grave. Que chacun s’éprouve soi-même et discerne son état spirituel, car ainsi que le déclare un verset qorânique : « L’homme est un témoin qui dépose contre lui-même, quelque excuse qu’il profère (75/14-15). » S’il ne perçoit pas les « répons » divins au cours de l’Oraison, c’est qu’il n’est pas réellement présent avec son Seigneur ; incapable d’entendre et de voir, il n’est pas réellement un mosallî, un orant, ni quelqu’un « qui a un coeur, qui prête l’oreille et est un témoin oculaire » (40/36). Ce que nous avons appelé la « méthode d’oraison » d’Ibn ’Arabî comporte ainsi trois degrés : présence, audition, vision. Quiconque manque l’un de ces trois degrés, reste en dehors de l’Oraison et de ses effets, lesquels sont liés à l’état de fanâ’. Ce mot, nous l’avons vu, ne signifie pas dans la terminologie d’Ibn ’Arabî « l’anéantissement » de la personne, mais son occultation à soi-même, et telle est la condition pour percevoir le dhikr, le répons divin qui est, cette fois, l’action du Seigneur mettant son fidèle au présent de sa propre Présence.
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Corbin (Ibn Arabi:155-156) – l’idée de création récurrente

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est un des termes-clefs du système théosophique d’Ibn ’Arabî ; l’idée de création récurrente, création nouvelle (khalq jadîd), met en cause la nature même de la Création. Or, nous avons déjà vu qu’il n’y a point de place dans la pensée d’Ibn ’Arabî pour une création ex nihilo, pour un commencement absolu, précédé de rien. L’existentiation d’une chose qui n’aurait pas eu déjà d’existence, une opération créatrice qui aurait eu lieu une fois pour toutes et serait maintenant achevée, constituent pour lui autant d’absurdités théoriques et pratiques. La Création comme « règle de l’être », c’est le mouvement prééternel et continuel par lequel l’être est manifesté à chaque instant sous un revêtement nouveau. L’Etre créateur, c’est l’essence ou la substance prééternelle et postéternelle qui se manifeste à chaque instant dans les formes innombrables des êtres ; lorsqu’il s’occulte en l’une, il s’épiphanise en une autre. L’Etre créé, ce sont ces formes manifestées, diversifiées, successives et évanescentes, ayant leur subsistance non pas dans leur autonomie fictive, mais dans l’être qui se manifeste en elles et par elles. La création ne signifie donc rien de moins que la Manifestation (zohûr) de l’Etre Divin caché (Bâtin), dans les formes des êtres : dans leur heccéité éternelle d’abord, dans leur forme sensible ensuite, et cela par un renouvellement, une récurrence d’instant en instant depuis la prééternité. C’est cela cette « création nouvelle » à laquelle pour le théosophe, fait allusion le verset qorânique : « Serions-Nous fatigué par la première Création, pour qu’ils soient dans le doute d’une création nouvelle ? » (50/14).
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19/12/2022

Corbin (PM:22-23) – les Sages de Dieu, les théosophes

C’est pourquoi les Sages de Dieu, les théosophes, sont dénommés en fonction de leur mode de vision : 1) Il y a celui qui possède l’intellect (dhû’l-’aql, l’homme du ilm al-yaqîn); c’est celui qui voit le créaturel comme étant ce qui est manifesté, apparent, exotérique, et le Divin comme étant ce qui est occulté, caché, ésotérique. Pour celui-là le Divin est le miroir montrant la créature, mais il ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 2) Il y a celui qui possède la vision (dhû’l ’ayn, l’homme du ‘ayn al-yaqîn). Celui-là, à l’inverse du premier, voit le Divin comme ce qui est manifesté, visible, et le créaturel comme étant ce qui est occulté, caché, non apparent. Alors, pour celui-là, c’est le créaturel qui est le miroir montrant la divinité, mais lui non plus ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 3) Et puis il y a celui qui possède à la fois l’intellect et la vision (l’homme du haqq al-yaqîn). C’est le hakîm mota’allih, le théosophe mystique, le « hiératique » au sens néoplatonicien du mot. Celui-là voit simultanément la divinité dans la créature, l’Un dans le multiple, et le créaturel dans la divinité, la multiplicité des théophanies dans l’Unitude qui se « théophanise ». Il voit l’identité de l’Acte-être unitif (le 1 x 1 x 1, etc.) dans tous les êtres actualisés en autant de monades ou d’unités. Pas davantage l’unité hénadique, qui monadise toutes les monades et constitue en unités multiples tous les êtres, ne l’aveugle à la multiplicité des formes épiphaniques (mazâhir) dans lesquelles cette Unitude de l’Un primordial s’épiphanise. Ici les deux miroirs se réfléchissent l’un dans l’autre.
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Corbin (ARV:39-41) – le symbole et l’allégorie

