Sophia

28/4/2009

La guerre des Sciences ou l’absurde conflit des frontières

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« L’opposition qui s’établit entre l’ambition métaphysicienne et l’activité scientifique pourrait se caractériser d’un côté par une prétention totalitaire, par un dogmatisme du transcendant impatient de réduire le détail des faits à l’obéissance définitive des principes rationnels, — de l’autre par une modestie animée de l’horreur d’avoir raison trop vite, qui se cantonne dans l’immanence et poursuit avec patience le déchiffrement d’une réalité de plus en plus complexe. Le cas de Descartes et de Galilée fournit ici un exemple significatif. La condamnation de Galilée en 1633 est un coup terrible pour le prudent Descartes; elle l’oblige à remanier son système et à en différer la publication. Mais cette solidarité première entre les deux hommes n’empêche pas une divergence essentielle entre le métaphysicien Descartes et Galilée qui figure l’un des premiers modèles du savant moderne. Descartes s’est exprimé là-dessus avec la plus grande netteté. Il reconnaît que Galilée s’est engagé dans la bonne voie : « Je trouve en général, écrit-il au père Mersenne, qu’il philosophe beaucoup mieux que le vulgaire en ce qu’il quitte le plus qu’il peut les erreurs de l’École et tâche à examiner les matières physiques par des raisons mathématiques. » Seulement ce premier point acquis, Descartes fait reproche à Galilée d’avoir adopté dans ces recherches une attitude qui lui paraît nettement insuffisante : « Il me semble, poursuit-il qu’il manque beaucoup en ce qu’il… ne s’arrête pas à expliquer tout à fait une matière; ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre, et que sans avoir considéré les premières causes de la nature il a cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi, qu’il a bâti sans fondement » (oct. 1638, édit. Adam Tannery, II, 380). Galilée a consacré sa longue carrière à des recherches précises; il a été l’un des organisateurs de la méthode expérimentale encore à ses débuts. Descartes considère avec une certaine pitié ce chercheur trop modeste qui n’a pas déterminé dans l’absolu les points de départ et d’arrivée de son enquête. Ce qui importe aux yeux du philosophe français, ce sont « les premières causes de la nature », — c’est-à-dire « les premiers principes métaphysiques de la science de la nature qui un siècle et demi plus tard préoccuperont encore Kant. »

G. Gusdorf, Vers une Métaphysique, cahier II : L’affirmation de la conscience métaphysique, Paris, CDU, p. 3-4. et Traité de Métaphysique, A. Colin, 1956, p, 84.

Parménide et Heraclite

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Schémas tactiques

L’Être parmênidien est une totalité nécessaire et belle, symbolisée, dans le célèbre poème, par la plénitude, la densité, l’harmonie d’une sphère, claire image de la perfection. Parménide est le premier des grands théologiens rationalistes, le véritable inventeur de l’argument ontologique, car l’être qu’il célèbre avec solennité ne peut pas ne pas être, la perfection de son essence l’établit pour éternellement dans l’existence, et l’impensable non-être est aussi bien l’impensable non-sens. La pluralité des êtres porterait invinciblement chacun à se penser différent, elle briserait et tuerait Dieu. Nul n’a dit mieux que Parménide et avec autant de simplicité métaphysique que le mal n’est pas puisque Dieu est. Le principe du mal, qui est la différence, se trouve radicalement extirpé. Certes il faut payer le prix d’une épuration aussi parfaite. Avec le mal c’est le monde sensible qui est convaincu d’illusion puisqu’en s’étalant dans l’espace, en se déployant dans le temps il nous propose un faux semblant de mouvement et de pluralité. La manière parménidienne de philosopher contre l’individu, le mal et la passion se retrouvera en Spinoza. Elle est une des constantes de l’esprit humain : oublie le tumulte du monde; souviens-toi de Midi le Juste et tu seras délivré du mal, c’est-à-dire du mensonge de l’apparence.

