Sophia

20/12/2022

Saint-Martin (Tanner:55-64) – la mythologie: son objet véritable

TANNER, André (org.). Claude de Saint-Martin. Paris: Engloff, 1946

… Le vulgaire ne voit dans les récits mythologiques que le jeu de l’imagination des écrivains, ou la corruption des traditions historiques, ou peut-être les effets de l’idolâtrie, de la crainte, ou du penchant des peuples pour les faits merveilleux. Ainsi, en exceptant quelques allégories ingénieuses, tout dans la Fable lui paraît bizarre, ridicule, extravagant.
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Corbin (Ibn Arabi:125-126) – l’unio sympathetica

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Nous voici peut-être à même d’appeler à fructifier le second indice que nous relevions précédemment dans l’expérience sophianique de « l’interprète des ardents désirs ». La dialectique d’amour, par sa mise en œuvre de l’Imagination active créatrice, a opéré au monde de celle-ci, c’est-à-dire au plan des théophanies, la réconciliation du spirituel et du physique, l’unification de l’amour spirituel et de l’amour physique dans une expérience une et unique de l’amour mystique. De cette réconciliation dépend la possibilité de « voir Dieu » (puisqu’il nous a été expressément rappelé que l’on ne peut adorer ni aimer un Dieu que «l’on ne voit pas »), non pas, certes, de cette vision dont il est dit que l’homme ne peut voir Dieu sans mourir, mais de cette vision sans laquelle l’homme ne peut vivre. Si cette vision est sa vie et non sa mort, c’est qu’elle est non pas l’impossible vision de l’Essence divine en sa nudité, en son absoluité, mais vision du Seigneur propre à chaque âme mystique, revêtu du Nom propre correspondant à la virtualité particulière de l’âme qui en est l’épiphanie concrète. Cette vision présuppose et actualise la codépendance éternelle (ta’alloq) de ce Seigneur (rabb) et de l’être qui est également son être, pour qui et par qui il est le Seigneur (son marbûb), puisque la totalité d’un Nom divin comporte le Nommé et le Nommant, l’un donnant l’être, l’autre le révélant, se mettant mutuellement « au passif » comme action l’un de l’autre, action qui est compassion, sympathesis. C’est cette interdépendance, cette unité de leur bi-unité, du dialogue où chacun tient de l’autre son rôle, que nous avons désignée comme une union mystique qui est en propre une unio sympathetica. Cette union recèle le « secret de la divinité» du Seigneur qui est ton Dieu (sirr al-robûbîya), ce secret qui est « toi » (Sahl Tostarî), et qu’il t’incombe à toi-même de soutenir et de nourrir de ton propre être ; l’union dans cette sympathesis, dans cette passion commune au Seigneur et à celui qui le fait (et en qui lui-même se fait) son Seigneur, cette union dépend de ta dévotion d’amour, de ta devotio sympathetica dont le repas d’hospitalité offert aux Anges par Abraham, est la préfiguration.

Corbin (CSTC:47-48) – les Événements en Erân-Vêj

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Aussi bien, quels sont les Événements qui s’accomplissent en Erân-Vêj? Il y a les liturgies mémorables, célébrées par Ohrmazd lui-même, par les êtres célestes, par les héros légendaires. C’est en Erân-Vêj qu’Ohrmazd lui-même célébra des liturgies en l’honneur d’Ardvî Sûrâ Anâhitâ « la Haute, la Souveraine, l’Immaculée », l’Ange-déesse des Eaux célestes, pour lui demander que Zarathoustra s’attache à lui et soit son prophète fidèle (Yashr v, 17 ). C’est à elle également que Zarathoustra demanda la conversion du roi Vîshtâspa (Yasht v, 104). C’est en Erân-Vêj que le beau Yima, « Yima l’éclatant de beauté, le meilleur des mortels », reçut l’ordre de construire l’enclos, le Var, où fut rassemblée l’élite de tous les êtres, les plus beaux, les plus gracieux, pour être préservés de l’hiver mortel déchaîné par les Puissances démoniaques, et pour repeupler un jour le monde transfiguré. Le Var de Yima comprend en effet, à la façon d’une cité, des maisons, des réserves, des remparts. Il a portes et fenêtres luminescentes qui sécrètent d’elles-mêmes la lumière à l’intérieur, car il est illuminé à la fois par des lumières incréées et par des lumières créées. Une fois seulement chaque année, on voit se coucher et se lever les étoiles, la lune et le soleil; c’est pourquoi une année ne semble qu’un jour. Tous les quarante ans, de chaque couple humain naît un autre couple, masculin et féminin. Et peut-être est ainsi suggérée la condition androgyne de ces êtres qui « vivent de la plus belle des vies dans le Var constant de Yima ».
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Corbin (CSTC:8-10) – mundus imaginalis

Classé dans: — admin @ 5:57 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il y a longtemps, nous le redirons ci-dessous, que la philosophie occidentale, disons la philosophie « officielle », entraînée dans le sillage des sciences positives, n’admet que deux sources du Connaître. Il y a la perception sensible, fournissant les données que l’on appelle empiriques. Et il y a les concepts de l’entendement, le monde des lois régissant ces données empiriques. Certes, la phénoménologie a modifié et dépassé cette gnoséologie simplificatrice. Mais il reste qu’entre les perceptions sensibles et les intuitions ou les catégories de l’intellect, la place était restée vide. Ce qui aurait dû prendre place entre les unes et les autres, et qui ailleurs occupait cette place médiane, à savoir l’Imagination active, fut laissé aux poètes. Que cette Imagination active dans l’homme (il faudrait dire Imagination agente, comme la philosophie médiévale parlait de l’Intelligence agente) ait sa fonction noétique ou cognitive propre, c’est-à-dire qu’elle nous donne accès à une région et réalité de l’Être qui sans elle nous reste fermée et interdite, c’est ce qu’une philosophie scientifique, rationnelle et raisonnable, ne pouvait envisager. Il était entendu pour elle que l’Imagination ne sécrète que de l’imaginaire, c’est-à-dire de l’irréel, du mythique, du merveilleux, de la fiction, etc.
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Corbin (Ibn Arabi:151-152) – Le Dieu crée dans les croyances

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est une double Epiphanie (tajalli) initiale qui détend la tristesse de l’Etre Divin, le « Trésor Caché » aspirant à sortir de sa solitude d’inconnaissance : l’une dans le monde du Mystère (’âlam al-ghayb), l’autre, dans le monde du phénomène (’âlam al-shahâdat). La première c’est l’Epiphanie de l’Etre Divin à soi-même et pour soi-même, dans les essences archétypes, les heccéités éternelles de ses Noms qui aspirent à leur Manifestation concrète. Cela, c’est l’Effusion sacrosainte (fayd aqdas) au plan ou à la « Présence des Noms » (Hadrat al-Asmâ’). La seconde, c’est l’Epiphanie dans le monde manifesté, c’est-à-dire dans les êtres qui sont les formes ou les réceptacles épiphaniques (mazâhir) des Noms divins. C’est l’Effusion sainte, « hiératique » et « hiérophanique » (fayd moqaddas) faisant paraître à la Lumière ces formes qui, comme autant de miroirs, reçoivent le reflet de la pure Essence divine dans la mesure de leur capacité respective. Cette double Epiphanie est typifiée dans les Noms divins « le Caché et le Révélé, le Premier et le Dernier », dont Ibn ’Arabî illustrera la vérification expérimentale dans sa pratique théosophique de la Prière.
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Corbin (Ibn Arabi:92-93) – Le « Dieu pathétique »

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les prémisses de la théologie négative sont si loin d’exclure de par elles-mêmes toute situation dialogique, qu’elles importent au contraire pour en fonder l’authenticité. Ainsi en va-t-il pour la gnose en Islam, dont les prémisses ont maint trait commun avec celles de la Gnose en général, celles qui sont aussi les plus irritantes pour toute dogmatique en souci de définir rationnellement. La structure est constante : il y a « Ce qui origine » ; au-delà de l’être « qui est », le « Dieu qui n’est pas » (ούκ ὤν θεός, de Basilide), c’est-à-dire le Theos agnostos, le Dieu inconnaissable et imprédicable ; et il y a le Dieu révélé, son Νοῦς qui pense et qui œuvre, qui supporte les attributs divins, et est capable de relation. Or, ce n’est pas en cherchant un compromis au profit de l’une ou l’autre notion, mais en maintenant fermement la simultanéité de la vision, que l’on en arrive à parler d’un Dieu pathétique, non point comme une revendication théorique contre les théologies positives soucieuses du dogme de l’immutabilité divine, mais comme une progression interne effectuant expérimentalement le passage de l’Abîme et du Silence suressentiels à des Figures et à des énoncés positivement fondés.
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Corbin (Ibn Arabi:117-118) – Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ?

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

De tous les maîtres du soufisme, Ibn Arabi est (avec Ruzbehan de Shiraz) l’un de ceux qui ont poussé le plus loin l’analyse des phénomènes de l’amour ; il y a mis en oeuvre une dialectique très personnelle, éminemment propre à nous découvrir quel est le ressort de la dévotion totale professée par les « Fidèles d’amour ». De ce que nous avons esquissé jusqu’ici, surgit la question : Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ? Et comment est-il possible d’aimer Dieu ? Ce sont là des expressions que la langue religieuse emploie ailleurs comme s’il s’agissait d’évidences allant de soi. Or, ce n’est pas si simple. Ibn Arabi nous fait progresser par une double constatation : « J’en atteste Dieu, écrit-il, si nous en étions restés aux seuls arguments rationnels de la philosophie, lesquels, s’ils nous font connaître l’Essence divine, ne le font que d’une manière négative, il est sûr qu’aucune créature n’eût jamais éprouvé d’amour pour Dieu… La religion positive nous apprend qu’il est ceci et cela ; ce sont des attributs dont les apparences exotériques sont absurdes pour la raison philosophique, et cependant c’est à cause de ces attributs positifs que nous l’aimons. » Après cela seulement, il incombe à la religion de nous dire : Rien ne lui ressemble. Mais d’autre part, Dieu ne peut nous être connu que dans ce que nous éprouvons de lui, de sorte que « nous puissions le typifier et le prendre comme objet de notre contemplation, aussi bien dans l’intime de nos cœurs que devant nos yeux et dans notre imagination, comme si nous le voyions, ou mieux dit, de telle sorte que nous le voyions réellement… Il est celui qui dans chaque être aimé se manifeste au regard de chaque amant… de même que nul autre que lui n’est adoré, car il est impossible d’adorer un être sans se représenter en lui la divinité… Ainsi en va-t-il pour l’amour : un être n’aime en réalité personne d’autre que son créateur. » La propre vie d’Ibn Arabi nous fournit sur tous ces points le gage d’une expérience personnelle.
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Corbin (Ibn Arabi:160-161) – besoin d’une herméneutique ou ta’wîl

« Si tu déclares que telle forme est Dieu, c’est que tu l’homologues parce qu’elle est une forme d’entre les formes où il se manifeste (mazhar) ; mais si tu dis qu’elle est autre chose, autre que Dieu, c’est que tu l’interprètes, de la même manière qu’il t’incombe d’interpréter les formes vues en rêve. » Mais homologation et interprétation ne valent que simultanément, car alors dire que la forme théophanique est autre que Dieu, cela n’est nullement la déprécier comme « illusoire », c’est au contraire la valoriser et la fonder comme symbole référant au symbolisé (marmûz ilayhi), lequel est l’Etre Divin. En effet, l’être révélé (zâhir) est Imagination théophanique, et simultanément sa vraie réalité cachée (bâtin) est l’Etre Divin. C’est parce que l’être révélé est Imagination, qu’une herméneutique des formes manifestées en lui est nécessaire, c’est-à-dire un ta’wîl qui « reconduise » (selon l’étymologie du mot ta’wîl) ces formes à leur vraie réalité. Non seulement le monde du rêve mais le monde que nous appelons communément le monde de la veille, tous deux ont même et égal besoin d’une herméneutique. Mais notons bien ceci : si le monde est création récurrente (khalq jadîd) et récurrence d’épiphanies, si comme tel il est Imagination théophanique, si dès lors il a besoin d’une herméneutique ou ta’wîl, c’est donc bien la création récurrente, imperceptible aux sens, qui en dernier ressort fait que le monde soit Imagination et ait besoin d’une herméneutique tout comme les rêves. La sentence attribuée au Prophète : « Les humains dorment, à leur mort ils se réveillent », donne à comprendre que tout ce que les humains voient dans leur vie terrestre est du même ordre que les visions contemplées en songe. La supériorité du rêve sur les données positives de la veille est même là : permettre, ou plutôt requérir une interprétation qui dépasse les données, parce que ces données signifient autre chose que ce qui se montre. Elles manifestent (et tout le sens des fonctions théophaniques est là). On n’interprète pas ce qui n’a rien à vous apprendre, ne signifie rien de plus que ce qu’il est. C’est parce que le monde est Imagination théophanique, qu’il est constitué d’« apparitions » demandant à être interprétées et dépassées. Mais alors aussi c’est par la seule Imagination active que la conscience, éveillée à la vraie nature du monde comme « apparition », peut en dépasser les données, et par là se rendre apte à de nouvelles théophanies, c’est-à-dire à une ascension continue. L’opération imaginative initiale sera de typifier (tamthîl) les réalités immatérielles et spirituelles dans les formes extérieures ou sensibles, celles-ci devenant alors le « chiffre » de ce qu’elles manifestent. L’Imagination reste ensuite la motrice de ce ta’wîl qui est ascension continue de l’âme.

Corbin (Ibn Arabi:87-88) – la communauté d’essence entre visible et invisible

Classé dans: — admin @ 2:33 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans un traité sur «l’art hiératique des Grecs», Proclus, cette haute figure du néoplatonisme tardif dont l’étude fut pendant longtemps délaissée, écrit ceci : « Comme on le fait dans la dialectique d’amour, on part des beautés sensibles pour s’élever jusqu’à ce que l’on rencontre le principe unique de toute beauté et de toute idée, ainsi que les adeptes de la science hiératique prennent pour point de départ les choses apparentes et les « sympathies » qu’elles manifestent entre elles et avec les puissances invisibles. Observant que tout est en tout, ils ont posé les fondements de la hiératique, s’étonnant de voir et admirant dans les réalités premières les derniers venus des êtres et dans les derniers les tout premiers ; dans le ciel, les choses terrestres selon un mode causal et célestement, et sur la terre, les choses célestes dans une condition terrestre. » Exemple : l’héliotrope et sa prière. « Quelle autre raison peut-on donner du fait que l’héliotrope suit par son mouvement le mouvement du soleil, et le sélénotrope le mouvement de la Lune, faisant cortège dans la mesure de leur pouvoir, aux flambeaux du monde ? Car, en vérité, toute chose prie selon le rang qu’elle occupe dans la nature, et chante la louange du chef de la série divine à laquelle elle appartient, louange spirituelle, ou louange rationnelle ou physique ou sensible ; car l’héliotrope se meut selon qu’il est libre de son mouvement, et dans le tour qu’il fait, si l’on pouvait entendre le son de l’air battu par son mouvement, on se rendrait compte que c’est un hymne à son roi, tel qu’une plante peut le chanter. »
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Corbin (Ibn Arabi:67-69) – le soufisme

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce titre ne fait qu’énoncer le thème de l’enquête à laquelle aboutiraient normalement les pages qui précèdent, et celles-ci en limitent pour autant la généralité. En fait, il s’agirait d’analyser la situation respective de l’ésotérisme par rapport à l’Islam et par rapport au christianisme, pour discerner dans quelle mesure cette situation est homologable. Même en délimitant ainsi le champ de la recherche, on s’aperçoit qu’elle nécessiterait un minimum de travaux préalables qui nous font encore défaut. Au surplus, chaque chercheur est forcément limité par le champ de son expérience et de ses observations personnelles. Ce que l’on va en dire ici, le sera donc surtout à titre d’indication et d’esquisse.
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Corbin (Ibn Arabi:209-210) – voir Dieu, le jamais vu

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ayons alors bien présent à la pensée un double leitmotiv : la réponse de Dieu à Moïse, enregistrée dans le texte qorânique : « Tu ne me verras pas » — et le célèbre hadîth de la vision (hadith al-rû’ya), que ce fût vision en songe ou vision extatique, où le Prophète atteste : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or (ou d’une robe verte, selon une variante) ; sur sa chevelure, une mitre d’or; à ses pieds, des sandales d’or.» Refus de la vision et attestation de cette vision ; les deux motifs forment ensemble déjà une coincidentia oppositorum. Mais de plus, l’Image récurrente aussi bien dans le hadîth de la vision prophétique que dans l’expérience personnelle d’Ibn ’Arabî, est une Image du puer aeternus, symbole plastique visionnaire de cette même coincidentia oppositorum, bien connu des psychologues. Dès lors une triple question se fait jour : Qui est cette Image ? D’où vient-elle et quel en est le contexte ? Quel degré d’expérience spirituelle annonce son apparition, c’est-à-dire quelle réalisation de l’être est opérée dans et par cette Image ?
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Corbin (Ibn Arabi:198) – l’oraison, récurrence de la Création

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Approfondir ce sens créatif de la Prière, c’est voir comment elle accomplit chaque fois pour sa part ce vœu de l’Etre Divin aspirant à créer l’univers des êtres, à se révéler en eux pour être connu de soi-même, bref le vœu du Deus absconditus ou Theos agnostos aspirant à la Théophanie. Chaque oraison, chaque instant de chaque oraison, est alors une récurrence de la Création (tajdid al-khalq), une Création nouvelle (khalq jadid), telle que nous en avons vu précédemment le sens. A la créativité de la Prière est lié le sens cosmique de la Prière, ce sens que percevait si bien Proclus dans la prière de l’héliotrope. Ce sens cosmique apparaît dans deux sortes d’homologations qu’esquissent Ibn Arabi et ses commentateurs, et qui ont cet extrême intérêt de nous montrer le soufisme reproduisant, en Islam même, les démarches et configurations mentales de la conscience mystique connues par ailleurs, notamment dans l’Inde. Une de ces homologations consiste pour l’orant à se représenter soi-même comme étant l’Imam de son propre microcosme. Une autre consiste à homologuer les gestes rituels de la Prière (accomplie en privé) avec les « gestes » de la Création de l’univers qui est le macrocosme. Ces homologations sous-tendent le sens de la Prière comme créatrice ; elles en préparent, fondent et justifient le dénouement visionnaire, puisque précisément comme création nouvelle, elle signifie épiphanie nouvelle (tajalli). Nous progressons ainsi vers le dénouement : l’Imagination créatrice au service de la Prière créatrice, dans la concentration de toutes les puissances du cœur, la himma.