CORBIN, Henry. Avicenne et le récit visionnaire. Berg, 1979

Le symbole n’est pas un signe artificiellement construit; il éclôt spontanément dans l’âme pour annoncer quelque chose qui ne peut pas être exprimé autrement; il est l’unique expression du symbolisé comme d’une réalité qui devient ainsi transparente à l’âme, mais qui en elle-même transcende toute expression. L’allégorie est une figuration plus ou moins artificielle de généralités ou d’abstractions qui sont parfaitement connaissables ou exprimables par d’autres voies. Pénétrer le sens d’un symbole n’équivaut nullement à le rendre superflu ni à l’abolir, car il reste toujours la seule expression du signifié avec lequel il symbolise (1). On ne peut jamais prétendre l’avoir dépassé une fois pour toutes, à moins précisément de le dégrader en allégorie, d’en fournir des équivalences rationnelles, générales et abstraites. L’exégète doit prendre garde qu’il se ferme alors la voie du symbole conduisant hors de ce monde. « Mithâl » est donc symbole et non allégorie. Les schémas formés sur la même racine sont à préciser dans le même sens. « Tamthîl » n’est pas une « allégorisation », mais la typification, l’exemplification privilégiée d’un archétype (2). « Tamaththol » c’est l’état de la chose sensible ou imaginale qui possède cette investiture de l’archétype, et cette investiture en la faisant symboliser avec lui, l’exhausse à son maximum de sens. L’exhaussement peut en certains cas la faire comprendre comme une hypostase.
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Corbin (IP:231-232) – Zarathoustra prophète

Classé dans: — admin @ 8:06 pm

CORBIN, Henry. L’Iran et la philosophie. Paris: Fayard, 1990

Il y a un hadîth — une tradition sainte — qui a cours dans le soufisme iranien. On le trouve dans un contexte référant au temple du Feu comme à une forme et symbole de l’amour divin, subjuguant et exclusif. A cet amour, Zarathoustra (Zoroastre) donna forme visible en lui érigeant l’autel du Feu. Lorsque les armées de l’Islam eurent triomphé de l’Iran, ce mystère fut voilé au monde et se retira dans le secret intime des cœurs. Mais la personne d’une femme en releva l’emblème: la princesse royale Shahrbanou, fille de Yazdegard III (le dernier souverain sassanide), qui devint la mère du IVe Imâm des shî’ites, après son entrée dans la famille des Très-Purs par son mariage avec le Prince des Martyrs, l’imâm Hosayn. C’est pourquoi les propres lèvres du Prophète de l’Islam ont énoncé cet ordre: Ne tenez jamais de propos hostiles ou irrévérencieux contre Zarathoustra, car Zarathoustra fut en Iran le prophète envoyé par le Seigneur d’amour.
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Corbin (TC:206-209) – la forme du Temple de la Ka’ba

Classé dans: — admin @ 7:38 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

La manière dont notre philosophe shî’ite, Qâzî Sa’îd Qommî, nous exerce, par exemple, à méditer la forme du Temple de la Ka’ba, va nous en être l’illustration convaincante. Mais il importe tout d’abord de bien avoir présentes à la pensée les prémisses de cette figuration du Temple qui porte en elle tout le secret de la vie spirituelle, parce qu’elle figure les étapes de l’itinéraire mystique.
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Corbin (TC:146-147) – les Sabéens

Classé dans: — admin @ 7:22 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

Dans un dialogue qu’institue en son œuvre célèbre l’historien des religions Shahrastânî (XIe-XIIe siècle) l’idéologie sabéenne du Temple va nous apparaître comme une phase essentielle de cette transmutation. C’est elle en effet qui fournit à la méditation la possibilité de passer de la représentation des Temples ou astres (hayâkil) inscrits aux Cieux de l’astronomie et reproduits symboliquement dans l’architecture des Temples terrestres, à la représentation d’un Temple spirituel constitué par la coalescence des âmes qui se substituent aux astres comme réceptacles et icônes des pures substances de Lumière. Car les Sabéens se représentaient les Temples célestes comme gouvernés par des Anges auxquels s’adressait leur culte. Pour que la transmutation s’opère non pas en dégradant ces êtres de Lumière, mais en exhaussant vers eux l’être de l’homme, l’anthropomorphose du Temple s’accompagnera simultanément d’une angélomorphose de l’homme. En ce sens l’angélologie présente une structure fondamentale : elle constitue le lien idéal permettant de penser le passage entre sabéisme et intériorisme ismaélien.
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Corbin (PM:216-219) – sacralisation et sécularisation