Avec Héraclite est récusée l’idée de ce Dieu existant si absolument qu’il réduirait l’être du monde à l’état de vain simulacre; la totalité nécessaire et belle est le monde lui-même haussé à l’existence éternelle et divine. Héraclite n’est nullement ce figurant des polémiques platoniciennes qui aurait dit hors des prises de la pensée un univers entraîné dans un flux perpétuel et toujours différent de soi. Le monde d’Héraclite change mais ce changement est gouverné du dedans par une loi de contradiction qui lui donne à la fois vérité et réalité. La discorde est partout entre les éléments et entre les cités, mais elle fait l’unité, le ciment du monde et se change ainsi en secrète concorde, la guerre entre le même et l’autre, entre l’assaillant et l’assailli composant cette dramatique harmonie qui fait l’identité de la raison et du monde. Poètes et prophètes bien-pensants qui souhaitent pieusement la disparition de la guerre sont des nihilistes pleins de haine pour le monde qui sans le conflit ne serait pas. Rien dès lors n’est jamais perdu et il n’est pas de mal qui ne soit moyen de Bien dès qu’il est compris par une raison dialectique; une-décadence annonce un progrès, une injustice une nouvelle justice, une mort une renaissance; le crépuscule toujours compensé par une aurore, tel est l’équivalent héraclitéen du plein soleil parménidien. Ce monde… est la totalité nécessaire et belle que nous disions avec cette variante que la nécessité cette fois est dialectique et ne cesse de lier le contraire au contraire. La philosophie héraclitéenne de la sagesse est aussi une constante de l’esprit et elle renaîtra avec Hegel et la postérité de Hegel. Fils de la Terre et d’une Terre au-dedans de laquelle la lutte des contraires accomplit la Justice : ces archaïques sont nos contemporains.

Le parménidien et l’héraclitéen se retrouveront donc tout au long de l’histoire; il leur arrivera de pratiquer l’un envers l’autre des moeurs d’intolérance et de proscription, car ils sont peu d’accord sur le fond des affaires humaines; leur éthique et leur politique sont faites pour s’affronter, le parménidien sera contemplatif et renverra volontiers l’action à la comédie du divertissement; l’héraclitéen fera de sa pensée une action et de son action une pensée, « praxis » dans le monde et au service du monde.

Et pourtant, parménidiens et héraclitéens ne cherchent pas la sagesse, parce qu’ils l’ont trouvée; ils savent où est la totalité nécessaire et belle; ils ont vaincu l’angoisse de la solitude et de la séparation; ils sont les plus religieux des hommes, eux qui se tiennent au-delà du problème du mal. Au-delà, ou peut-être en deçà. »

E. Borne, Le problème du mal, PUF, 1958, p. 71-73.

Bilan parmênidien

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Extrait de “L’Entrée en métaphysique", de Florent Gaboriau

« C’est toute la synthèse héraclitéenne qui se trouve niée, dans son fondement même par le poème de Parménide. Parménide s’oppose au : réalisme d’Heraclite et formule une exigence intérieure à la pensée elle-même. Il se penche sur la nécessité interne du jugement et suscite une nouvelle antinomie, alors qu’Heraclite pouvait légitimement croire les avoir toutes surmontées. La dialectique héraclitéenne ne laissait rien en dehors de son cercle, rien sauf le refus de la dialectique elle-même; et Parménide la nie. C’est toute la métaphysique d’Heraclite qui se trouve d’un coup opposée à l’intériorité même de la pensée, saisie d’ailleurs de façon toute formelle encore par les Èléates. Heraclite proclame l’identité de l’être et de la pensée, mais elle n’existe que dans la parfaite soumission au logos qui est cosmique. A son tour, Parménide va proclamer l’identité va de l’être et de la pensée, mais il la trouve dans l’intériorité même du jugement. Si la pensée est l’être, rien de ce qui change n’est vraiment, ni n’est vraiment pensable. L’identité, dirions-nous aujourd’hui, cesse d’être dialectique et s’oppose contradictoirement à l’identité dialectique accueillante au relatif et à la négation. »
Abel Jeannière, La pensée d’Heraclite d’Êphèse, Aubier, 1959, p. 93-94.

a) Heraclite « proclame l’identité de l’être et de la pensée ». Où?

b) Parménide le fait d’une « façon toute formelle encore ». (comme le dit la suite du texte cité). Est-ce prouvé?

c) La question enfin est de savoir si la pensée parménidienne n’est pas accueillante à une identité relative (excluant la contradictoire, mais n’identifiant pas tout jugement à une négation)?

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