Corbin (Ibn Arabi:143-144) – J’étais un Trésor caché…

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Il est nécessaire avant tout, de nous remémorer les actes de la cosmogonie éternelle conçue par le génie d’Ibn ’Arabî. Un Etre Divin esseulé en son essence inconditionnée, dont nous ne connaissons qu’une chose : précisément la tristesse de cette solitude primordiale, qui le fait aspirer à se révéler dans des êtres qui le manifestent à lui-même pour autant qu’il se manifeste à eux. C’est cette Révélation que nous percevons ; c’est elle qu’il nous faut méditer pour connaître qui nous sommes. Le leitmotiv énonce non pas la fulguration d’une Omnipotence autarcique, mais une nostalgie foncière : « J’étais un Trésor caché, j’ai aimé à être connu. C’est pourquoi j’ai produit les créatures afin de me connaître en elles. » Cette phase est représentée comme la tristesse des Noms divins s’angoissant dans l’inconnaissance, parce que personne ne les nomme, et c’est cette tristesse que vient détendre cette Spiration divine (tanaffos) qui est Compatissance (Rahma) et existentiation (îjâd), et qui dans le monde du Mystère est Compassion de l’Etre Divin avec et pour soi-même, c’est-à-dire pour ses propres Noms. Ou encore, origine et principe sont une détermination de l’amour, lequel comporte mouvement d’ardent désir (harakat shawqîya) chez celui qui est épris. A cet ardent désir, le Soupir divin apporte sa détente.
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Corbin (Ibn Arabi:110-111) – le poème sophianique d’un « fidèle d’amour »

Classé dans: — admin @ 1:35 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans le prologue du Dîwân qu’il a intitulé « L’interprète des ardents désirs », Ibn ’Arabî relate ainsi les circonstances de sa composition : « Lorsque pendant l’année 598 h. (= 1201 A. D.) je séjournais à La Mekke, je fréquentais une société de personnes éminentes, hommes et femmes, formant une élite des plus cultivées et des plus vertueuses. Quelle que fût leur distinction, je ne vis cependant parmi elles personne qui égalât le sage docteur et maître Zâhir ibn Rostam, originaire d’Ispahan mais ayant pris résidence à La Mekke, ainsi que sa sœur, la vénérable ancienne, la savante du Hedjâz, appelée Fakhr al-Nisâ’ (la « Gloire des femmes ») Bint Rostam. » Ici Ibn ’Arabî s’étend avec complaisance sur d’agréables souvenirs, mentionnant, entre autres, les livres qu’il étudia sous la direction du shaykh en compagnie de la sœur de celui-ci. Tout cela n’est encore que préparatifs pour introduire le motif qui est à l’origine des poèmes constituant le Dîwân.
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Corbin (Ibn Arabi:98-99) – le Seigneur

Classé dans: — admin @ 1:15 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les deux termes nous avaient été proposés comme formant antithèse [unio mystica et unio sympathetica]. La voie que suit notre recherche semble bien nous conduire à un schéma d’expérience spirituelle où, loin de s’exclure, ils s’interprètent l’un par l’autre. Récapitulons les étapes : chaque être est une forme épiphanique (mazhar, majla) de l’Etre divin qui s’y manifeste comme revêtu de l’un ou de plusieurs de ses Noms. L’univers est la totalité des Noms dont Il se nomme quand nous Le nommons par eux. Chaque Nom divin manifesté est le seigneur (rabb) de l’être qui le manifeste (c’est-à-dire qui est son mazhar). Chaque être est la forme épiphanique de son Seigneur propre (al-rabb al-khâss), c’est-à-dire ne manifeste l’Essence divine que chaque fois particularisée et individualisée dans ce Nom. Aucun être déterminé et individualisé ne peut être la forme épiphanique du Divin en sa totalité, c’est-à-dire de l’ensemble des Noms ou des « Seigneurs ». « Chaque être, dit Ibn ’Arabî, n’a comme Dieu que son Seigneur en particulier, il est impossible qu’il ait le Tout. »
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Corbin (Ibn Arabi:147-148) – le monde lumineux des Idées-Images

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Le monde ou le plan d’être intermédiaire correspondant en propre à la fonction médiatrice de l’Imagination, la « cosmographie » mystique le désigne comme le monde lumineux des Idées-Images, des Figures d’apparition (’âlam mithâlî nûrâni). Certes, la préoccupation première d’Ibn ’Arabî vise les connexions des visions avec la faculté imaginative d’une part, avec l’inspiration divine d’autre part. En fait, tout le concept métaphysique de l’Imagination se trouve engagé dans l’instauration de ce monde intermédiaire. Toutes les réalités essentielles de l’être (haqâ’iq al-wojûd) y sont manifestées en Images réelles; et pour autant qu’une chose manifestée aux sens ou à l’intellect, possède une signification qui, en dépassant la simple donnée, fait de cette chose un symbole, et pour autant qu’elle exige ainsi une herméneutique (ta’wîl), la vérité symbolique de cette chose implique une perception au plan de l’Imagination active. La sagesse qui prend en charge ces significations, celle qui restituant les choses en symboles, a pour objet propre ce monde intermédiaire d’images subsistantes, est une sagesse de lumière (hikmat nûrîya) qui est typifiée dans la personne de Joseph comme interprète exemplaire des visions. La métaphysique de l’Imagination emprunte, chez Ibn ’Arabî, bien des traits à la « théosophie orientale » de Sohravardî. L’Imagination active est essentiellement l’organe des théophanies, parce qu’elle est l’organe de la Création, et que la Création est essentiellement théophanie. Aussi bien, avons-nous dit, dans la mesure même où l’Etre Divin est Créateur parce qu’il a voulu se connaître dans des êtres qui le connaissent, il est impossible de dire que l’Imagination soit « illusoire », puisqu’elle est l’organe et la substance de cette auto-révélation. Notre être manifesté est cette Imagination divine ; notre propre Imagination est Imagination dans la sienne.

Corbin (Ibn Arabi:214-215) – l’Alter Ego divin

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce prélude — qui n’est un prélude que parce qu’il est l’aboutissement de toute une expérience spirituelle — se présente comme un dialogue d’une extraordinaire lucidité à la limite de la conscience et de la transconscience, entre le moi humain et son Alter Ego divin. Ibn ’Arabî est en train d’accomplir ses circumambulations autour de la Ka’ba, et voici que devant la Pierre Noire, il rencontre l’être mystérieux qu’il reconnaît et qu’il désigne comme « le Jouvenceau évanescent, le Parlant-Silencieux, celui qui n’est ni vivant ni mort, le composé-simple, l’enveloppé-enveloppant », autant de termes accumulés (avec réminiscences alchimiques) pour signifier la coincidentia oppositorum. A ce moment, le visionnaire a un doute : « Ce processionnal ne serait-il autre chose que la Prière rituelle d’un vivant autour d’un cadavre (la Ka’ba) ? » « Regarde, lui dit le Jouvenceau mystique, le secret du Temple avant qu’il s’échappe. » Et le visionnaire voit soudain le Temple de pierre devenir un être vivant. Il comprend quel est le rang spirituel de son Compagnon ; il baise sa main droite ; il veut devenir son disciple, apprendre de lui tous ses secrets ; il n’enseignera pas autre chose. Mais celui-ci ne parle que par symboles ; il n’a d’autre éloquence que celle des énigmes. Et sur un signe mystérieux de reconnaissance, le visionnaire est submergé sous une telle puissance d’amour qu’il perd conscience. Quand il revient à lui, son Compagnon lui dévoile : « Je suis la Connaissance, je suis ce qui connaît et je suis ce qui est connu. »
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Corbin (PM:99-101) – l’angélologie

Classé dans: — admin @ 11:51 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

A partir du sens courant du mot grec Angelos, messager (qui a pour équivalent l’hébreu malakh, l’arabe malak, le persan fereshteh), nous avons à considérer les montées, les exhaussements de cette signification apparemment inoffensive, parce qu’elle est encore purement exotérique. Ces exhaussements ont leur lieu dans la gnose, dans l’ésotérisme (au sens étymologique de ce mot) des trois communautés abrahamiques, celles que le Qorân désigne comme Ahl al-Kitâb, les « communautés du Livre ». Ce que ces exhaussements confèrent au message de l’Ange, ce n’est rien de moins que le sens d’une fonction théophanique nécessaire. La nécessité de cette fonction théophanique découle du concept de la divinité comme absolument transcendante, et l’on perd souvent de vue le fait que, sans l’angélologie, ce qu’on appelle si facilement le monothéisme périt dans un triomphe illusoire. Pour le comprendre, nous aurons à nous rappeler tout d’abord comment le tawhîd, l’Acte unificateur de l’Unique a été médité jusqu’au vertige par les métaphysiciens mystiques en Islam. Et cette méditation ne prend toute sa résonance que si nous évoquons simultanément l’angélologie néoplatonicienne d’un Proclus, parce que de part et d’autre un même schéma métaphysique de l’être réserve à l’Ange, à l’Angelos, une fonction théophanique semblable.
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Corbin (Ibn Arabi:139-140) – L’Imago-Magia

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

« La notion de l’imagination, intermédiaire magique entre la pensée et l’être, incarnation de la pensée dans l’image et position de l’image dans l’être, est une conception de la plus haute importance qui joue un rôle de premier plan dans la philosophie de la Renaissance et qu’on retrouve dans celle du Romantisme. » Cette observation relevée chez l’un de nos meilleurs interprètes des doctrines de Boehme et de Paracelse, nous fournit la meilleure introduction à la seconde partie du présent livre. Nous en retiendrons d’une part la notion de l’imagination comme étant la production magique d’une image, le type même de l’action magique, voire de toute action comme telle, mais par excellence de toute action créatrice ; et d’autre part la notion de l’image comme d’un corps (un corps magique, un corps mental) dans lequel s’incarnent la pensée et la volonté de l’âme. L’Imagination comme puissance magique créatrice qui, donnant naissance au monde sensible, produit l’Esprit en formes et en couleurs ; le monde comme Magia divina « imaginée » par la divinité « imagicienne », c’est cette antique doctrine, typifiée dans la juxtaposition des mots Imago-Magia, qu’un Novalis retrouvait à travers Fichte. Mais ici une mise en garde initiale s’impose : cette Imaginatio ne doit surtout pas être confondue avec la fantaisie. Comme l’observait déjà Paracelse, à la différence de l’Imaginatio vera, la fantaisie (Phantasey) est un jeu de la pensée, sans fondement dans la nature, elle n’est que « la pierre angulaire des fous ».
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Corbin (Ibn Arabi:190-191) – la prière

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Que dans une doctrine comme celle d’Ibn ’Arabî la Prière assume encore une fonction, voire une fonction essentielle, on a pu tantôt s’en étonner comme d’un paradoxe, tantôt en dénier l’authenticité. C’est qu’au fond en se hâtant de classer sa doctrine de l’« unité transcendantale de l’être » dans ce que nous appelons monisme et panthéisme, avec le sens que prennent ces mots dans notre histoire de la philosophie moderne, on rendait en effet difficile de comprendre quel sens peut encore garder ce qu’on appelle la Prière. C’est ce sens que nous nous proposons de dégager en parlant de « Prière créatrice », cela dans le contexte où la Création vient de nous être montrée comme une théophanie, c’est-à-dire comme Imagination théophanique. (Peut-être les analyses qui précèdent auront-elles au moins pour fruit de suggérer quelques réserves à l’égard des jugements trop hâtifs ; ce vœu ne signifie pourtant pas que nous songions à intégrer de force la théosophie d’Ibn ’Arabî à l’orthodoxie commune de l’Islam exotérique !) La structure théophanique de l’être, la relation qu’elle détermine entre Créateur et créature, implique, certes, l’unité de leur être (parce qu’il est impossible de concevoir de l’être extrinsèque à l’être absolu). Mais le propre de cet être d’essence unique est de se différencier, de se « personnaliser » en deux modes d’existence correspondant à son être caché et à son être révélé. Certes, le révélé (zâhir) est bien la manifestation (zohûr) du caché (bâtin) ; ils forment une unité indissoluble ; cela ne veut pas dire leur identité existentielle. Car existentiellement, le manifesté n’est pas le caché, l’exotérique n’est pas l’ésotérique, le fidèle n’est pas le seigneur, la condition humaine (nâsût) n’est pas la condition divine (lâhût), bien qu’une même réalité essentielle foncière conditionne leur diversification ainsi que leur codépendance réciproque, leur bi-unité.
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Corbin (PM:12-13) – Le paradoxe du monothéisme

Classé dans: — admin @ 1:01 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

[…] Ce paradoxe est de nature essentiellement théologique et philosophique. Lorsque l’on parle des « religions monothéistes », on vise en général le groupe des trois grandes religions abrahamiques : judaïsme, christianisme, Islam.
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Corbin (Ibn Arabi:202) – le dhikr

Classé dans: — admin @ 12:44 am

L’enjeu, pour le disciple d’Ibn ’Arabî, est donc grave. Que chacun s’éprouve soi-même et discerne son état spirituel, car ainsi que le déclare un verset qorânique : « L’homme est un témoin qui dépose contre lui-même, quelque excuse qu’il profère (75/14-15). » S’il ne perçoit pas les « répons » divins au cours de l’Oraison, c’est qu’il n’est pas réellement présent avec son Seigneur ; incapable d’entendre et de voir, il n’est pas réellement un mosallî, un orant, ni quelqu’un « qui a un coeur, qui prête l’oreille et est un témoin oculaire » (40/36). Ce que nous avons appelé la « méthode d’oraison » d’Ibn ’Arabî comporte ainsi trois degrés : présence, audition, vision. Quiconque manque l’un de ces trois degrés, reste en dehors de l’Oraison et de ses effets, lesquels sont liés à l’état de fanâ’. Ce mot, nous l’avons vu, ne signifie pas dans la terminologie d’Ibn ’Arabî « l’anéantissement » de la personne, mais son occultation à soi-même, et telle est la condition pour percevoir le dhikr, le répons divin qui est, cette fois, l’action du Seigneur mettant son fidèle au présent de sa propre Présence.
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Corbin (Ibn Arabi:155-156) – l’idée de création récurrente