Classé dans: — admin @ 7:13 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

3) C’est ici même que s’insère le thème que j’ai formulé. En vérité je ne suis pas le premier à observer que les systèmes socio-politiques qui, de l’Occident de nos jours, ont débordé sur la planète, sont la sécularisation de systèmes théologiques antérieurs. C’est là même constater implicitement que le concept plénier de l’Occident ne saurait s’identifier purement et simplement avec cette sécularisation. C’est également constater que le phénomène n’est pas particulier à l’Occident, puisque le monde oriental est lui-même aujourd’hui la proie de ce que l’on appelle « occidentalisation ». C’est pourquoi, plus que jamais, le contraste entre « Orient » et « Occident » ne prend son sens qu’au niveau métaphysique, celui-là même où l’ont situé les philosophes iraniens depuis Avicenne et Sohravardî.
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Corbin (II2:41) – le theo-sophos

Classé dans: — admin @ 7:07 pm

Aussi bien, lorsque Sohrawardî et ses confrères emploient l’expression hakîm ilâhî, le « sage divin » ou le « sage de Dieu », ce terme, rappelons-le encore, est la transposition exacte du grec theosophos. La hikmat ilâhiya, souvent la hikmat tout court, c’est la Theo-sophia [Cf. Prolégomènes II, pp. 20 ss.], le mot étant entendu dans son acception étymologique. La « Théosophie orientale » (ishrâqîya) c’est la sagesse du Sage qui cumule à la fois la plus haute connaissance spéculative et la plus profonde expérience spirituelle, laquelle peut être dite aussi étymologiquement spéculative, en ce sens qu’elle transmue l’être du sage en un spéculum, un pur miroir dans lequel se réfléchissent et qu’embrasent les pures Lumières se levant à l’Orient du monde spirituel. C’est sur cette base que sera fondée la hiérarchie des sages « orientaux » (infra § 2).
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Corbin (IP:147-150) – l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1)

Classé dans: — admin @ 6:58 pm

CORBIN, Henry. L’Iran et la philosophie. Paris: Fayard, 1990

C’est par excellence sous la forme d’un voyage, le plus souvent avec l’intervention d’un messager invitant à l’entreprendre, que la gnose islamique se représente l’aventure spirituelle. L’illustration typique s’en trouve dans le thème de l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1) lorsque, au cours d’une extase nocturne, le prophète Mohammad est invité par l’ange Gabriel à effectuer sous sa conduite la visite des sept cieux et des prophètes qui y résident.
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Corbin (PM:28-30) – l’initiation

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dès lors tout récit évoquant l’atteinte à la Nature Parfaite présentera une scénographie d’initiation, que ce soit en songe ou à l’état de veille. Elle est atteinte au centre, c’est-à-dire en un lieu rempli de Ténèbres qui vient à s’illuminer d’une pure lumière intérieure. Tel est, au cours du même ouvrage, le récit d’Hermès : « Lorsque je voulus mettre au jour la science du mystère et de la modalité de la Création, je rencontrai une voûte souterraine remplie de ténèbres et de vents. Je n’y voyais rien à cause de l’obscurité, et ne pouvais y maintenir de lampe à cause de l’impétuosité des vents. Alors voici que pendant mon sommeil une personne se montra à moi sous une forme de la plus grande beauté. Elle me dit : Prends une lampe et place-la dans un verre qui la protège des vents; alors elle t’éclairera malgré eux. Entre ensuite dans la chambre souterraine; creuse en son centre et extrais de là certaine image théurgique modelée selon les règles de l’Art. Lorsque tu auras extrait cette Image, les vents cesseront de parcourir cette chambre souterraine. Creuse alors aux quatre coins de celle-ci : tu mettras au jour la science des mystères de la Création, des causes de la Nature, des origines et des modalités des choses. Alors je lui dis : Qui donc es-tu ? Elle me répondit : Je suis ta Nature Parfaite. Si tu veux me voir, appelle-moi par mon nom. »
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Corbin (PM:27-30) – les théophanies

