Sophia

20/12/2022

Corbin (PM:99-101) – l’angélologie

Classé dans: — admin @ 11:51 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

A partir du sens courant du mot grec Angelos, messager (qui a pour équivalent l’hébreu malakh, l’arabe malak, le persan fereshteh), nous avons à considérer les montées, les exhaussements de cette signification apparemment inoffensive, parce qu’elle est encore purement exotérique. Ces exhaussements ont leur lieu dans la gnose, dans l’ésotérisme (au sens étymologique de ce mot) des trois communautés abrahamiques, celles que le Qorân désigne comme Ahl al-Kitâb, les « communautés du Livre ». Ce que ces exhaussements confèrent au message de l’Ange, ce n’est rien de moins que le sens d’une fonction théophanique nécessaire. La nécessité de cette fonction théophanique découle du concept de la divinité comme absolument transcendante, et l’on perd souvent de vue le fait que, sans l’angélologie, ce qu’on appelle si facilement le monothéisme périt dans un triomphe illusoire. Pour le comprendre, nous aurons à nous rappeler tout d’abord comment le tawhîd, l’Acte unificateur de l’Unique a été médité jusqu’au vertige par les métaphysiciens mystiques en Islam. Et cette méditation ne prend toute sa résonance que si nous évoquons simultanément l’angélologie néoplatonicienne d’un Proclus, parce que de part et d’autre un même schéma métaphysique de l’être réserve à l’Ange, à l’Angelos, une fonction théophanique semblable.

Aussi bien les théosophes de l’Islam ont-ils inlassablement répété que les grands philosophes grecs avaient, eux aussi, reçu leurs hautes connaissances de la « Niche aux lumières de la prophétie » (Meshkât al-anwâr). Certes, une religion prophétique ne peut se passer de l’angélologie : fonction de l’Ange et mission des prophètes, ces deux articles de foi en Islam sont solidaires l’un de l’autre. Mais ce qui s’impose aux spirituels métaphysiciens, c’est l’idée d’une vocation commune au philosophe et au prophète. L’angélologie répond à la fois aux exigences ontologiques et herméneutiques d’une philosophie prophétique. Dès lors, c’est cette nécessité qu’il y a lieu de vérifier dans les différents schémas que nous proposent les cosmogonies angélologiques. Il y a la hiérarchie de l’angélologie néoplatonicienne, et il y a la hiérarchie de l’angélologie des théosophies issues de la Bible et du Qorân. De part et d’autre, ces hiérarchies correspondent à la hiérarchie des degrés de l’être. L’Ange est à la fois le hiérophante de l’être, le médiateur et l’herméneute des Verbes divins. La double nécessité de l’angélologie pour toute philosophie prophétique se manifeste par excellence dans l’idée du Verus Propheta, telle qu’elle fut professée à l’origine par la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, là même où la figure dominante fut celle d’un Christos Angelos, modelée sur celle de l’Archange Michaël, voire identifiée avec celui-ci.

Or, cette prophétologie du Verus Propheta est celle-là même dont hérita la prophétologie islamique et qui fructifia principalement dans les écoles ésotériques. Nous achèverons donc cet exposé en montrant la fonction théophanique de l’Ange dans les traités ésotériques de deux éminents représentants de la philosophie et de la spiritualité islamiques : Avicenne (ob. 1037) et Sohravardî (ob. 1191).

Ce n’est pas une analyse historique que nous proposons ici, pas plus que nous ne nous astreignons à suivre l’ordre chronologique. Nous tentons essentiellement une coordination thématique, autant que nous le permettent les limites de la présente esquisse.

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