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est un des termes-clefs du système théosophique d’Ibn ’Arabî ; l’idée de création récurrente, création nouvelle (khalq jadîd), met en cause la nature même de la Création. Or, nous avons déjà vu qu’il n’y a point de place dans la pensée d’Ibn ’Arabî pour une création ex nihilo, pour un commencement absolu, précédé de rien. L’existentiation d’une chose qui n’aurait pas eu déjà d’existence, une opération créatrice qui aurait eu lieu une fois pour toutes et serait maintenant achevée, constituent pour lui autant d’absurdités théoriques et pratiques. La Création comme « règle de l’être », c’est le mouvement prééternel et continuel par lequel l’être est manifesté à chaque instant sous un revêtement nouveau. L’Etre créateur, c’est l’essence ou la substance prééternelle et postéternelle qui se manifeste à chaque instant dans les formes innombrables des êtres ; lorsqu’il s’occulte en l’une, il s’épiphanise en une autre. L’Etre créé, ce sont ces formes manifestées, diversifiées, successives et évanescentes, ayant leur subsistance non pas dans leur autonomie fictive, mais dans l’être qui se manifeste en elles et par elles. La création ne signifie donc rien de moins que la Manifestation (zohûr) de l’Etre Divin caché (Bâtin), dans les formes des êtres : dans leur heccéité éternelle d’abord, dans leur forme sensible ensuite, et cela par un renouvellement, une récurrence d’instant en instant depuis la prééternité. C’est cela cette « création nouvelle » à laquelle pour le théosophe, fait allusion le verset qorânique : « Serions-Nous fatigué par la première Création, pour qu’ils soient dans le doute d’une création nouvelle ? » (50/14).
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19/12/2022

Corbin (PM:22-23) – les Sages de Dieu, les théosophes

C’est pourquoi les Sages de Dieu, les théosophes, sont dénommés en fonction de leur mode de vision : 1) Il y a celui qui possède l’intellect (dhû’l-’aql, l’homme du ilm al-yaqîn); c’est celui qui voit le créaturel comme étant ce qui est manifesté, apparent, exotérique, et le Divin comme étant ce qui est occulté, caché, ésotérique. Pour celui-là le Divin est le miroir montrant la créature, mais il ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 2) Il y a celui qui possède la vision (dhû’l ’ayn, l’homme du ‘ayn al-yaqîn). Celui-là, à l’inverse du premier, voit le Divin comme ce qui est manifesté, visible, et le créaturel comme étant ce qui est occulté, caché, non apparent. Alors, pour celui-là, c’est le créaturel qui est le miroir montrant la divinité, mais lui non plus ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 3) Et puis il y a celui qui possède à la fois l’intellect et la vision (l’homme du haqq al-yaqîn). C’est le hakîm mota’allih, le théosophe mystique, le « hiératique » au sens néoplatonicien du mot. Celui-là voit simultanément la divinité dans la créature, l’Un dans le multiple, et le créaturel dans la divinité, la multiplicité des théophanies dans l’Unitude qui se « théophanise ». Il voit l’identité de l’Acte-être unitif (le 1 x 1 x 1, etc.) dans tous les êtres actualisés en autant de monades ou d’unités. Pas davantage l’unité hénadique, qui monadise toutes les monades et constitue en unités multiples tous les êtres, ne l’aveugle à la multiplicité des formes épiphaniques (mazâhir) dans lesquelles cette Unitude de l’Un primordial s’épiphanise. Ici les deux miroirs se réfléchissent l’un dans l’autre.
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Corbin (ARV:39-41) – le symbole et l’allégorie

CORBIN, Henry. Avicenne et le récit visionnaire. Berg, 1979

Le symbole n’est pas un signe artificiellement construit; il éclôt spontanément dans l’âme pour annoncer quelque chose qui ne peut pas être exprimé autrement; il est l’unique expression du symbolisé comme d’une réalité qui devient ainsi transparente à l’âme, mais qui en elle-même transcende toute expression. L’allégorie est une figuration plus ou moins artificielle de généralités ou d’abstractions qui sont parfaitement connaissables ou exprimables par d’autres voies. Pénétrer le sens d’un symbole n’équivaut nullement à le rendre superflu ni à l’abolir, car il reste toujours la seule expression du signifié avec lequel il symbolise (1). On ne peut jamais prétendre l’avoir dépassé une fois pour toutes, à moins précisément de le dégrader en allégorie, d’en fournir des équivalences rationnelles, générales et abstraites. L’exégète doit prendre garde qu’il se ferme alors la voie du symbole conduisant hors de ce monde. « Mithâl » est donc symbole et non allégorie. Les schémas formés sur la même racine sont à préciser dans le même sens. « Tamthîl » n’est pas une « allégorisation », mais la typification, l’exemplification privilégiée d’un archétype (2). « Tamaththol » c’est l’état de la chose sensible ou imaginale qui possède cette investiture de l’archétype, et cette investiture en la faisant symboliser avec lui, l’exhausse à son maximum de sens. L’exhaussement peut en certains cas la faire comprendre comme une hypostase.
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Corbin (IP:231-232) – Zarathoustra prophète

Classé dans: — admin @ 8:06 pm

CORBIN, Henry. L’Iran et la philosophie. Paris: Fayard, 1990

Il y a un hadîth — une tradition sainte — qui a cours dans le soufisme iranien. On le trouve dans un contexte référant au temple du Feu comme à une forme et symbole de l’amour divin, subjuguant et exclusif. A cet amour, Zarathoustra (Zoroastre) donna forme visible en lui érigeant l’autel du Feu. Lorsque les armées de l’Islam eurent triomphé de l’Iran, ce mystère fut voilé au monde et se retira dans le secret intime des cœurs. Mais la personne d’une femme en releva l’emblème: la princesse royale Shahrbanou, fille de Yazdegard III (le dernier souverain sassanide), qui devint la mère du IVe Imâm des shî’ites, après son entrée dans la famille des Très-Purs par son mariage avec le Prince des Martyrs, l’imâm Hosayn. C’est pourquoi les propres lèvres du Prophète de l’Islam ont énoncé cet ordre: Ne tenez jamais de propos hostiles ou irrévérencieux contre Zarathoustra, car Zarathoustra fut en Iran le prophète envoyé par le Seigneur d’amour.
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Corbin (TC:206-209) – la forme du Temple de la Ka’ba

Classé dans: — admin @ 7:38 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

La manière dont notre philosophe shî’ite, Qâzî Sa’îd Qommî, nous exerce, par exemple, à méditer la forme du Temple de la Ka’ba, va nous en être l’illustration convaincante. Mais il importe tout d’abord de bien avoir présentes à la pensée les prémisses de cette figuration du Temple qui porte en elle tout le secret de la vie spirituelle, parce qu’elle figure les étapes de l’itinéraire mystique.
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Corbin (TC:146-147) – les Sabéens

Classé dans: — admin @ 7:22 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

Dans un dialogue qu’institue en son œuvre célèbre l’historien des religions Shahrastânî (XIe-XIIe siècle) l’idéologie sabéenne du Temple va nous apparaître comme une phase essentielle de cette transmutation. C’est elle en effet qui fournit à la méditation la possibilité de passer de la représentation des Temples ou astres (hayâkil) inscrits aux Cieux de l’astronomie et reproduits symboliquement dans l’architecture des Temples terrestres, à la représentation d’un Temple spirituel constitué par la coalescence des âmes qui se substituent aux astres comme réceptacles et icônes des pures substances de Lumière. Car les Sabéens se représentaient les Temples célestes comme gouvernés par des Anges auxquels s’adressait leur culte. Pour que la transmutation s’opère non pas en dégradant ces êtres de Lumière, mais en exhaussant vers eux l’être de l’homme, l’anthropomorphose du Temple s’accompagnera simultanément d’une angélomorphose de l’homme. En ce sens l’angélologie présente une structure fondamentale : elle constitue le lien idéal permettant de penser le passage entre sabéisme et intériorisme ismaélien.
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Corbin (PM:216-219) – sacralisation et sécularisation

Classé dans: — admin @ 7:13 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

3) C’est ici même que s’insère le thème que j’ai formulé. En vérité je ne suis pas le premier à observer que les systèmes socio-politiques qui, de l’Occident de nos jours, ont débordé sur la planète, sont la sécularisation de systèmes théologiques antérieurs. C’est là même constater implicitement que le concept plénier de l’Occident ne saurait s’identifier purement et simplement avec cette sécularisation. C’est également constater que le phénomène n’est pas particulier à l’Occident, puisque le monde oriental est lui-même aujourd’hui la proie de ce que l’on appelle « occidentalisation ». C’est pourquoi, plus que jamais, le contraste entre « Orient » et « Occident » ne prend son sens qu’au niveau métaphysique, celui-là même où l’ont situé les philosophes iraniens depuis Avicenne et Sohravardî.
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Corbin (II2:41) – le theo-sophos

Classé dans: — admin @ 7:07 pm

Aussi bien, lorsque Sohrawardî et ses confrères emploient l’expression hakîm ilâhî, le « sage divin » ou le « sage de Dieu », ce terme, rappelons-le encore, est la transposition exacte du grec theosophos. La hikmat ilâhiya, souvent la hikmat tout court, c’est la Theo-sophia [Cf. Prolégomènes II, pp. 20 ss.], le mot étant entendu dans son acception étymologique. La « Théosophie orientale » (ishrâqîya) c’est la sagesse du Sage qui cumule à la fois la plus haute connaissance spéculative et la plus profonde expérience spirituelle, laquelle peut être dite aussi étymologiquement spéculative, en ce sens qu’elle transmue l’être du sage en un spéculum, un pur miroir dans lequel se réfléchissent et qu’embrasent les pures Lumières se levant à l’Orient du monde spirituel. C’est sur cette base que sera fondée la hiérarchie des sages « orientaux » (infra § 2).
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Corbin (IP:147-150) – l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1)

Classé dans: — admin @ 6:58 pm

CORBIN, Henry. L’Iran et la philosophie. Paris: Fayard, 1990

C’est par excellence sous la forme d’un voyage, le plus souvent avec l’intervention d’un messager invitant à l’entreprendre, que la gnose islamique se représente l’aventure spirituelle. L’illustration typique s’en trouve dans le thème de l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1) lorsque, au cours d’une extase nocturne, le prophète Mohammad est invité par l’ange Gabriel à effectuer sous sa conduite la visite des sept cieux et des prophètes qui y résident.
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Corbin (PM:28-30) – l’initiation

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dès lors tout récit évoquant l’atteinte à la Nature Parfaite présentera une scénographie d’initiation, que ce soit en songe ou à l’état de veille. Elle est atteinte au centre, c’est-à-dire en un lieu rempli de Ténèbres qui vient à s’illuminer d’une pure lumière intérieure. Tel est, au cours du même ouvrage, le récit d’Hermès : « Lorsque je voulus mettre au jour la science du mystère et de la modalité de la Création, je rencontrai une voûte souterraine remplie de ténèbres et de vents. Je n’y voyais rien à cause de l’obscurité, et ne pouvais y maintenir de lampe à cause de l’impétuosité des vents. Alors voici que pendant mon sommeil une personne se montra à moi sous une forme de la plus grande beauté. Elle me dit : Prends une lampe et place-la dans un verre qui la protège des vents; alors elle t’éclairera malgré eux. Entre ensuite dans la chambre souterraine; creuse en son centre et extrais de là certaine image théurgique modelée selon les règles de l’Art. Lorsque tu auras extrait cette Image, les vents cesseront de parcourir cette chambre souterraine. Creuse alors aux quatre coins de celle-ci : tu mettras au jour la science des mystères de la Création, des causes de la Nature, des origines et des modalités des choses. Alors je lui dis : Qui donc es-tu ? Elle me répondit : Je suis ta Nature Parfaite. Si tu veux me voir, appelle-moi par mon nom. »
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Corbin (PM:27-30) – les théophanies

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Par là même on peut entrevoir ce que signifient les catégories fondamentales du tawhîd ésotérique, c’est-à-dire du tawhîd sous son aspect ontologique : tawhîd de l’Essence (dhât), tawhîd des Noms et Attributs (asmâ’ et sifât), tawhîd des opérations (af’âl) ou des théophanies. Haydar Âmolî a construit la représentation imaginale de ces trois catégories du tawhîd dans trois diagrammes en forme d’arbres. Maintenant, quant à la question de savoir comment l’acte unitif du tawhîd s’accomplit sous ces trois aspects, c’est ce que l’on peut saisir en se reportant à la cosmogonie professée par l’Ecole d’Ibn ’Arabî, une cosmogonie qui est essentiellement une succession de théophanies, dont toutes les séries prennent origine dans une triple théophanie primordiale.
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Corbin (CETC:10-11) – Formes imaginales

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Quant, à la fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales, elle est définie par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part elle « imaginalise » les Formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle est dégradée en « fantaisie », ne sécrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. C’est toute la différence que connaissait et marquait déjà fort bien Paracelse entre l’Imaginatio vera (la vraie Imagination, l’Imagination au sens vrai) et la Phantasey.
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Corbin (HL:19-20) – Tu es moi

Classé dans: — admin @ 4:16 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Enfin, à l’extrémité orientale du monde iranien, en Transoxiane, Najmoddîn Kobrâ (ob. 1220) oriente le soufisme d’Asie centrale vers la pratique d’une méditation attentive aux phénomènes de lumière dont le chromatisme nous dévoilera la signification et la prééminence de la Lumière verte. Et dans ce contexte reparaîtra l’homologue de la Nature Parfaite, la Figure que Najm Kobrâ désigne comme son « Témoin dans le Ciel », son « Guide personnel suprasensible », « Soleil du mystère », « Soleil du cœur », « Soleil de la haute connaissance », « Soleil de l’Esprit ».
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Corbin (HLSI:31-36) – Récit de l’exil occidental

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dans l’œuvre considérable de Sohravardî trois passages principalement mettent en scène la Nature Parfaite, non point théoriquement, mais comme figure d’une expérience visionnaire ou comme interlocutrice d’une prière. Le plus explicite est celui du Livre des Entretiens où Sohravardî fait, à n’en pas douter, allusion au texte hermétiste que l’on aura pu lire ici il y a quelques pages ; une forme de lumière apparaît à Hermès ; elle projette ou insuffle en lui les connaissances de gnose. A l’interrogation d’Hermès : « Qui donc es-tu ? ». Elle répond : « Je suis ta Nature Parfaite ». Et c’est ailleurs l’invocation adressée par Hermès à sa Nature Parfaite au milieu des périls éprouvés au cours d’une dramaturgie d’extase, mise en scène allusive d’une épreuve initiatique vécue dans le secret personnel (où Hermès est peut-être alors le pseudonyme de Sohravardî). Or, l’heure aussi bien que le lieu de cet épisode visionnaire font intervenir les symboles du Nord, pour indiquer le passage à un monde qui est au-delà du sensible. Cet épisode est l’illustration la plus frappante du thème que nous analysons ici : la Nature Parfaite, guide de lumière de l’individualité spirituelle à qui elle « ouvre » sa dimension transcendante en lui faisant franchir le seuil… (cf. encore infra 111). La « personne » à qui dans cette extase initiatique s’adresse l’appel, est cette même Nature Parfaite à qui s’adresse le psaume composé par Sohravardî, et qui est peut-être la plus belle prière qui ait jamais été adressée à l’Ange. En ce sens, c’est une liturgie personnelle satisfaisant aux prescriptions qu’Hermès, selon les « Sabéens », avait laissées aux Sages : « Toi, mon seigneur et prince, mon ange sacro-saint, mon précieux être spirituel, Tu es l’Esprit qui m’enfanta et tu es l’Enfant que mon esprit enfante… Toi qui es revêtu de la plus éclatante des Lumières divines… puisses-tu te manifester à moi en la plus belle (ou en la suprême) des épiphanies, me montrer la lumière de ta face éblouissante, être pour moi le médiateur… enlever de mon cœur les ténèbres des voiles… » C’est cette relation syzygique que le spirituel éprouve lorsqu’il atteint au centre, au pôle; celle-là même qui se retrouve dans la mystique de Jalâloddîn Rumî comme dans toute la tradition sohravardienne en Iran, ainsi que nous l’apprend le témoignage de Mîr Dâmâd, le grand maître de théologie à Ispahan au XVIIe siècle, relation telle que comme Maryam, comme Fâtima, l’âme mystique devient la « mère de son père », omm abî-hà. Et c’est ce que veut dire encore ce vers d’Ibn’Arabî : « Je n’ai créé en toi la perception que pour y devenir l’objet de ma perception. »
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Corbin (PM:24-27) – l’ontologie intégrale

Classé dans: — admin @ 3:20 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

L’avènement de l’ontologie intégrale comporte trois moments, jusqu’au moment où l’on s’avise, comme le dit Ibn ’Arabî, que « c’est le monde qui est occulté et n’apparaît jamais, tandis que l’Être Divin est le Manifesté et n’est jamais occulté » — bref le moment de la réponse d’Adam, lorsqu’on lui demanda comment il avait accepté le fardeau que les cieux, les montagnes et toutes les créatures avaient refusé : « J’ignorais, dit-il, qu’il y eût de l’Autre que Dieu 14. » Ce pourrait être la formule de l’ontologie intégrale.
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Corbin (CETC:46-48) – où eut lieu la prédication zoroastrienne?