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Par là même on peut entrevoir ce que signifient les catégories fondamentales du tawhîd ésotérique, c’est-à-dire du tawhîd sous son aspect ontologique : tawhîd de l’Essence (dhât), tawhîd des Noms et Attributs (asmâ’ et sifât), tawhîd des opérations (af’âl) ou des théophanies. Haydar Âmolî a construit la représentation imaginale de ces trois catégories du tawhîd dans trois diagrammes en forme d’arbres. Maintenant, quant à la question de savoir comment l’acte unitif du tawhîd s’accomplit sous ces trois aspects, c’est ce que l’on peut saisir en se reportant à la cosmogonie professée par l’Ecole d’Ibn ’Arabî, une cosmogonie qui est essentiellement une succession de théophanies, dont toutes les séries prennent origine dans une triple théophanie primordiale.
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Corbin (CETC:10-11) – Formes imaginales

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Quant, à la fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales, elle est définie par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part elle « imaginalise » les Formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle est dégradée en « fantaisie », ne sécrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. C’est toute la différence que connaissait et marquait déjà fort bien Paracelse entre l’Imaginatio vera (la vraie Imagination, l’Imagination au sens vrai) et la Phantasey.
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Corbin (HL:19-20) – Tu es moi

Classé dans: — admin @ 4:16 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Enfin, à l’extrémité orientale du monde iranien, en Transoxiane, Najmoddîn Kobrâ (ob. 1220) oriente le soufisme d’Asie centrale vers la pratique d’une méditation attentive aux phénomènes de lumière dont le chromatisme nous dévoilera la signification et la prééminence de la Lumière verte. Et dans ce contexte reparaîtra l’homologue de la Nature Parfaite, la Figure que Najm Kobrâ désigne comme son « Témoin dans le Ciel », son « Guide personnel suprasensible », « Soleil du mystère », « Soleil du cœur », « Soleil de la haute connaissance », « Soleil de l’Esprit ».
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Corbin (HLSI:31-36) – Récit de l’exil occidental

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dans l’œuvre considérable de Sohravardî trois passages principalement mettent en scène la Nature Parfaite, non point théoriquement, mais comme figure d’une expérience visionnaire ou comme interlocutrice d’une prière. Le plus explicite est celui du Livre des Entretiens où Sohravardî fait, à n’en pas douter, allusion au texte hermétiste que l’on aura pu lire ici il y a quelques pages ; une forme de lumière apparaît à Hermès ; elle projette ou insuffle en lui les connaissances de gnose. A l’interrogation d’Hermès : « Qui donc es-tu ? ». Elle répond : « Je suis ta Nature Parfaite ». Et c’est ailleurs l’invocation adressée par Hermès à sa Nature Parfaite au milieu des périls éprouvés au cours d’une dramaturgie d’extase, mise en scène allusive d’une épreuve initiatique vécue dans le secret personnel (où Hermès est peut-être alors le pseudonyme de Sohravardî). Or, l’heure aussi bien que le lieu de cet épisode visionnaire font intervenir les symboles du Nord, pour indiquer le passage à un monde qui est au-delà du sensible. Cet épisode est l’illustration la plus frappante du thème que nous analysons ici : la Nature Parfaite, guide de lumière de l’individualité spirituelle à qui elle « ouvre » sa dimension transcendante en lui faisant franchir le seuil… (cf. encore infra 111). La « personne » à qui dans cette extase initiatique s’adresse l’appel, est cette même Nature Parfaite à qui s’adresse le psaume composé par Sohravardî, et qui est peut-être la plus belle prière qui ait jamais été adressée à l’Ange. En ce sens, c’est une liturgie personnelle satisfaisant aux prescriptions qu’Hermès, selon les « Sabéens », avait laissées aux Sages : « Toi, mon seigneur et prince, mon ange sacro-saint, mon précieux être spirituel, Tu es l’Esprit qui m’enfanta et tu es l’Enfant que mon esprit enfante… Toi qui es revêtu de la plus éclatante des Lumières divines… puisses-tu te manifester à moi en la plus belle (ou en la suprême) des épiphanies, me montrer la lumière de ta face éblouissante, être pour moi le médiateur… enlever de mon cœur les ténèbres des voiles… » C’est cette relation syzygique que le spirituel éprouve lorsqu’il atteint au centre, au pôle; celle-là même qui se retrouve dans la mystique de Jalâloddîn Rumî comme dans toute la tradition sohravardienne en Iran, ainsi que nous l’apprend le témoignage de Mîr Dâmâd, le grand maître de théologie à Ispahan au XVIIe siècle, relation telle que comme Maryam, comme Fâtima, l’âme mystique devient la « mère de son père », omm abî-hà. Et c’est ce que veut dire encore ce vers d’Ibn’Arabî : « Je n’ai créé en toi la perception que pour y devenir l’objet de ma perception. »
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Corbin (PM:24-27) – l’ontologie intégrale