Classé dans: — admin @ 2:27 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Dès lors aussi, nous pouvons dépasser le niveau auquel a été posée une des questions les plus irritantes qui aient tourmenté plusieurs générations d’Orientalistes : où eut lieu la prédication zoroastrienne? Où était Erân Vêj, puisque c’est en Erân Vêj que Zarathoustra eut ses visions et commença sa prédication? La majorité des Orientalistes admet aujourd’hui que le lieu de la prédication de Zarathoustra, telle que nous pouvons l’entendre encore en lisant les Gâthâs, est à situer en Asie centrale, quelque part dans la région du Haut-Oxus, à l’extrémité orientale du monde iranien. En revanche, cette certitude scientifique régnante est en contradiction avec les traditions iraniennes postérieures, celles de l’époque sassanide et post-sassanide, qui situent la naissance et la prédication de Zarathoustra à l’extrémité occidentale du monde iranien, en Azerbaïdjan. On a tenté des solutions de conciliation, tout en voulant se maintenir sur le terrain des faits positifs : Zarathoustra serait né à l’Ouest, mais sa prédication aurait eu lieu à l’Est. Une solution récente s’inspire précisément du système des keshvars : l’histoire sacrée du zoroastrisme primitif se serait passée à l’orient du monde iranien; puis la mission zoroastrienne pénétrant progressivement vers l’ouest du monde iranien, un beau jour l’orientation géographique se serait trouvée tout simplement inversée (le keshvar oriental serait devenu le keshvar occidental). Tout se serait passé comme si le système des keshvars avait pivoté sur un axe central. On a même prononcé le mot de « falsification », parce que les Mages occidentaux auraient ainsi identifié après coup en Azerbaïdjan les lieux saints de l’histoire sacrée (l’Arax, le mont Savalân, la ville sainte de Shîz), sans que cette identification ait la moindre valeur « historique ».
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Corbin (CETC:33-37) – la cosmologie mazdéenne

Classé dans: — admin @ 12:00 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il est absolument nécessaire de nous remémorer ici le schéma d’ensemble de la cosmologie mazdéenne, c’est-à-dire le schéma d’ensemble qui articule le plérôme céleste de lumière. On ne peut malheureusement que le rappeler ici à grands traits. La vision mazdéenne partage la totalité pensable en une hauteur infinie de Lumière dans laquelle de toute éternité habite Ohrmazd (avestique Ahura Mazda), le « Seigneur Sagesse » — et un abîme insondable de Ténèbres qui recèle l’Antagoniste, la Contre-puissance de négation, de désintégration et de mort, Ahriman (avestique Angra Mainyu). Entre Puissance de Lumière et Contre-puissance de Ténèbres rien n’est commun : nul compromis de coexistence, mais combat sans merci dont notre Terre, et avec elle toute la Création visible, est le théâtre, jusqu’à la consommation de l’Aiôn, l’apokatastasis ou « rétablissement » qui mettra fin au mélange (gumechishn) par la séparation (vicharishn) rejetant dans leur abîme les Contre-puissances démoniaques.
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Corbin (CETC:39-42) – Xvarnah, Lumière-de-Gloire

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Maintenant, la tâche sera de rechercher comment et à quelles conditions, lorsque les données de la perception sensible sont portées comme à l’état diaphane par l’imagination active (lorsque le gêtîk est saisi dans son mênôk), se profile précisément la figure de l’Ange. Cette tâche revient à préciser quelle est cette Forme imaginale comme organe par lequel l’Imagination active, en percevant directement les choses, en opère la transmutation; comment il se fait que cette transmutation accomplie, ce soit sa propre Image que les choses réfléchissent à l’âme, et comment alors cette auto-reconnaissance de l’âme instaure une science spirituelle de la Terre et des choses terrestres, telle que ces choses soient connues dans leur Ange, comme le pressentit l’intuition visionnaire de Fechner.
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Corbin (CETC:54-58) – la retraite de Zarathoustra

Classé dans: — admin @ 12:57 am

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

On voit que dans l’un et l’autre cas analysé ici, l’intention et l’effort de l’âme tendent à configurer et à réaliser la Terre céleste, pour y permettre l’épiphanie des êtres de lumière. Il s’agit de gagner la Terre des visions, in medio mundi, là où les événements réels consistent dans les visions elles-mêmes. Et tels soin bien les événements que décrivent les Récits concernant l’investiture prophétique de Zarathoustra. Par une indication d’une sublime simplicité, le Zaratusht-Nameh (Le « Livre de Zoroastre » abrév. ici = Z.N.) nous le signifie : « Lorsque Zarathoustra eut trente ans accomplis, il eut le désir d’Eran-Vej et se mit en route avec quelques compagnons, hommes et femmes. » Avoir le désir d’Eran-Vej, c’est désirer la Terre des visions, c’est gagner le centre du monde, la Terre céleste où a lieu la rencontre des Saints Immortels. De lait les épisodes qui marquent la progression et l’entrée de Zarathoustra et de ses compagnons en Eran-Vej, le moment du temps où cette entrée s’accomplit, ne sont ni des événements extérieurs ni des dates relevant de la chronique : ce sont des épisodes et des indications hiérophaniques.
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Corbin (HL:12-14) – Géographie sacrée

Classé dans: — admin @ 12:36 am

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

L’orientation est un phénomène primaire de notre présence au monde. Le propre d’une présence humaine est de spatialiser un monde autour d’elle, et ce phénomène implique une certaine relation de l’homme avec le monde, son monde, cette relation étant déterminée par le mode même de sa présence au monde. Les quatre points cardinaux, est et ouest, nord et sud, ne sont pas des choses que rencontre cette présence, mais des directions qui en expriment le sens, son acclimatation à son monde, sa familiarité avec lui. Avoir ce sens, c’est s’orienter dans le monde. Les lignes idéales d’orient en occident, du septentrion au midi, forment un réseau d’évidences spatiales a priori, sans lesquelles il n’y aurait d’orientation ni géographique ni anthropologique. Les contrastes de l’oriental et de l’occidental, de l’homme du nord et de l’homme du sud, règlent aussi bien nos classifications idéologiques et caractérologiques.
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Shayegan (Corbin): L’herméneutique et Heidegger

Le passage de Heidegger à Sohrawardî a fait couler beaucoup d’encre : on y a décelé un signe de déception, une disparité et même un mélange incongru. Corbin s’y est expliqué clairement dans son entretien avec Philippe Nemo : « Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique. » Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre « climat de l’Être » (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l’analytique heideggerienne. Le « retour aux choses mêmes » que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l’âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat ou le monde de l’imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n’était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l’accès à un autre climat de l’être, et qui ne porta tout son fruit que lorsque Corbin, isolé à Istanbul en compagnie du Shaykh al-Ishrâq, en eut peu à peu la vision immédiate.
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Corbin (PM:30-33) –le secret de la condition seigneuriale

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Le dire, c’est atteindre ce que l’on désigne techniquement comme sirr al-robûbîya, le secret de cette condition seigneuriale, le secret qui la fonde et la rend possible, et sans lequel elle disparaît. Les Noms divins n’ont de sens et de réalité que par et pour des êtres pour qui ils sont les formes, les théophanies sous lesquelles la divinité se révèle à son fidèle. Al-Lâh, par exemple, est le Nom qui signifie l’Essence divine revêtue de tous ses Attributs. Al-Rabb, le « Seigneur », c’est le Divin personnifié et particularisé sous l’un de ses Noms et dans l’un de ses Attributs. Ces Noms divins, ce sont les « seigneurs », les « Dieux », d’où le Nom suprême comme « Seigneur des Seigneurs » (Dieu des Dieux disent le Deutéronome et Sohravardî), « le meilleur des Créateurs », dit le Qorân.
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18/12/2022

Corbin (PM:14-19) – Moments du paradoxe du monothéisme

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Les trois moments du paradoxe sont les suivants : 1) Sous sa forme exotérique, celle de la profession de foi qui énonce Lâ Ilâha illâ Allah, le monothéisme périt dans son triomphe, se détruit lui-même en devenant à son insu, volens nolens, une idolâtrie métaphysique. 2) Le monothéisme ne trouve son salut et sa vérité qu’en atteignant à sa forme ésotérique, celle-là même qui pour la conscience naïve semble le détruire, et dont le symbole de foi s’énonce sous cette forme : Laysa fî’l-wojûd siwâ Allah; « il n’y a dans l’être que Dieu ». Le monothéisme exotérique s’exhausse ainsi au niveau ésotérique et gnostique du théomonisme. Mais de même que le niveau exotérique subit sans cesse la menace d’une idolâtrie métaphysique, de même le niveau ésotérique est menacé d’un péril surgissant des méprises sur le sens du mot être. 3) Ce péril est conjuré par l’instauration d’une ontologie intégrale se présentant, nous allons le voir, comme une intégration à deux degrés; or, cette double intégration fonde eo ipso le pluralisme métaphysique.
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Corbin (HL:36-38): le Pasteur d’Hermas

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

La Figure-archétype qu’exemplifie l’apparition de la Nature Parfaite, assume donc envers l’homme de lumière, Phôs, pendant toute l’épreuve de son exil, un rôle que définit au mieux le terme de ποιμήν, le « pasteur », le veilleur, le guide. Précisément, c’est là un terme qui évoque aussi bien le prologue d’un texte hermétiste célèbre entre tous, que celui d’un texte chrétien qui en est peut-être l’écho. Chaque fois la scénographie présente les mêmes phases : d’abord le recueillement du visionnaire, sa retraite au centre de lui-même, moment de songe ou d’extase intermédiaire entre la veille et le sommeil; puis l’apparition et l’interrogation; puis la reconnaissance. C’est ainsi que le Noûs apparaît à Hermès, tandis que « ses sens corporels ont été mis en ligature » pendant un profond sommeil. Il lui semble que se présente à lui un être d’une taille prodigieuse qui l’appelle par son nom et lui demande : « Que veux-tu entendre et voir, et par la pensée apprendre et connaître? — Mais toi, qui donc es-tu? — Moi, je suis Poimandrès, le Noûs à l’absolue souveraineté. Je sais ce que tu veux et je suis avec toi partout… Subitement tout s’ouvrit devant moi en un moment, et je vis une vision sans limite, tout étant devenu lumière sereine et joyeuse, et ayant vu cette lumière, voici que je fus épris d’amour pour elle [Poimandrès, §§2-4 et 7-8: Corpus Hermeticum, éd. A.-D. Nock, trad. A.-J. Festugière, Paris, 1945, vol. I, pp. 7 et 9.]. » Selon le terme copte auquel on ramènera le nom de Poimandrès, on le comprendra comme le Noûs céleste, comme le pasteur ou comme le témoin, mais c’est bien la même vision qu’attestent ceux des spirituels iraniens parlant tantôt de la Nature Parfaite, comme l’Hermès de Sohravardî, tantôt du témoin dans le Ciel, du Guide personnel suprasensible, comme Najm Kobrâ ei son école.
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Corbin (HL:87-91) – La lumière verte

Classé dans: — admin @ 3:42 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Lumières qui montent et lumières qui descendent : le dhikr descend dans le puits du cœur et simultanément fait sortir le mystique du puits de ténèbres. Dans la simultanéité de ces mouvements concentriques s’annoncent l’éclosion et la croissance de l’organisme subtil de lumière. Les descriptions se compliquent et s’enchevêtrent pour se résoudre chez Najm Kobrâ en la visio smaragdina à laquelle préludent ces mouvements. « Notre méthode est la méthode de l’alchimie, déclare le shaykh; il s’agit d’extraire l’organisme subtil de lumière de dessous les montagnes sous lesquelles il gît prisonnier (§ 12). » « Il peut arriver que tu te visualises toi-même comme te trouvant au fond d’un puits, et comme si le puits s’animait d’un mouvement descendant de haut en bas. En réalité, c’est toi qui es en train de monter (ibid.). » Cette ascension (que l’on se rappelle la vision d’Hermès chez Sohravardî, son ascension aux créneaux du Trône), c’est la sortie progressive hors des montagnes dont on a vu précédemment (supra IV, 2) qu’elles étaient les quatre natures élémentaires, constitutives de l’organisme physique. Les états intérieurs concomitants de cette sortie se traduisent en visualisations de déserts, voire « de cités, de pays, de maisons, qui descendent d’en haut vers toi et qui ensuite disparaissent au-dessous de toi, comme si tu voyais une digue sur le rivage de la mer s’effondrer et disparaître dans celle-ci (§ 12). »
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Corbin (HL:24-27) – L’homme de lumière

Cette idée de l’« homme de lumière », nous en suivons la présence jusque dans le soufisme de Najm Kobrâ où les expressions arabes shakhs min nur, shakhs nurani donnent l’équivalent de l’expression grecque φωτεῖνος ἄνθρωπος. Quant à celle-ci, elle figure dans les documents hermétistes qui nous ont été transmis grâce à Zozime de Panopolis (IIIe siècle), le célèbre alchimiste dont la doctrine médite les opérations métallurgiques réelles comme types ou symboles de processus invisibles, de transmutations spirituelles. Cette doctrine réfère à la fois à un gnosticisme chrétien représenté pour elle par les « Livres des Hébreux », et à un platonisme hermétisant représenté par les « Livres saints d’Hermès ». Est commune aux uns et aux autres une anthropologie dégageant l’idée de l’homme de lumière de la façon suivante : il y a l’Adam terrestre, l’homme extérieur charnel (σάρκινος ἄνθρωπος) soumis aux Eléments, aux influences planétaires et au Destin; les quatre lettres composant son nom « chiffrent » les quatre points cardinaux de l’horizon terrestre. Et il y a l’homme de lumière (φωτεῖνος ἄνθρωπος), l’homme spirituel caché, pôle opposé de l’homme corporel : phôs. C’est une homonymie qui attestait ainsi dans la langue même l’existence de l’homme de lumière : φῶς, lumière et φῶς, l’homme, l’individu par excellence (le héros spirituel, correspondant en ce sens au persan javânmard). Adam est l’archétype des hommes de chair; Phôs (dont le nom propre personnel ne fut connu que du mystérieux Nicotheos) est l’archétype non pas des humains en général, mais des hommes de lumière : les φῶτες.
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Corbin : Vocabulaire de l’être

Classé dans: — admin @ 10:42 am

Extrait du préface du « Livre des Pénétrations Métaphysiques ».

Nous avons à considérer que, par sa métaphysique de l’être donnant de plein droit la primauté à l’acte d’exister, Mollâ Sadrâ opère une révolution qui détrône la vénérable métaphysique de l’essence, dont le règne durait depuis des siècles, depuis Fârâbî, Avicenne et Sohravardî. Même s’il n’est pas impossible d’en déceler antérieurement les indices précurseurs, cet acte révolutionnaire a chez Mollâ Sadrâ sa vertu propre, car il commande toute la structure de sa doctrine : la préséance de l’acte d’exister sur la quiddité conditionne la notion de l’existence (wojûd) comme présence (hodûr, hozur) ; celle-ci s’exprime en gnoséologie comme l’unification du sujet de la perception (à ses trois degrés : sensible, imaginative, intellective) avec l’objet de la perception ; chez le penseur shî’ite, elle permet un approfondissement de l’imâmologie qui dégage tout ce qu’implique la qualification des Imâms comme Témoins de Dieu (être témoin, être présent à) ; finalement elle conduit à une métaphysique de l’Esprit, de l’Esprit-Saint créateur, où le sens premier de l’être se révèle non pas comme l’être substantif (l’étant), ni comme l’être à l’infinitif (l’acte d’être), mais comme l’être à l’impératif (KN, esto ! ).
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31/7/2014

Festugière : LE DIEU INCONNU ET LA GNOSE

Classé dans: — admin @ 10:05 am

Le Dieu qui crée le monde et le gouverne est naturellement connu par la contemplation de l’ordre du monde. Mais le Dieu transcendant au monde, et qui non seulement n’a pas créé le monde puisque le monde est matière, mais est totalement éloigné du monde et en quelque sorte opposé au monde, ce Dieu-là peut-il encore être connu, et, s’il l’est, de quelle manière? Voilà le problème que pose cet ouvrage, par lequel s’achève notre étude de la philosophie religieuse sous l’Empire. Il est divisé en deux parties.