Classé dans: — admin @ 3:20 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

L’avènement de l’ontologie intégrale comporte trois moments, jusqu’au moment où l’on s’avise, comme le dit Ibn ’Arabî, que « c’est le monde qui est occulté et n’apparaît jamais, tandis que l’Être Divin est le Manifesté et n’est jamais occulté » — bref le moment de la réponse d’Adam, lorsqu’on lui demanda comment il avait accepté le fardeau que les cieux, les montagnes et toutes les créatures avaient refusé : « J’ignorais, dit-il, qu’il y eût de l’Autre que Dieu 14. » Ce pourrait être la formule de l’ontologie intégrale.
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Corbin (CETC:46-48) – où eut lieu la prédication zoroastrienne?

Classé dans: — admin @ 2:27 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Dès lors aussi, nous pouvons dépasser le niveau auquel a été posée une des questions les plus irritantes qui aient tourmenté plusieurs générations d’Orientalistes : où eut lieu la prédication zoroastrienne? Où était Erân Vêj, puisque c’est en Erân Vêj que Zarathoustra eut ses visions et commença sa prédication? La majorité des Orientalistes admet aujourd’hui que le lieu de la prédication de Zarathoustra, telle que nous pouvons l’entendre encore en lisant les Gâthâs, est à situer en Asie centrale, quelque part dans la région du Haut-Oxus, à l’extrémité orientale du monde iranien. En revanche, cette certitude scientifique régnante est en contradiction avec les traditions iraniennes postérieures, celles de l’époque sassanide et post-sassanide, qui situent la naissance et la prédication de Zarathoustra à l’extrémité occidentale du monde iranien, en Azerbaïdjan. On a tenté des solutions de conciliation, tout en voulant se maintenir sur le terrain des faits positifs : Zarathoustra serait né à l’Ouest, mais sa prédication aurait eu lieu à l’Est. Une solution récente s’inspire précisément du système des keshvars : l’histoire sacrée du zoroastrisme primitif se serait passée à l’orient du monde iranien; puis la mission zoroastrienne pénétrant progressivement vers l’ouest du monde iranien, un beau jour l’orientation géographique se serait trouvée tout simplement inversée (le keshvar oriental serait devenu le keshvar occidental). Tout se serait passé comme si le système des keshvars avait pivoté sur un axe central. On a même prononcé le mot de « falsification », parce que les Mages occidentaux auraient ainsi identifié après coup en Azerbaïdjan les lieux saints de l’histoire sacrée (l’Arax, le mont Savalân, la ville sainte de Shîz), sans que cette identification ait la moindre valeur « historique ».
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Corbin (CETC:33-37) – la cosmologie mazdéenne

Classé dans: — admin @ 12:00 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il est absolument nécessaire de nous remémorer ici le schéma d’ensemble de la cosmologie mazdéenne, c’est-à-dire le schéma d’ensemble qui articule le plérôme céleste de lumière. On ne peut malheureusement que le rappeler ici à grands traits. La vision mazdéenne partage la totalité pensable en une hauteur infinie de Lumière dans laquelle de toute éternité habite Ohrmazd (avestique Ahura Mazda), le « Seigneur Sagesse » — et un abîme insondable de Ténèbres qui recèle l’Antagoniste, la Contre-puissance de négation, de désintégration et de mort, Ahriman (avestique Angra Mainyu). Entre Puissance de Lumière et Contre-puissance de Ténèbres rien n’est commun : nul compromis de coexistence, mais combat sans merci dont notre Terre, et avec elle toute la Création visible, est le théâtre, jusqu’à la consommation de l’Aiôn, l’apokatastasis ou « rétablissement » qui mettra fin au mélange (gumechishn) par la séparation (vicharishn) rejetant dans leur abîme les Contre-puissances démoniaques.
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Corbin (CETC:39-42) – Xvarnah, Lumière-de-Gloire