VOIR ICI

4/9/2011

La vieillesse

Classé dans: — admin @ 4:14 pm

Extrait de Cicéron, “La vieillesse”

SCIPION. Je m’étonne souvent avec Caius Lélius qui m’accompagne, de ta sagesse en tout exceptionnelle et parfaite, et surtout de ceci : je n’ai jamais pensé que la vieillesse te soit pénible ; elle est si insupportable à la plupart des gens âgés qu’ils en parlent comme d’une charge plus lourde que l’Etna !
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20/8/2011

Le miracle selon Wittgenstein

Classé dans: — admin @ 5:18 pm

Extrait de PAOLO VIRNO, “MIRACLE, VIRTUOSITÉ ET DÉJÀ VU

« L’éthique, si elle existe, est surnaturelle », affirme Wittgenstein dans sa Conférence sur l’Éthique, prononcée à Cambridge en 1930. Dans tout ce qui advient au monde et qui peut être décrit par des propositions, nous ne trouvons nulle trace du sens de la vie. Toutefois, il ne fait pas de doute que la recherche d’un tel sens constitue une expérience des plus intense. À tel point que, concernant l’éthique, on pourrait même parler d’expérience surnaturelle. Mais peut-on concevoir une expérience surnaturelle ? N’équivaut-elle pas littéralement à un miracle ? Disons que, dans une certaine mesure, elle lui est équivalente en effet : oui, l’éthique est intimement liée au miracle. Mais à condition, ajoute Wittgenstein, que l’on comprenne ce dernier de façon appropriée, en le soustrayant à l’horizon positiviste dans lequel la tradition religieuse elle-même l’inscrit la plupart du temps. (more…)

Peuple vs multitude: Hobbes et Spinoza

Classé dans: — admin @ 4:32 pm

Extrait de Paolo Virno, “Grammaire de la multitude

Je considère que le concept de multitude, par opposition à celui, plus familier, de «peuple», est un outil décisif pour toute réflexion sur la sphère publique contemporaine. Il faut avoir à l’esprit que l’alternative entre «peuple» et «multitude» a été au centre des controverses du XVIIe siècle, au plan pratique (fondation des Etats centraux modernes, guerres de religion, etc.) et au plan théorico-philosophique. Ces deux concepts opposés l’un à l’autre, forgés au feu de contrastes très marqués, ont joué un rôle de première importance dans la définition des catégories politico-sociales de la modernité. Ce fut la notion de «peuple» qui l’emporta. «Multitude» est le terme perdant, le concept qui a eu le dessous. Pour décrire les formes de la vie en société et l’esprit public des grands Etats qui venaient de se constituer, on ne parla plus de multitude, mais de peuple. Reste à se demander si aujourd’hui, à la fin d’un cycle long, cette ancienne dispute n’est pas en train de se réouvrir; si aujourd’hui, alors que la théorie politique de la modernité subit une crise radicale, la notion autrefois déboutée ne témoigne pas d’une extraordinaire vitalité, prenant ainsi une revanche retentis.
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19/8/2011

Dialogue entre l’adolescent et l’homme

Classé dans: — admin @ 4:25 pm

Extrait de Carlo Michelstaedter, “Dialogue de la santé et autres textes

L’adolescent. Moi je sens en moi deux hommes, l’un qui veut le plaisir, l’autre le bien. – Comme je satisfais tantôt l’un tantôt l’autre, ma vie est diverse.

L’homme. Mais le bien est-il plaisant ou non?

L’adolescent. Oui, autrement ce ne serait pas le bien.

L’homme. Et le plaisir, qu’est-ce que c’est?

L’adolescent. C’est le fait de posséder des choses plaisantes.

L’homme. Quand tu as satisfait le «moi» qui veut le plaisir, il ne te manque plus rien alors?

L’adolescent. Si, car tout ne vient pas en une seule fois.

L’homme. Alors le «moi» qui veut le plaisir ne veut pas toujours la même chose, mais tantôt l’une, tantôt l’autre?

L’adolescent. Oui.

L’homme. Pourquoi alors l’appelons-nous le moi et non les «mois», s’il est à chaque fois différent. Veux-tu que nous en parlions ainsi? (more…)

Denis Gril: DU VOYAGE

Classé dans: — admin @ 12:46 pm

Selon Ibn ’Arabî, le propre du voyage (safar, pl. asfâr) est d’aboutir à un résultat ou un effet (natîja, pl. natâ’ij). On aurait pu aussi traduire natâ’ij par «fruits», d’une part pour souligner le caractère positif du résultat, d’autre part parce que ce terme évoque, par sa racine, l’idée de parturition. Le voyage doit donc porter ses fruits spirituels, indiqués à la fin de chaque chapitre. Cette nécessité se trouve inscrite dans la racine du mot safar qui comporte également le sens de dévoilement (isfâr), ce qui permet au titre de jouer à la fois sur le sens et l’assonance. Un adage cité aussi bien dans le K. al-isfâr (§ 17) que dans les Futuhât l’explicite: «Le voyage est appelé ainsi parce qu’il dévoile (yusfiru) les caractères des hommes». Quand il s’agit d’une femme, le dévoilement (sufûr) se double, par ce qu’il comporte d’inhabituel, de l’idée d’un danger dont il faut se garder et annonce la relation ambivalente de l’occultation et de la mise à jour (§ 17). Pour toutes ces raisons le voyage se distingue du simple cheminement initiatique (sulûk): «Tout voyageur est cheminant (sâlik), mais tout cheminant n’est pas voyageur». Un passage du Coran, annoncé dans l’envoi de ce livre mais non commenté par la suite, assimile très clairement le voyage à la quête et à la recherche de son «fruit» qui est la science. Il associe par ailleurs le voyage à la fatigue et donc à l’épreuve, ce que l’on retrouve dans d’autres passages. Par contre, dans le chapitre des Futûhât sur «la station du voyage», il se trouve assimilé à la pérégrination (siyâha). Celle-ci en constitue l’un des fondements coraniques puisque pérégrins et pérégrines sont mentionnés dans le Coran. La définition de la siyâha : «Parcourir la terre pour pratiquer la méditation (i’tibâr) et se rapprocher de Dieu» souligne l’un des principaux objectifs du voyage. La méditation sur les signes manifestes de la puissance divine et les merveilles de la création conduit les voyageurs, par transposition, vers la signification intérieure de ces signes. Leur vision n’est-elle pas le but du modèle suprême pour l’humanité, le Voyage nocturne du Prophète: «Gloire à Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur depuis la Mosquée sacrée jusqu’à la Mosquée la plus éloignée pour lui faire voir certains de nos signes» (Coran 17: 1)? (more…)

EMMANUEL FOURNIER: Manquer de savoir

Classé dans: — admin @ 12:36 pm

Extraits de “Croire devoir penser

299. Penser sans le savoir. Marcher sans le savoir. Ni savoir comment faire pour marcher ou pour penser.
S’étonner de manquer de savoir. Et s’étonner de pouvoir savoir sans savoir savoir, sans avoir conscience de savoir.

415. Croire ne manquer que de savoir, pour pouvoir. Et croire devoir penser, pour compenser de ne pas savoir.

11. Douter de savoir marcher faute de savoir analyser comment marcher. Croire ne pas savoir que devoir faire pour marcher. Croire n’avoir fait jusqu’ici que semblant de savoir marcher. Se désespérer de devoir apprendre à marcher, etc.
Et de même douter de savoir penser, de savoir vivre, etc.
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Charles Mopsik: Le couple originel et l’unique primordial dans les religions du monde

Classé dans: — admin @ 12:28 pm

Le motif du couple primitif se rencontre dans de nombreuses religions à travers le monde, mais il occupe souvent la place d’une divinité suprême passée à l’arrière-plan. Néanmoins, ce couple n’est lui-même que la projection ou la conséquence d’une séparation survenue au sein de cette divinité suprême considérée comme androgyne. La bisexualité divine est en effet un phénomène des plus répandus à travers le monde. Et même des divinités masculines ou féminines par excellence sont communément regardées comme étant androgynes1. Ce schéma général de la croyance en l’existence d’un être suprême primordial et androgyne auquel succède un premier couple, dont les membres peuvent être aussi bien deux frères, un frère et une sœur, le Ciel et la Terre, le Soleil et la Lune, etc., est lui-même le paradigme d’une l’humanité primitive dont le ou les premiers représentants possèdent également les deux sexes. (more…)

10/10/2010

Le corps dans le monde : amorce du dialogue

Classé dans: — admin @ 1:45 am

L’expérience spécifique de la finitude se présente d’emblée comme une expérience corrélative de limite et de dépassement de limite.

Cette structure paradoxale de l’exister humain doit être décrite comme telle et non brisée en deux; comme si on pouvait, dans un premier temps, mener à bien une description de l’être-au-monde (par exemple dans la perception ou dans l’affectivité) puis, dans un second temps, amorcer le dépassement de cet être-au-monde (par exemple par la parole ou le vouloir). D’un seul mouvement, d’un seul jet, l’acte d’exister s’incarne et déborde son incarnation.
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16/5/2009

Il faut un but

Classé dans: — admin @ 7:42 pm

« Nous avons en nous une force énorme de sentiments moraux, mais aucun but qui pourrait les satisfaire tous. Ces sentiments se contredisent les uns les autres : ils ont pour origine des tables de valeurs différentes.
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le contact avec la réalité humaine

Classé dans: — admin @ 7:39 pm

« Une raison qui ne donne raison qu’aux mathématiques fournit par là même la preuve qu’elle a perdu le contact avec la réalité humaine et se développe à la manière du « géométrisme morbide» décrit parles psychiatres dans le cas de certains malades, entraînés par le vertige d’un raisonnement à vide, sans mesure avec la situation réelle. Le philosophe lâche la proie pour l’ombre lorsqu’il accepte le squelette émacié d’une réalité dépouillée par le savant de toute sa densité concrète. Plus exactement, le philosophe commet ici une erreur dont le savant s’est soigneusement gardée : le savant se cantonne dans son domaine et ne prétend pas substituer ses schémas à la réalité quotidienne. La technique ne fait autorité que dans les limites du champ expérimental préalablement délimité, de sorte que l’affirmation vraie dans la bouche du savant peut devenir absurde lorsque le philosophe l’applique sans discernement. En somme, si le philosophe se contente de répéter l’affirmation du savant, on ne voit pas à quoi sert son intervention. Mais s’il ajoute quoi que ce soit de son cru aux résultats obtenus par la science, il a tout lieu de penser qu’il se trompera, ainsi qu’il est arrivé à Kant, lorsqu’il a donné une valeur définitive à la physique de Newton, simple étape dans l’histoire de la science. » G. Gusdorf, Traité de Métaphysique, Paris, A. Colin, 1956, p. 92.
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La métaphysique engagée

Classé dans: — admin @ 7:34 pm

« …une grave erreur qui a lourdement pesé sur l’idée qu’on s’est faite trop longtemps de la philosophie, et qui a contribué à frapper celle-ci de stérilité : cette erreur a consisté à imaginer que le philosophe en tant que tel n’avait pas à se préoccuper du cours des événements, son rôle étant au contraire de légiférer dans l’intemporel et de considérer les faits contemporains avec l’indifférence dédaigneuse que témoigne en général le promeneur à l’agitation d’une fourmilière. On pourrait naturellement être tenté de croire que l’hégélianisme et la philosophie marxiste ont à ce point de vue sensiblement modifié les perspectives. Ceci n’est cependant vrai que jusqu’à un certain point, tout au moins pour les représentants actuels de ces doctrines.
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La métaphysique inavouée

Classé dans: — admin @ 7:27 pm

« Le positivisme prétend faire l’économie de tout jugement de valeur et recourir exclusivement aux jugements de réalité indubitables fournis par une expérimentation méthodique. Mais il est bien obligé de recourir à un jugement de valeur initial, celui par lequel est adopté une dimension d’intelligibilité à l’exclusion de tout autre. Ce choix premier du plan de clivage scientifique ne peut pas lui-même se justifier scientifiquement. »
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La métaphysique congédiée

Classé dans: — admin @ 7:09 pm

« A Bonaparte qui l’interrogeait sur ses conceptions et lui demandait ce qu’il faisait de Dieu, Laplace répondit qu’il n’avait que faire de cette « hypothèse » sans fondement scientifique. Le rejet de toute transcendance désigne donc un nouvel humanisme pour lequel le métaphysicien comme le théologien ne sont que des bouches inutiles. Ils ne peuvent d’ailleurs qu’égarer la recherche positive, de sorte que, au bout du compte, leur influence est néfaste. Déjà les bons esprits du XVIIIe siècle, ne pouvant les proscrire, s’employaient avec Voltaire, à les ridiculiser. D’Alembert constate cette dépréciation constante de la métaphysique et du métaphysicien : « Je ne doute point, écrit-il (Disc, préliminaire à l’Encyclopédie, 117) que ce titre ne soit bientôt une injure pour nos bons esprits, comme le nom de sophiste, qui pourtant signifiait sage, avili en Grèce par ceux qui le portaient, fut rejeté par les vrais philosophes ». Le pronostic devait être vérifié par l’événement : l’appellation même de métaphysique tend à disparaître de l’usage au XIXe siècle et les programmes universitaires du XXe siècle substituent à ce vocable périmé l’expression prudente de « philosophie générale » qui à vrai dire ne signifie rien, et semble surtout destinée, par sa modestie, à détourner des soupçons toujours menaçants.
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L’interrogation ou la question suprême

Classé dans: — admin @ 6:59 pm

Isaïe, 40,18-22 (le Prophète sémite s’exprime en poète-philosophe, comme Parménide)

« D’après qui pourriez-vous imaginer Dieu? (l’objet véritable de la question !)
et quelle image pourriez-vous en offrir?
Un fondeur coule la statue. (les analogies, avec le danger qu’elle comporte de substituer au vrai Dieu les « images » idolâtriques…)
Un orfèvre la recouvre d’or
et fond des chaînes d’argent.
Un sculpteur habile lui cherche
du palmier précieux
choisit du bois qui ne pourrit pas
pour fabriquer une statue solide.
Ne le saviez-vous pas? (appel à la « connaissance » et à la tradition)
Ne l’aviez-vous pas entendu dire?
Ne vous l’avait-on pas révélé depuis l’origine?
N’avez-vous pas compris la fondation de la terre?
Il habite au-dessus du cercle de la terre,
dont les habitants paraissent comme des sauterelles. »
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28/4/2009

La guerre des Sciences ou l’absurde conflit des frontières

Classé dans: — admin @ 1:26 pm

« L’opposition qui s’établit entre l’ambition métaphysicienne et l’activité scientifique pourrait se caractériser d’un côté par une prétention totalitaire, par un dogmatisme du transcendant impatient de réduire le détail des faits à l’obéissance définitive des principes rationnels, — de l’autre par une modestie animée de l’horreur d’avoir raison trop vite, qui se cantonne dans l’immanence et poursuit avec patience le déchiffrement d’une réalité de plus en plus complexe. Le cas de Descartes et de Galilée fournit ici un exemple significatif. La condamnation de Galilée en 1633 est un coup terrible pour le prudent Descartes; elle l’oblige à remanier son système et à en différer la publication. Mais cette solidarité première entre les deux hommes n’empêche pas une divergence essentielle entre le métaphysicien Descartes et Galilée qui figure l’un des premiers modèles du savant moderne. Descartes s’est exprimé là-dessus avec la plus grande netteté. Il reconnaît que Galilée s’est engagé dans la bonne voie : « Je trouve en général, écrit-il au père Mersenne, qu’il philosophe beaucoup mieux que le vulgaire en ce qu’il quitte le plus qu’il peut les erreurs de l’École et tâche à examiner les matières physiques par des raisons mathématiques. » Seulement ce premier point acquis, Descartes fait reproche à Galilée d’avoir adopté dans ces recherches une attitude qui lui paraît nettement insuffisante : « Il me semble, poursuit-il qu’il manque beaucoup en ce qu’il… ne s’arrête pas à expliquer tout à fait une matière; ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre, et que sans avoir considéré les premières causes de la nature il a cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi, qu’il a bâti sans fondement » (oct. 1638, édit. Adam Tannery, II, 380). Galilée a consacré sa longue carrière à des recherches précises; il a été l’un des organisateurs de la méthode expérimentale encore à ses débuts. Descartes considère avec une certaine pitié ce chercheur trop modeste qui n’a pas déterminé dans l’absolu les points de départ et d’arrivée de son enquête. Ce qui importe aux yeux du philosophe français, ce sont « les premières causes de la nature », — c’est-à-dire « les premiers principes métaphysiques de la science de la nature qui un siècle et demi plus tard préoccuperont encore Kant. »

G. Gusdorf, Vers une Métaphysique, cahier II : L’affirmation de la conscience métaphysique, Paris, CDU, p. 3-4. et Traité de Métaphysique, A. Colin, 1956, p, 84.