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Maintenant, la tâche sera de rechercher comment et à quelles conditions, lorsque les données de la perception sensible sont portées comme à l’état diaphane par l’imagination active (lorsque le gêtîk est saisi dans son mênôk), se profile précisément la figure de l’Ange. Cette tâche revient à préciser quelle est cette Forme imaginale comme organe par lequel l’Imagination active, en percevant directement les choses, en opère la transmutation; comment il se fait que cette transmutation accomplie, ce soit sa propre Image que les choses réfléchissent à l’âme, et comment alors cette auto-reconnaissance de l’âme instaure une science spirituelle de la Terre et des choses terrestres, telle que ces choses soient connues dans leur Ange, comme le pressentit l’intuition visionnaire de Fechner.
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Corbin (CETC:54-58) – la retraite de Zarathoustra

Classé dans: — admin @ 12:57 am

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

On voit que dans l’un et l’autre cas analysé ici, l’intention et l’effort de l’âme tendent à configurer et à réaliser la Terre céleste, pour y permettre l’épiphanie des êtres de lumière. Il s’agit de gagner la Terre des visions, in medio mundi, là où les événements réels consistent dans les visions elles-mêmes. Et tels soin bien les événements que décrivent les Récits concernant l’investiture prophétique de Zarathoustra. Par une indication d’une sublime simplicité, le Zaratusht-Nameh (Le « Livre de Zoroastre » abrév. ici = Z.N.) nous le signifie : « Lorsque Zarathoustra eut trente ans accomplis, il eut le désir d’Eran-Vej et se mit en route avec quelques compagnons, hommes et femmes. » Avoir le désir d’Eran-Vej, c’est désirer la Terre des visions, c’est gagner le centre du monde, la Terre céleste où a lieu la rencontre des Saints Immortels. De lait les épisodes qui marquent la progression et l’entrée de Zarathoustra et de ses compagnons en Eran-Vej, le moment du temps où cette entrée s’accomplit, ne sont ni des événements extérieurs ni des dates relevant de la chronique : ce sont des épisodes et des indications hiérophaniques.
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Corbin (HL:12-14) – Géographie sacrée

Classé dans: — admin @ 12:36 am

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

L’orientation est un phénomène primaire de notre présence au monde. Le propre d’une présence humaine est de spatialiser un monde autour d’elle, et ce phénomène implique une certaine relation de l’homme avec le monde, son monde, cette relation étant déterminée par le mode même de sa présence au monde. Les quatre points cardinaux, est et ouest, nord et sud, ne sont pas des choses que rencontre cette présence, mais des directions qui en expriment le sens, son acclimatation à son monde, sa familiarité avec lui. Avoir ce sens, c’est s’orienter dans le monde. Les lignes idéales d’orient en occident, du septentrion au midi, forment un réseau d’évidences spatiales a priori, sans lesquelles il n’y aurait d’orientation ni géographique ni anthropologique. Les contrastes de l’oriental et de l’occidental, de l’homme du nord et de l’homme du sud, règlent aussi bien nos classifications idéologiques et caractérologiques.
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Shayegan (Corbin): L’herméneutique et Heidegger

Le passage de Heidegger à Sohrawardî a fait couler beaucoup d’encre : on y a décelé un signe de déception, une disparité et même un mélange incongru. Corbin s’y est expliqué clairement dans son entretien avec Philippe Nemo : « Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique. » Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre « climat de l’Être » (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l’analytique heideggerienne. Le « retour aux choses mêmes » que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l’âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat ou le monde de l’imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n’était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l’accès à un autre climat de l’être, et qui ne porta tout son fruit que lorsque Corbin, isolé à Istanbul en compagnie du Shaykh al-Ishrâq, en eut peu à peu la vision immédiate.
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Corbin (PM:30-33) –le secret de la condition seigneuriale

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Le dire, c’est atteindre ce que l’on désigne techniquement comme sirr al-robûbîya, le secret de cette condition seigneuriale, le secret qui la fonde et la rend possible, et sans lequel elle disparaît. Les Noms divins n’ont de sens et de réalité que par et pour des êtres pour qui ils sont les formes, les théophanies sous lesquelles la divinité se révèle à son fidèle. Al-Lâh, par exemple, est le Nom qui signifie l’Essence divine revêtue de tous ses Attributs. Al-Rabb, le « Seigneur », c’est le Divin personnifié et particularisé sous l’un de ses Noms et dans l’un de ses Attributs. Ces Noms divins, ce sont les « seigneurs », les « Dieux », d’où le Nom suprême comme « Seigneur des Seigneurs » (Dieu des Dieux disent le Deutéronome et Sohravardî), « le meilleur des Créateurs », dit le Qorân.
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18/12/2022

Corbin (PM:14-19) – Moments du paradoxe du monothéisme

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Les trois moments du paradoxe sont les suivants : 1) Sous sa forme exotérique, celle de la profession de foi qui énonce Lâ Ilâha illâ Allah, le monothéisme périt dans son triomphe, se détruit lui-même en devenant à son insu, volens nolens, une idolâtrie métaphysique. 2) Le monothéisme ne trouve son salut et sa vérité qu’en atteignant à sa forme ésotérique, celle-là même qui pour la conscience naïve semble le détruire, et dont le symbole de foi s’énonce sous cette forme : Laysa fî’l-wojûd siwâ Allah; « il n’y a dans l’être que Dieu ». Le monothéisme exotérique s’exhausse ainsi au niveau ésotérique et gnostique du théomonisme. Mais de même que le niveau exotérique subit sans cesse la menace d’une idolâtrie métaphysique, de même le niveau ésotérique est menacé d’un péril surgissant des méprises sur le sens du mot être. 3) Ce péril est conjuré par l’instauration d’une ontologie intégrale se présentant, nous allons le voir, comme une intégration à deux degrés; or, cette double intégration fonde eo ipso le pluralisme métaphysique.
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Corbin (HL:36-38): le Pasteur d’Hermas

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

La Figure-archétype qu’exemplifie l’apparition de la Nature Parfaite, assume donc envers l’homme de lumière, Phôs, pendant toute l’épreuve de son exil, un rôle que définit au mieux le terme de ποιμήν, le « pasteur », le veilleur, le guide. Précisément, c’est là un terme qui évoque aussi bien le prologue d’un texte hermétiste célèbre entre tous, que celui d’un texte chrétien qui en est peut-être l’écho. Chaque fois la scénographie présente les mêmes phases : d’abord le recueillement du visionnaire, sa retraite au centre de lui-même, moment de songe ou d’extase intermédiaire entre la veille et le sommeil; puis l’apparition et l’interrogation; puis la reconnaissance. C’est ainsi que le Noûs apparaît à Hermès, tandis que « ses sens corporels ont été mis en ligature » pendant un profond sommeil. Il lui semble que se présente à lui un être d’une taille prodigieuse qui l’appelle par son nom et lui demande : « Que veux-tu entendre et voir, et par la pensée apprendre et connaître? — Mais toi, qui donc es-tu? — Moi, je suis Poimandrès, le Noûs à l’absolue souveraineté. Je sais ce que tu veux et je suis avec toi partout… Subitement tout s’ouvrit devant moi en un moment, et je vis une vision sans limite, tout étant devenu lumière sereine et joyeuse, et ayant vu cette lumière, voici que je fus épris d’amour pour elle [Poimandrès, §§2-4 et 7-8: Corpus Hermeticum, éd. A.-D. Nock, trad. A.-J. Festugière, Paris, 1945, vol. I, pp. 7 et 9.]. » Selon le terme copte auquel on ramènera le nom de Poimandrès, on le comprendra comme le Noûs céleste, comme le pasteur ou comme le témoin, mais c’est bien la même vision qu’attestent ceux des spirituels iraniens parlant tantôt de la Nature Parfaite, comme l’Hermès de Sohravardî, tantôt du témoin dans le Ciel, du Guide personnel suprasensible, comme Najm Kobrâ ei son école.
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Corbin (HL:87-91) – La lumière verte