Bilan parmênidien

Classé dans: — admin @ 1:04 pm

Extrait de “L’Entrée en métaphysique", de Florent Gaboriau

« C’est toute la synthèse héraclitéenne qui se trouve niée, dans son fondement même par le poème de Parménide. Parménide s’oppose au : réalisme d’Heraclite et formule une exigence intérieure à la pensée elle-même. Il se penche sur la nécessité interne du jugement et suscite une nouvelle antinomie, alors qu’Heraclite pouvait légitimement croire les avoir toutes surmontées. La dialectique héraclitéenne ne laissait rien en dehors de son cercle, rien sauf le refus de la dialectique elle-même; et Parménide la nie. C’est toute la métaphysique d’Heraclite qui se trouve d’un coup opposée à l’intériorité même de la pensée, saisie d’ailleurs de façon toute formelle encore par les Èléates. Heraclite proclame l’identité de l’être et de la pensée, mais elle n’existe que dans la parfaite soumission au logos qui est cosmique. A son tour, Parménide va proclamer l’identité va de l’être et de la pensée, mais il la trouve dans l’intériorité même du jugement. Si la pensée est l’être, rien de ce qui change n’est vraiment, ni n’est vraiment pensable. L’identité, dirions-nous aujourd’hui, cesse d’être dialectique et s’oppose contradictoirement à l’identité dialectique accueillante au relatif et à la négation. »
Abel Jeannière, La pensée d’Heraclite d’Êphèse, Aubier, 1959, p. 93-94.

a) Heraclite « proclame l’identité de l’être et de la pensée ». Où?

b) Parménide le fait d’une « façon toute formelle encore ». (comme le dit la suite du texte cité). Est-ce prouvé?

c) La question enfin est de savoir si la pensée parménidienne n’est pas accueillante à une identité relative (excluant la contradictoire, mais n’identifiant pas tout jugement à une négation)?

20/11/2008

Bilan parménidien

Classé dans: — admin @ 11:48 pm

« C’est toute la synthèse héraclitéenne qui se trouve niée, dans son fondement même par le poème de Parménide. Parménide s’oppose au : réalisme d’Héraclite et formule une exigence intérieure à la pensée elle-même. Il se penche sur la nécessité interne du jugement et suscite une nouvelle antinomie, alors qu’Heraclite pouvait légitimement croire les avoir toutes surmontées. La dialectique héraclitéenne ne laissait rien en dehors de son cercle, rien sauf le refus de la dialectique elle-même; et Parménide la nie. C’est toute la métaphysique d’Héraclite qui se trouve d’un coup opposée à l’intériorité même de la pensée, saisie d’ailleurs de façon toute formelle encore par les Éléates. Héraclite proclame l’identité de l’être et de la pensée, mais elle n’existe que dans la parfaite soumission au logos qui est cosmique. A son tour, Parménide va proclamer l’identité de l’être et de la pensée, mais il la trouve dans l’intériorité même du jugement. Si la pensée est l’être, rien de ce qui change n’est vraiment, ni n’est vraiment pensable. L’identité, dirions-nous aujourd’hui, cesse d’être dialectique et s’oppose contradictoirement à l’identité dialectique accueillante au relatif et à la négation. » Abel Jeannière, La pensée d’Héraclite d’Éphèse, Aubier, 1959, p. 93-94.

Bilan héraclitéen

Classé dans: — admin @ 11:39 pm

« Heraclite opère la gigantesque synthèse dont rêvaient ses devanciers. Aucune opposition qui ne soit aussi bien respectée que surmontée. L’Unité suprême est chez lui aussi transcendante que l’Apeiron d’Anaximandre, sans être pour autant étrangère à l’intelligence comme le dieu de Xénophane, et elle n’en est pas moins immanente aux êtres de l’expérience que l’eau de Thales ou l’air d’Anaximène. Le mouvement qu’Anaximène utilisait au plan phénoménal pour une explication à la fois mythique et mécanique du monde, devient ici une réalité métaphysique, il est principe au même titre que le feu… Prométhée n’était que le prophète de ce feu qu’Heraclite ramène du ciel. C’est le destin que l’homme ravit définitivement à Zeus. La métaphysique est née.

Elle est née, mais elle reste liée à un réalisme outrancier. La pensée d’Heraclite est tendue vers la chose, tout entière abandonnée à un monde intelligible, diluée, comme le feu lui-même, dans les choses. Il ne faut ni, diminuer Heraclite, ni héraclitiser sur les fragments. Heraclite ne connaît vraiment ni la liberté, ni la personne, ni l’homme, ni le dieu, ni la conscience de soi, ni même le logos dans lequel il enferme l’esprit comme en des langes. Mais sa synthèse comporte deux découvertes de valeur extraordinaire pour l’avenir de la philosophie. Il place le mouvement en dehors du monde sensible et parvient ainsi au véritable sens de l’Un; il connaît la valeur de la négation dans la connaissance, sans encore la distinguer du non-être relatif de la chose.

Abel Jeannière, La pensée d’Héraclite d’Éphèse, Aubier, 1959, p.92-93.
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La Philosophie

Classé dans: — admin @ 11:37 pm

Bonne pour des « jeunes », mais indigne des tâches adultes!…

— « c’est ce que tu reconnaîtras, à condition de t’orienter vers de plus hauts objets, renonçant désormais à la philosophie. La philosophie en effet a certainement, Socrate, son agrément, à condition qu’on s’y applique, avec modération, dans la jeunesse; mais si l’on y passe plus de temps qu’il ne faut, cela est ruineux pour un homme.

Supposons en effet que, füt-il doué d’un excellent naturel, il se soit adonné à la philosophie au-delà même de la jeunesse, forcément le résultat aura été qu’il n’a plus aucune expérience de tout ce dont l’expérience est indispensable quand on veut devenir un homme accompli et bien considéré. C’est un fait que le philosophe perd toute expérience, — des lois qui sont celles de la cité, — du langage dont il faut user dans les conventions, aussi bien privées que publiques, que comportent les relations humaines, — des plaisirs comme des passion des hommes; bref, il perd d’une façon générale toute expérience de la manière de vivre. Aussi lorsqu’il en vient à quelque affaire pratique, d’ordre privé ou d’ordre public, prête-t-il à rire à ses dépens… C’est en effet le cas de -dire avec Euripide : ce en quoi « chacun brille, c’est aussi vers quoi il se hâte, consacrant à cela la plus grande partie de sa journée, et où il peut lui arriver d’être supérieur à lui-même ». Mais l’occupation dans laquelle il ne vaut pas cher, de celle-là il s’éloigne, il la critique injurieusement; tandis qu’il fait l’éloge de l’autre, convaincu que par ces bonnes dispositions de sa part, il fait ainsi son propre éloge.

Le parti le plus correct est, je pense, de participer à l’un comme à l’autre de ces deux genres d’occupation. D’une part, il est beau de participer à la philosophie pour autant qu’on le fait en vue de la culture, et il n’y a rien de déshonorant pour un adolescent à s’occuper de philosophie. Mais si d’un autre côté, quand déjà avancé en âge, on continue à philosopher, cela devient, Socrate, un emploi de son temps qui mérite la risée…

Si en effet c’est chez un jeune, chez un adolescent, que je vois la philosophie, j’en suis charmé, cela me semble bienséant, et j’estime qu’il y a de la liberté dans ce tempérament d’homme, tandis que cette liberté «st, à mon sens, absente du jeune homme qui ne s’occupe pas de philosophie, lequel jamais ne se jugera lui-même capable de s’employer à rien de beau, ni de noble. Mais quand c’est justement un homme d’âge que je vois faire encore de la philosophie et n’avoir pas rompu avec elle, cet homme-là, Socrate, me semble avoir dorénavant besoin de verges. Car, voilà ce que naguère je disais, c’est le fait de cet homme-là, füt-il doué d’un excellent naturel, de finir par ne pas se comporter en homme, de fuir comme il le fait le centre de la cité et ces places sur lesquelles, comme dit le poète, « se font remarquer les hommes »!…

Crois-m’en plutôt, mon cher, mets un terme à tes chicaneries, exerce-toi à la belle musique des actes, exerce-toi à ce qui te donnera le moyen de passer pour un homme de sens, abandonnant à d’autres ces finesses, soit qu’il faille les traiter de bavardages, ou que ce soit des balivernes, dont le fruit est que tu logeras dans une demeure vide; jaloux d’imiter, non pas des gens qui chicanent sur ces riens, mais ceux qui ont moyens d’existence, réputation et une foule d’autres biens. »

Platon, Gorgias, 484 c-486 d.

Florent Gaboriau nous propose aussi lire la réplique de Socrate dans le même dialogue. Apparemment, la modération de son interlocuteur n’est-elle pas la « sagesse » même? une sagesse très courante…

Le sage devant les embarras de la vie corporelle.

Classé dans: — admin @ 11:33 pm

Sa faim de posséder la vérité (et le pressentiment extraordinaire qui en résulte)

« Il se peut bien qu’il existe une sorte de sentier qui nous conduise, si dans la recherche nous accompagne cette pensée : aussi longtemps nous aurons notre corps, aussi longtemps notre âme sera pétrie avec pareille malfaisance, jamais nous ne posséderons comme il faut l’objet que nous désirons; et nous déclarons que c’est la vérité.

Le corps, en effet, occupe de mille façons notre activité à propos de l’obligation de l’entretenir; sans compter que si des maladies surviennent, elles sont des entraves à notre chasse au réel. D’un autre côté voici des amours, des désirs, des craintes, des simulacres de toute sorte, des billevesées sans nombre : de tout cela il nous emplit si bien que, à parler franchement, il ne fait naître en nous la pensée réelle de rien. En effet, guerres, dissensions, batailles, rien d’autre ne nous vaut tout cela que le corps et ses désirs; car c’est à cause de la possession des richesses que se produisent toutes les guerres, et, si nous sommes obligés de posséder des richesses, c’est à cause du corps, esclaves prêts à le servir!

C’est de lui encore que, à cause de tout cela, procède notre paresse à philosopher; mais ce qui est le comble absolument, nous arrive-t-il même d’avoir, de sa part, quelque répit et de nous tourner vers l’examen réfléchi de quelque question, alors tombant à son tour inopinément en plein dans nos recherches, il y produit tumulte et perturbation, nous étourdissant au point de nous rendre incapables d’apercevoir le vrai. Eh bien! c’est au contraire pour nous chose prouvée que, si nous devons jamais avoir une pure connaissance de quoi que ce soit, il faut nous séparer de lui, et avec l’âme en elle-même, contempler les choses en elles-mêmes. C’est à ce moment, semble-t-il, que nous appartiendra ce que nous désirons, ce dont nous déclarons être amoureux : la pensée, c’est-à-dire, tel est le sens de l’argument, quand nous aurons trépassé, mais non quand nous vivons!

S’il n’est pas possible, en effet, de rien connaître de façon pure, avec le concours du corps, de deux choses l’une : ou bien d’aucune manière il ne nous est possible d’acquérir la connaissance, ou bien ce l’est pour nous une fois trépassés; car c’est alors que l’âme existera en elle-même et par elle-même, à part du corps, mais non point auparavant!

En outre, pendant que nous vivons, le moyen, semble-t-il, d’être le plus près de la connaissance, c’est d’avoir le moins possible commerce avec le corps, pas davantage de nous associer à lui à moins de radicale nécessité, pas davantage de nous laisser contaminer par la nature de celui-ci, mais au contraire de nous en purifier, jusqu’au jour où la Divinité en personne nous aura déliés. Ainsi nous voilà purs, séparés de la folie du corps, appelés alors, — c’est probable — à être en société avec des réalités analogues, et c’est par nous tout seuls que nous connaîtrons ce-qui-est-sans-mélange… Voilà, je crois, quelle sorte de langage tiendraient entre’eux nécessairement les amis-du-savoir, au sens droit du terme, quelle serait nécessairement leur croyance. Ne penses-tu pas de même? »

Platon, (Socrate), Phédon, 66-67b.

Les philosophes : Beaux parleurs ?… ou vrais penseurs ?

Classé dans: — admin @ 11:29 pm

— Socrate : La poésie est donc une éloquence publique?

— Calliclès : Évidemment!

— Socrate : Elle serait donc une éloquence publique ressortissant à l’art oratoire; n’est-ce pas une œuvre d’orateurs que les poètes, à ton avis, font dans les théâtres?

— Calliclès : C’est bien mon avis.

— Socrate : Nous avons donc à présent découvert un art oratoire, qui s’adresse à un public susceptible de comprendre, tout ensemble, des enfants, des femmes, des nommes, des esclaves aussi bien que des hommes libres : un art oratoire que nous n’aimons guère, car il est, affirmons-nous, une sorte de flatterie.

— Calliclès : Hé! absolument.

— Socrate : Eh bien! Et cet art oratoire qui s’adresse au peuple d’Athènes et aux autres, à ceux des autres cités, peuples d’hommes libres, que peut-il bien être à nos yeux? Est-ce que, à ton avis, les orateurs parlent dans tous les cas en ayant égard à ce qui vaut le mieux, se proposant comme but de rendre, grâce à leurs discours à eux, les citoyens les meilleurs possible? Ou bien, est-ce que, eux aussi, entreprenant de «-faire plaisir aux citoyens, portés par le souci de leur intérêt personnel à se peu soucier de l’intérêt commun, ils ont avec le peuple les mêmes façons de faire qu’avec des enfants, s’efforçant uniquement de lui faire , plaisir, sans se préoccuper aucunement de savoir si, par cette méthode, ils le rendront en vérité meilleur ou pire? »

— Calliclès : Ce n’est pas une question simple que tu me poses : il y en a, en effet, parmi les orateurs, qui en disant ce qu’ils disent s’inquiètent de leurs concitoyens et il y en a d’autres qui sont tels que tu les peins.

Platon, Gorgias, 502 d.

Ainsi parlait… Calliclès !

Classé dans: — admin @ 11:27 pm

De la Volonté de puissance (Justification sophiste — et nietzschéenne — de la force, considérée comme « nature »…).

— Calliclès : Qu’entends-tu par avoir de l’autorité sur soi-même?

— Socrate : Je n’entends rien de compliqué, mais quelque chose comme cette autorité sur ses propres plaisirs et ses propres passions, qui, aux yeux de la foule, caractérise un homme sage ayant la maîtrise de soi.

— Calliclès : Que tu me plais, Socrate! Ces sages dont tu parles, ce sont les imbéciles!

— Socrate : Comment, en effet, ne serait-ce pas eux? Il n’y aurait personne pour ne pas reconnaître que c’est des imbéciles que je parle!

— Calliclès : Eh oui! personne, Socrate, personne absolument! Car comment serait-on heureux quand on est esclave de qui que ce soit? Mais ce qui selon la nature est beau et juste, c’est ce que j’ai la franchise de te dire à présent : que celui qui veut vivre droitement sa vie doit, d’une part laisser les passions qui sont les siennes être les plus grandes possible, et ne point les mutiler; être capable, d’autre part, de mettre au service de ces passions qui sont aussi grandes que possible, les forces de son énergie et de son intelligence; bref, donner à chaque désir qui pourra lui venir la plénitude des satisfactions.

Mais c’est, je pense, ce qui n’est pas possible à la plupart des hommes. Voilà pourquoi ils blâment les gens de cette trempe. La honte les pousse dissimuler leur propre impuissance. Ils disent donc de la licence que c’est une vilaine chose, réduisant en esclavage, tout ainsi que je le disais précédemment, les hommes qui selon la nature valent davantage, et, impuissants eux-mêmes à procurer à leurs plaisirs un plein assouvissement ils vantent la sage modération et la justice : effet de leur manque de virilité!