Classé dans: — admin @ 3:42 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Lumières qui montent et lumières qui descendent : le dhikr descend dans le puits du cœur et simultanément fait sortir le mystique du puits de ténèbres. Dans la simultanéité de ces mouvements concentriques s’annoncent l’éclosion et la croissance de l’organisme subtil de lumière. Les descriptions se compliquent et s’enchevêtrent pour se résoudre chez Najm Kobrâ en la visio smaragdina à laquelle préludent ces mouvements. « Notre méthode est la méthode de l’alchimie, déclare le shaykh; il s’agit d’extraire l’organisme subtil de lumière de dessous les montagnes sous lesquelles il gît prisonnier (§ 12). » « Il peut arriver que tu te visualises toi-même comme te trouvant au fond d’un puits, et comme si le puits s’animait d’un mouvement descendant de haut en bas. En réalité, c’est toi qui es en train de monter (ibid.). » Cette ascension (que l’on se rappelle la vision d’Hermès chez Sohravardî, son ascension aux créneaux du Trône), c’est la sortie progressive hors des montagnes dont on a vu précédemment (supra IV, 2) qu’elles étaient les quatre natures élémentaires, constitutives de l’organisme physique. Les états intérieurs concomitants de cette sortie se traduisent en visualisations de déserts, voire « de cités, de pays, de maisons, qui descendent d’en haut vers toi et qui ensuite disparaissent au-dessous de toi, comme si tu voyais une digue sur le rivage de la mer s’effondrer et disparaître dans celle-ci (§ 12). »
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Corbin (HL:24-27) – L’homme de lumière

Cette idée de l’« homme de lumière », nous en suivons la présence jusque dans le soufisme de Najm Kobrâ où les expressions arabes shakhs min nur, shakhs nurani donnent l’équivalent de l’expression grecque φωτεῖνος ἄνθρωπος. Quant à celle-ci, elle figure dans les documents hermétistes qui nous ont été transmis grâce à Zozime de Panopolis (IIIe siècle), le célèbre alchimiste dont la doctrine médite les opérations métallurgiques réelles comme types ou symboles de processus invisibles, de transmutations spirituelles. Cette doctrine réfère à la fois à un gnosticisme chrétien représenté pour elle par les « Livres des Hébreux », et à un platonisme hermétisant représenté par les « Livres saints d’Hermès ». Est commune aux uns et aux autres une anthropologie dégageant l’idée de l’homme de lumière de la façon suivante : il y a l’Adam terrestre, l’homme extérieur charnel (σάρκινος ἄνθρωπος) soumis aux Eléments, aux influences planétaires et au Destin; les quatre lettres composant son nom « chiffrent » les quatre points cardinaux de l’horizon terrestre. Et il y a l’homme de lumière (φωτεῖνος ἄνθρωπος), l’homme spirituel caché, pôle opposé de l’homme corporel : phôs. C’est une homonymie qui attestait ainsi dans la langue même l’existence de l’homme de lumière : φῶς, lumière et φῶς, l’homme, l’individu par excellence (le héros spirituel, correspondant en ce sens au persan javânmard). Adam est l’archétype des hommes de chair; Phôs (dont le nom propre personnel ne fut connu que du mystérieux Nicotheos) est l’archétype non pas des humains en général, mais des hommes de lumière : les φῶτες.
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Machado: Il n’y a pas de chemins…

Classé dans: — admin @ 11:23 am

Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C’est les traces
de tes pas
C’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier
Que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer

Antonio Machado (1875-1939)

Corbin : Vocabulaire de l’être

Classé dans: — admin @ 10:42 am

Extrait du préface du « Livre des Pénétrations Métaphysiques ».

Nous avons à considérer que, par sa métaphysique de l’être donnant de plein droit la primauté à l’acte d’exister, Mollâ Sadrâ opère une révolution qui détrône la vénérable métaphysique de l’essence, dont le règne durait depuis des siècles, depuis Fârâbî, Avicenne et Sohravardî. Même s’il n’est pas impossible d’en déceler antérieurement les indices précurseurs, cet acte révolutionnaire a chez Mollâ Sadrâ sa vertu propre, car il commande toute la structure de sa doctrine : la préséance de l’acte d’exister sur la quiddité conditionne la notion de l’existence (wojûd) comme présence (hodûr, hozur) ; celle-ci s’exprime en gnoséologie comme l’unification du sujet de la perception (à ses trois degrés : sensible, imaginative, intellective) avec l’objet de la perception ; chez le penseur shî’ite, elle permet un approfondissement de l’imâmologie qui dégage tout ce qu’implique la qualification des Imâms comme Témoins de Dieu (être témoin, être présent à) ; finalement elle conduit à une métaphysique de l’Esprit, de l’Esprit-Saint créateur, où le sens premier de l’être se révèle non pas comme l’être substantif (l’étant), ni comme l’être à l’infinitif (l’acte d’être), mais comme l’être à l’impératif (KN, esto ! ).
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