… ces beaux dehors et ces conventions humaines qui sont en opposition avec la nature, ce n’est que du verbiage et cela n’a aucune valeur! »

Platon, Gorgias, 491 d - 492 d.

Démythologiser Platon ?

Classé dans: — admin @ 11:18 pm

« Parmi les questions préjudicielles que doit nécessairement résoudre quiconque veut pénétrer un peu avant dans la philosophie de Platon se trouve au premier rang celle de la valeur des mythes. Il est certain que Platon a souvent présenté ses doctrines sous forme poétique ou allégorique. Il s’est complu dans la fiction, et il n’est presque pas de dialogue où l’on ne puisse, en cherchant bien, découvrir des mythes plus ou moins développés. Il semble que ce soit surtout sur les questions essentielles, celles de Dieu, de l’âme, de la vie future, que le philosophe ait pris plaisir à présenter sa pensée sous la forme la plus opposée à sa méthode ordinaire qui est la dialectique. Certains dialogues, tels que le Timée, le plus considérable à la fois par l’étendue et l’importance des questions qu’il traite, puisqu’il s’agit de la formation du monde, de l’origine des dieux et des âmes, paraissent mythiques d’un bout à l’autre. Que faut-il penser de cette intervention perpétuelle de l’imagination dans l’exposé des doctrines platoniciennes? Doit-on rejeter impitoyablement et considérer comme étranger à la philosophie de Platon ce qui est présenté sous forme poétique ou paraît entaché de mythologie? Peut-on, au contraire, admettre que les mythes renferment au moins une part de vérité et que, à certains égards, et dans une mesure qui reste à déterminer, ils font partie intégrante de la philosophie platonicienne?

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Actualité des Présocratiques

Classé dans: — admin @ 11:05 pm

« Dans la plupart des histoires de la philosophie, les présocratiques font toujours un peu figure de parents pauvres… Beaucoup d’historiens de la philosophie se situent en effet dans des perspectives plus ou moins parapositivistes, cherchant à découvrir dans les débuts de la philosophie occidentale les origines du thème essentiel des philosophies de la connaissance à savoir celui de l’homme qui, par la science, se rend maître et possesseur d’une nature qu’il comprend et qu’il utilise en vue de fins intellectualisées. C’est ainsi que les présocratiques seront donnés comme les lointains fondateurs d’une physique tournant le dos aux récits mythologiques… (ils) nous intéresseraient dans la mesure où ils auraient cherché à définir la notion de quantité, la notion de loi naturelle détachée de la croyance à quelque fatum divin, la notion d’élément permettant au sujet pensant de parvenir à l’objectivité et à l’universalité de la cogitatio (Exemples donnés par l’auteur : Burnet, Robin, Tannery, Brunschwicg).

On peut se demander si une telle façon de lire les présocratiques ne revient pas à faire d’eux bien plutôt nos fils que nos pères; il semble en effet qu’elle veuille trouver un point de départ en fonction de ce que nous sommes devenus, faisant ainsi de ce point de départ une sorte de point d’arrivée; en remontant à la source c’est nous qui devenons la source : nous jugeons de cette première sagesse au nom d’une sagesse qui nous sert de table de valeurs pour chercher des originaux dans des copies dont nous sommes les auteurs.
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Sur la situation précaire (trop purement scolaire) faite aujourd’hui à la Philosophie

Classé dans: — admin @ 10:59 pm

« Dans le monde où nous vivons la philosophie ne survit guère que grâce à la structure de l’Université, à ses programmes et à ses enseignements. Les « philosophes » sont une section spécialisée du personnel enseignant, 3 Stf leurs disciples préparent des examens pour lesquels la philosophie est une matière imposée… Socrate tirait argument contre les sophistes des ressources qu’ils tiraient de leur art : nous n’en sommes plus à reprocher au professeur de tirer sa subsistance de l’enseignement auquel il se consacre. Aussi bien, s’il n’y avait un baccalauréat, une licence et une agrégation de philosophie, il est clair que cet exercice austère perdrait à peu près tous ses fidèles, et serait menacé de disparition radicale. » G. Gusdorf, Vers une métaphysique, CDU, p. 18.
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4/11/2008

Gusdorf: Les soi-disant preuves de l’existence de Dieu

Classé dans: — admin @ 7:43 pm

Les systèmes métaphysiques, de Descartes et Spinoza jusqu’à Hegel et Hamelin, peuvent être considérés comme de gigantesques preuves de l’existence de Dieu, chaque vérité dans le développement du système ne ne prenant tout son sens que selon la perspective de la totalité, où elle se replace sous le parrainage de la Raison absolue. Mais les philosophes ont présenté des arguments en forme, le plus souvent repris de la théologie, qui permettent, à leurs yeux, d’établir de toute nécessité l’existence d’un être divin garant de toute réalité. Depuis Aristote, la théodicée a formulé un certain nombre de « preuves », reprises d’âge en âge, et perfectionnées contre des critiques éventuelles; les plus célèbres de ces doctrines sont la preuve par la nécessité d’un premier moteur, par l’impossibilité d’une régression à l’infini de la chaîne des causes, par les causes finales, par l’idée de perfection ou d’infini. La preuve a priori, ou argument ontologique, permettant de déduire l’existence de Dieu de la seule considération de son essence, dont l’idée première revient à saint Anselme, a paru spécialement décisive à Descartes; elle a été revue et corrigée, après lui, par de grands esprits comme Leibnitz et Hegel.
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Gusdorf: La Fonction-Dieu en Philosophie

Classé dans: — admin @ 7:38 pm

La fonction-Dieu demeure donc, en toute philosophie, cette dernière instance qui parachève l’établissement de l’homme dans la totalité, lui fixant son lieu ontologique parmi l’horizon des valeurs…

… Dieu est pour le philosophe le suprême recours, l’être par-delà l’existence, et qui seul peut donner le sens de l’existence, le foyer imaginaire mais réel, de l’autre côté du miroir, où les intentions se recoupent, où les valeurs se réconcilient, fondement injustifiable de tous les fondements, lieu eschatologique d’une espérance sans laquelle la réalité ne serait qu’une fantasmagorie sans raison et sans but.

L’idée même de cette fonction-Dieu paraîtra sans doute scandaleuse, pour les philosophes, en particulier, dont la pensée prend acte de l’inexistence de la divinité, ou se dresse de toute sa révolte pour chasser du domaine humain tout souvenir des représentations théologiques. L’idée de Dieu intervient pourtant comme un horizon nécessaire de la méditation, dès qu’elle s’efforce de situer l’homme dans la totalité. La totalité de l’Objet se dérobe dans les contradictions de l’infini actuel, mais pareillement nous échappe la totalité du Sujet, en laquelle s’affirmerait l’ensemble des puissances de l’esprit et de la volonté, la plus haute réalisation des valeurs réconciliées. Toute philosophie doit situer l’homme, c’est-à-dire marquer sa place dans le Tout. Dès lors chaque penseur en dépit des apparences parfois contradictoires du vocabulaire employé, doit élaborer une théologie, un discours de la totalité actuelle ou refusée, qui fonde les significations humaines sur une référence eschatologique.
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Gusdorf: Sur la Théologie

Classé dans: — admin @ 7:33 pm

La philosophie est l’effort de l’homme pour prendre conscience de la réalité de la manière la plus complète. L’inventaire des possibilités de la réflexion, dans la perspective classique, se répartit entre trois chapitres principaux : l’homme, le monde et Dieu. La doctrine de Dieu forme la première partie, et la plus décisive, de la métaphysique dans son ensemble. Dieu constitue l’horizon le plus large pour l’usage de la pensée, et c’est en fonction de Dieu que les autres réalités se mettent en place.

Ce schéma triparti a fait l’objet de diverses critiques, mais on ne peut pas dire qu’il y ait été définitivement abandonné…
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Stein: Comparaison Husserl-Saint-Thomas (à propos de la « Wesenschau »)

Classé dans: — admin @ 7:24 pm

« C’est sur le terrain de l’analyse objective de l’essence que me semble se situer la communion la plus forte entre Phénoménologie et Thomisme. Le processus de la réduction eidétique, — abstrayant de l’être en fait, et de tout ce qui est accidentel, pour rendre visible l’essence, me semble justifié — d’un point de vue thomiste, — par la distinction d’essence et d’existence en tout être créé. La question de savoir si le processus d’analyse essentielle est le même chez saint Thomas que dans la phénoménologie, exigerait au préalable une large analyse de l’abstraction et de l’intuition. L’intuition phénoménologique n’est pas simplement une contemplation de l’essence « uno intuitu ». Elle comporte une œuvre

Stein: Point de départ de la phénoménologie

Classé dans: — admin @ 7:19 pm

« La phénoménologie de Husserl est une philosophie essentielle, celle de Heidegger, une philosophie existentielle. Le moi philosophant qui est le point de départ, pour découvrir le sens de l’être (den Sinn des Seins), est chez Husserl le « pur moi » (das reine Ich); chez Heidegger, la personne humaine concrète. Peut-être cette recherche d’une philosophie existentielle est-elle à interpréter comme une réaction contre le tendance de Husserl à faire abstraction de (mot à mot « à débrayer ») de l’existence et de tout ce qu’il y a de concret et de personnel. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 104-105)

« La recherche d’un point de départ absolument certain (gewiss) pour la pensée philosophique (das Philosophieren) me paraît motivée psychologiquement et fondée objectivement, par le fait de l’erreur et de l’illusion. Reconnaître une plus grande immédiateté à la sphère immanente, par comparaison avec le monde extérieur, me paraît possible, de la part même de saint Thomas (De Ver., Q. X). Assurément l’attitude naturelle spontanée (natürliche Einstellung) est originellement orientée sur le monde extérieur (pour Husserl comme pour saint Thomas), et c’est seuleinsnt la réflexion qui conduit ensuite à la connaissance des actes. Mais dans cette connaissance réfléchissante, la connaissance et l’objet ne forment, d’une certaine manière, qu’un, et on se rapproche ainsi de la connaissance divine davantage que dans la connaissance des objets externes. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 109-110)

Stein: histoire de la phénoménologie

Classé dans: — admin @ 7:15 pm

« A l’origine, l’intention de Husserl n’allait pas à une métaphysique, mais à une philosophie des sciences (Wissenschaftlehre). Mathématicien, il commence par étudier les fondements des Mathématiques (dans sa « Philosophie der Arithmetik »). Mais là, butant sur les rapports intimes de la mathématique et de la logique, il fut conduit à examiner dans leur principe même l’idée et le rôle de la Logique formelle. Le tome I de ses « Logische Untersuchungen » fit époque, en marquant une rupture complète avec toutes les formes de relativisme sceptique (psychologisme, historicisme, etc.) et en marquant une orientation nouvelle de l’idée de vérité objective. Sa réflexion sur l’idée de Logique conduisit Husserl à cette conviction, que la Logique ne se présente pas à nous comme une science achevée, terminée, mais qu’elle pose une foule de problèmes à résoudre, dont il faudrait traiter après de vastes études de détail. Une série de ces recherches spéciales forme le tome II des « Logische Untersuchungen ». A cet effet, Husserl s’est constitué une méthode de recherche propre, l’analyse objective des essences… Cette orientation dans le sens des entités objectives donna aux contemporains l’impression que la phénoménologie était un renouveau des tendances scolastiques. C’est cette méthode que les premiers disciples de Husserl ont faite leur (Göttingen) : elle se révéla féconde non seulement pour la solution de problèmes logiques, mais pour l’explication (éclaircissement, Klärung) des concepts fondamentaux aux différentes sciences, ainsi que pour le fondement eidétique de la psychologie, des sciences naturelles, des sciences de l’esprit, etc. L’influence de la phénoménologie s’est traduite dans les sciences positives, — psychologie notamment et sciences de l’esprit,—par une révolution (wesentliche Umbildung) dans leur processus.

Or tandis qu’il travaillait à ses « Logische Untersuchungen », Husserl s’était convaincu d’avoir trouvé dans la méthode dont il usait, la méthode universelle pour la constitution d’une philosophie comme science stricte. Exposer cette méthode et en fonder la portée universelle, devait être l’objet des « deen zur einer reine Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie ». La recherche d’un point de départ absolument sûr (sicher) du cheminement philosophique (des Philosophierens) le conduit alors au doute cartésien modifié, à la réduction transcendantale, à la découverte de la conscience transcendantale comme d’un champ aux vastes fouilles. C’est dans les « Ideen » que se fait jour en quelques passages, pour la première fois, le tournant idéaliste. Tournant qui fut une surprise complète pour les élèves de Husserl et provoqua aussitôt la discussion qui se prolonge encore aujourd’hui. Peut-être est-ce justement cette résistance, venue du cercle de ses disciples, qui a poussé Husserl à concentrer ses efforts de plus en plus dans le sens d’un idéalisme à fonder d’une manière contraignante, et à faire de cette question le centre de sa philosophie, alors qu’elle ne l’était nullement à l’origine. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 102)

Stein: Méthode phénoménologique

Classé dans: — admin @ 7:11 pm

« La déduction au sens traditionnel du terme n’est pas ce qui correspond à la méthode phénoménologique. Son processus est au contraire de « décel » (Aufweis) réflexif : d’abord, analyse régressive, qui part du monde tel qu’il nous est donné à nous dans la disposition de nature (in der natürlichen Einstellung); puis les actes et les complexes d’actes que l’on décrit, et dans lesquels le monde des choses se constitue pour la conscience; finalement le fleuve temporel (ou le flux, Zeitfluss) dans lequel les actes mêmes se constituent comme unités de durée. Alors peut commencer une description de la constitution, qui suit le processus inverse : partant de l’ultime décelable, qui est la vie actuelle du Moi transcendantal, on représente progressivement comment, à travers cette vie actuelle se constituent les actes et leurs corrélats objectifs de divers ordres, jusqu’au monde matériel des choses, et éventuellement des réalités d’un degré supérieur » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 101)

Berdiaev: Perspectives de la Métaphysique

Classé dans: — admin @ 7:02 pm

« La doctrine marxiste du développement social est aussi conservatrice, aussi soumise à la nécessité, que la doctrine darwiniste du développement biologique. Le marxisme nie le sujet créateur au même titre que le darwinisme. Pour le marxisme aussi, il n’existe que la répartition de la matière sociale, sans accroissement et sans profit. Le marxisme ne connaît pas la personnalité, il ne connaît pas la liberté, et par conséquent il ne connaît pas la création. Il y a dans le marxisme une part de vérité, lorsqu’il !•? parle de l’oppression qui pèse sur le sujet créant, de l’oppression qui pèse ‘Si sur l’homme. Mais son mensonge consiste à se donner comme une métaphysique de l’être. » N. Berdiaev, Le Sens de la création, Desclée, 1955, p. 184.

Lavelle: Perspectives de la Métaphysique

Classé dans: — admin @ 7:01 pm

« Le chemin qui conduit vers la métaphysique est particulièrement difficile. Et il y a peu d’hommes qui acceptent de le gravir. Car il s’agit d’abolir tout ce qui paraît soutenir notre existence, les choses visibles, les images et tous les objets habituels de l’intérêt ou du désir. Ce que nous cherchons à atteindre, c’est un principe intérieur auquel on a toujours-donné le nom d’Acte, qui engendre tout ce que nous pouvons voir, toucher ou sentir, qu’il ne s’agit point de concevoir, mais de mettre en œuvre et, qui par le succès ou par l’échec de notre opération, explique à la fois l’expérience que nous avons sous les yeux et la destinée que nous pouvons nous donner à nous-mêmes.

Il y a toujours chez le philosophe une pudeur secrète. Car il remonte jusqu’aux sources mêmes de tout ce qui est. Or toutes les sources ont un caractère mystérieux et sacré, et le moindre regard suffit à les troubler. C’est qu’il y a dans ces sources à la fois l’intimité d’une volonté divine, que je tremble d’interroger, et l’intimité de ma volonté propre, que je tremble d’engager. L’obscurité, le mysticisme sont souvent des marques de cette pudeur. » L. Lavelle, De l’acte, p. 9-10.

« Les philosophes ont toujours cherché quel est le fait primitif dont tous les autres dépendent. Mais le fait primitif, c’est que je ne peux ni poser l’être indépendamment du moi qui le saisit, ni poser le moi indépendamment de l’être dans lequel il s’inscrit. Le seul terme en présence duquel je me retrouve toujours, le seul fait qui est pour moi premier et indubitable, c’est ma propre insertion dans le monde ». (L. Lavelle, ib., p. 10.)

Gurvitch: Perspectives de la Métaphysique selon Kierkegaard

Classé dans: — admin @ 6:54 pm

« Le terme « existence » introduit par Kierkegaard, ainsi que par la philosophie de l’existence dont il a été le promoteur, ont eu un sens historique très précis d’instruments de lutte contre la dialectique con-structive et le panlogisme hégélien. Nul doute d’autre part n’est possible, quant au fait que l’existence pour Kierkegaard est d’abord celle du Christ, — transcendance incarnée dans l’immanence, Jésus ouvrant la lignée des « existants » qui enseignent par le fait même d’ « exister ». H. Gurvitch

Merleau-Ponty: Perspectives de la Métaphysique

Classé dans: — admin @ 6:47 pm

« Ce que chacun peut dire brièvement, c’est de quelle signification peu à peu le mot de métaphysique s’est chargé pour lui, à quoi il l’oppose, à quelle intention il l’emploie. Un compte rendu de ce genre ne suffit pas à fonder le concept dont il ne donne, pour ainsi dire, que la valeur d’emploi. Il est légitime au moins comme contribution à la sociologie des idées, si la métaphysique latente qu’il découvre dans l’usage du mot est assez répandue.

Or, la métaphysique, réduite par le kantisme au système des principes que la raison emploie dans la constitution de la science ou de l’univers moral, — radicalement contestée dans cette fonction directrice par le positivisme, — n’a pas cessé cependant de mener dans la littérature et dans la poésie comme une vie illégale. Dans les sciences même elle reparaît, non pas pour en limiter le champ ou pour leur opposer des barrières, mais comme l’inventaire délibéré d’un type d’être que le scientisme ignorait et que les sciences ont peu à peu appris à reconnaître. C’est cette métaphysique en acte que nous nous proposons de circonscrire « mieux, et d’abord de faire apparaître à l’horizon des sciences de l’homme. » M. Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Nagel, 1948, p. 165-166.

« Les sciences de l’homme dans leur orientation présente, sont métaphysiques ou transnaturelles en ce sens qu’elles nous font redécouvrir, avec la structure et la compréhension des structures, une dimension d’être et un type de connaissance que l’homme oublie dans l’attitude qui lui est naturelle » (id., ib., p. 185).

« Si j’ai compris que vérité et valeur ne peuvent être pour nous que le résultat de nos vérifications ou de nos évaluations, au contact du monde, devant les autres et dans des situations de connaissance et d’action données, alors le monde retrouve son relief, les actes particuliers de vérification et d’évaluation dans lesquels je ressaisis une expérience dispersée reprennent leur importance décisive, il y a de l’irrécusable dans la connaissance et dans l’action, du vrai et du faux, du bien et du mal, justement parce que je ne prétends pas y trouver l’évidence absolue.

lot. La conscience métaphysique et morale meurt au contact de l’absolu parce qu’elle est elle-même, par-delà le monde plat de la conscience habituée ou endormie, la connexion vivante de moi avec moi et de moi avec autrui. La métaphysique n’est pas une construction de concepts par lesquels nous essaierions de rendre moins sensibles nos paradoxes; c’est l’expérience que nous en faisons dans toutes les situations de l’histoire personnelle et collective, — et des actions qui, les assumant, les transforment en raison. C’est une interrogation telle qu’on ne conçoit pas de réponse qui l’annule, mais seulement des actions résolues qui la reportent plus loin. Ce n’est pas une connaissance qui viendrait achever l’édifice des connaissances ; c’est le savoir lucide de ce qui les menace et la conscience aiguë de leur prix. La contingence de tout ce qui existe et de tout ce qui vaut n’est pas une petite vérité, à laquelle il faudrait tant bien que mal faire place dans quelque repli d’un système, c’est la condition d’une vue métaphysique du monde. Une telle métaphysique n’est pas conciliable avec le contenu manifeste de la religion et avec la position d’un penseur absolu du monde » (id., ib., p. 191-192).

Masson-Oursel: « Positivité » de la métaphysique ?

Classé dans: — admin @ 6:44 pm

« La métaphysique s’oppose aux autres sortes de connaissance en tant que zèle pour l’absolu, à l’encontre de la curiosité pour le relatif. Mais, sous prétexte que « dans l’absolu toutes les vaches sont grises », on préjuge trop souvent que le métaphysicien réfléchit dans l’abstrait ou poursuit un rêve nébuleux. L’absolu serait inexprimable et impensable. Pourtant dans une dialectique de la pure raison, qui date, en Europe, du classicisme grec, l’inconditionné régit le conditionné. Ceci déjà nous met en défiance : ne ferait-on pas tort à quelque expérience effective en scindant comme deux pôles l’absolu des métaphysiciens et le relatif de la science?

Sans doute faut-il compter avec les métaphysiciens maladroits et avec les anti-métaphysiciens incompétents; ils suffisent à répandre de la confusion. Prenons-y garde : le principal adversaire de la Métaphysique, Kant, montre sa nécessité dans la réfutation même qu’il en fait. Si le métaphysique apparaît propension naturelle (Naturanlage), contre laquelle il faudrait se défendre, mais qu’on ne saurait extirper, comment s’étonner de ce que le criticisme ait suscité une foison de dogmatismes? D’autre part, le fondateur du positivisme assure : « Tout est relatif, il n’y a que cela d’absolu » (A. Comte, Lettres à d’Eichtal) ; ce qui, quelle que soit la façon dont Comte l’a pris, peut fort bien envelopper, du même coup que la relativité de l’absolu, l’absoluité du relatif. Ainsi, de ces contempteurs de la métaphysique, l’un la reconnaît spontanément inhérente à l’acte de penser; l’autre avoue que le relatif participe de l’absolu.

Nous nous assignons pour tâche de serrer de près ce rapport particulier oü l’en soi et le pour nous ensemble s’affirment. Nous éviterons ainsi de confondre la métaphysique avec la philosophie dont elle est soit une partie soit une modalité… Durhkeim nous apprit jadis qu’une discipline sans objet est vaine : mais nous déterminerons le fait métaphysique. Lévy-Bruhl estimait que la pire condition pour apprendre est de présumer que l’on sait : nous commencerons par l’aveu d’ignorance et enquêterons sur le contenu de la de la métaphysique à travers les principales traditions philosophiques. Nous devons à Bergson cette observation aussi riche que simple : l’essentiel d’une philosophie, son origine même, c’est non pas telle « source », dérivée d’une philosophie antérieure, mais une attitude vitale du philosophe, dans son privé comme face au monde. Nous ferons notre profit de cette indication, et pour le reste, prendrons nos responsabilités, sans nous laisser émouvoir par les dithyrambes et les mépris dont on use à l’égard de la discipline étudiée.

L’impulsion qui suscita les métaphysiques anime la pensée en de bien autres usages, auxquels on ne prête ni sublimité, ni témérité ; souvent on la condamne, on l’exalte, en se méprenant sur ce qu’elle est. L’homme espère ou redoute, bénit ou maudit, avant de connaître. En dépit de nos classiques, il faut savoir que l’absolu ne se cantonne ni dans l’argument ontologique de saint Anselme et de Descartes, ni dans la déduction mathématicienne ou spinoziste. N’en déplaise à l’exubérance romantique, si proche de la « Schwärmerei », le génie ne détient pas le monopole de la création. Et si suspect que paraîtrait à Comte ce langage il y a, nous le montrerons, une positivité du métaphysique. » P. Masson-Oursel, Le fait métaphysique, PUF, 1941, V-VIII.

Kant: Prolégomènes à toute métaphysique future qui puisse se présenter comme science

Classé dans: — admin @ 6:37 pm

« Il y a des gens instruits, pour qui l’histoire de la philosophie ancienne ou moderne tient lieu de philosophie : ce n’est pas pour eux que sont écrits ces Prolégomènes. Il leur faut attendre le moment oü ceux qui s’efforcent de puiser aux sources de la raison, en auront fini avec leur tâche, et ce sera leur tour alors de porter au monde la nouvelle du résultat. Mais par contre à les en croire, rien ne peut être dit, qui ne l’ait déjà été par ailleurs ; et voilà bien en effet un moyen infaillible de prédire le futur quel qu’il soit, — car l’intelligence humaine s’étant échauffée durant des siècles et de plus d’une façon sur d’innombrables objets, on ne manquera pas de trouver un ouvrage ancien qui présente quelque ressemblance avec le nouveau quel qu’il soit.

Mon intention est de convaincre d’une chose tous ceux qui jugent utile de s’occuper de métaphysique : qu’il leur est absolument indispensable d’interrompre provisoirement leur travail, de regarder tout ce qui s’est fait jusqu’ici comme si ce n’était pas advenu (ailes bisher Geschehene als ungeschehen anzusehen), et de soulever avant tout et de prime abord la question suivante : une chose comme la Métaphysique est-elle seulement possible? (ob auch so etwas als Mctaphysik überall nur möglich sei).

Si c’est une science, d’oü vient qu’elle ne puisse obtenir, comme les autres sciences, une approbation générale et durable? Si elle n’en est pas une, d’oü vient qu’elle se gonfle continuellement de cette apparence, et qu’elle tienne l’intelligence humaine en haleine d’espoirs impossibles à éteindre et pourtant jamais comblés? Qu’on doive la convaincre de savoir ou d’ignorance, il faut une bonne fois vérifier la nature de cette prétendue science, car on ne peut en rester plus longtemps sur ce pied-là. Alors que toutes les autres sciences progressent sans cesse, il semble presque ridicule que celle-là — qui veut être la sagesse et dont chacun consulte les oracles, — en soit à tourner sur place continuellement sans avancer d’un pas. Aussi bien ses adeptes ont-ils fort diminué, et l’on ne voit pas que ceux qui se sentent assez fort pour briller en d’autres sciences, veuillent risquer leur réputation dans celle-ci, oü le premier venu, tout ignorant qu’il soit par ailleurs, prétend à un jugement décisif, parce que de fait on n’y dispose pas encore de poids et de mesures assez sürs pour distinguer d’un plat bavardage la profondeur » (trad. Florent Gaboriau). Immanuel Kant, Prolegomena zu einer jeden künftigen Metaphysik, die als Wissenschaft wird auftreten können, Riga, 1783, Vorrede.

1/11/2008

Prat: Histoire de l’éclectisme alexandrin, considéré dans sa lutte avec le christianisme

Classé dans: — admin @ 7:20 pm

Histoire de l’éclectisme alexandrin, considéré dans sa lutte avec le christianisme - Jean Marie Prat

TABLE DES LIVRES ET DES CHAPITRES

CONTENUS DANS LE PREMIER VOLUME.

LIVRE PREMIER.

DEPUIS LA NAISSANCE DU CHRISTIANISME JUSQU’A L’ÉTABLISSEMENT DE L’ECOLE DE PLOTIN A ROME, EN 244.

I. État de la philosophie en Egypte, à la naissance du christianisme

II. Jésus-Christ.—Prédication des apôtres.—Mouvements des sectes philosophiques

III. Le gnosticisme enfanté par la philosophie.—Simon—Ménandre—Cérinthe

IV. Le philosophisme organise une attaque générale contre la religion chrétienne

V. Autres gnostiques : Saturnin — Basilide — Carpocrate — Epiphane — Valentin réfutés par saint Irénée

VI. Docteurs chrétiens : Castor - Agrippa — Quadratus — Aristide — Justin

VII. Marc-Aurèle persécute les chrétiens. — Celse écrit contre eux. — Martyre de saint Justin

VIII. Docteurs chrétiens : Tatien — Bardesane — Athénagore — Méliton — Saint Théophile — Hermias

IX. Ecole chrétienne d’Alexandrie : Athénagore — Saint Pantamus — Clément d’Alexandrie

X. Nouvelles tentatives du philosophisme contre la religion chrétienne.—Coterie de Julia Domna.—Docteurs chrétiens : Tertullien — Origène — Héraclas — Ammonius Saccas

LIVRE SECOND.

DEPUIS L’ETABLISSEMENT DE L’ECOLE DE PLOTIN A ROME, EN 244, JUSQU’A LA MORT DE PORPHYRE, VERS L’AN 305.

I. Système théologico-philosophique des éclectiques alexandrins

II. Plotin à Rome. — Olympius à Alexandrie. — Docteurs chrétiens : Saint Denys — Piérius — Anatole — Origène

III. Commencements de Porphyre.—Dernières années de Plotin — Sa mort — Ses qualités

IV. Écrits et doctrines de Plotin

V. Porphyre succède à Plotin.—Son plan d’attaque contre le christianisme. — Son influence sur toute la secte. — Ses écrits

VI. Dioclétien persécute les chrétiens, tandis que le philosophe Hiérocles les outrage dans ses écrits. — Docteurs chrétiens : Lactance — Eusèbe

VII. Mort de Porphyre — Esprit et qualités de ce philosophe

LIVRE TROISIÈME.

DEPUIS LA MORT DE PORPHYRE, VERS L’AN 305, JUSQU’A L’AVÈNEMENT DE JULIEN AU TRÔNE, EN 361.

I. Constantin monte sur le trône. — L’Éclectisme se transforme en société secrète. — Jamblique de Chalcide.

II. Doctrine de Jamblique

III. Eusèbe et Lactance écrivent contre le paganisme philosophique

IV. Des éclectiques accourent à Nicée où ils sont confondus. Sopater va défendre l’Éclectisme à la cour de Constantinople. — Sa mort

V. Les éclectiques, plus surveillés par l’autorité civile, se réfugient dans l’Asie-Mineure, où ils vivent sous la direction d’Aedésius, leur coryphée

VI. Commencements de Julien. — Ce prince va continuer ses études dans l’Asie-Mineure, où il fait connaissance avec les principaux éclectiques

VII. Ces philosophes gagnent Julienj à leur parti

VIII. Hypocrisie de Julien. — Ce prince à Athènes. — État des écoles de cette ville

IX. Julien, créé César, est envoyé dans les Gaules où il prend le titre d’Auguste

29/10/2008

La Vallée Poussin: Bouddhisme ; opinions sur l’histoire de la dogmatique

Classé dans: — admin @ 9:29 pm

Bouddhisme ; opinions sur l’histoire de la dogmatique- La Vallée Poussin, Louis de, 1869-1938

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

I. Intérêt des études bouddhiques, 1. — II. Dans quelle mesure nous connaissons l’histoire du Bouddhisme, 10. — III. Le caractère et les grandes lignes de cette histoire, 17.

Chapitre Premier. — L’enseignement de Çàkyamuni

1. Authenticité des Ecritures du Petit Véhicule, 29. — 2. Métempsychose, rétribution des actes, non-substantialité, nirvana, 53. — 3. Le « chemin du milieu », 78 — 4. Le nirvâna-sur-terre et le Bouddhisme positiviste, 103.

Chapitre II. — Systèmes métaphysiques du Bouddhisme

1. Foi, raison et intuition, 130. — 2. Les Personnalistes (pudgalavâdins), 156. — 3. Les Phénoménalistes (skandhavâdins), 164. — Les Sautrântikas et l’âme-série, 178. — 4. Les Nihilistes (mâdhyamikas) et les Idéalistes (vijnânavâdins), 186.

Chapitre III. — Bouddhisme philosophique et religieux

1. Le culte dans le Petit Véhicule, 206; — 2. Caractère de la légende et de la divinité du Bouddha, 214. — 3. Les « marques » et autres traits surnaturels dans le canon pâli, 232. — 4. Bouddhologie des sectes supra-naturalistes, 248. — 5. Bouddhologie du Grand Véhicule, 260. — Amitâbha, 266.

Chapitre IV. —: La carrière du futur Bouddha

1. Petit Véhicule : légende de Pûrna, 275. — 2. Critique du Petit Véhicule ; le double « équipement » : savoir et piété, 280. — 3. Le futur Bouddha débutant ; le vœu; les étages ou « terres » de son ascension, 297. — 4, Le Grand Véhicule est-il le seul véhicule ? Souffrances et avantages de la « noble carrière » ; casuistique et laxisme, 313.

Chapitre V. — Le Bouddhisme et le surnaturel hindou. — Le Tantrisme

1. L’enseignement du Bouddha et les croyances populaires; les conventuels et les forestiers, 347. — 2. Véhicules orthodoxes : exorcismes et divinités bouddhisées, 362. — 3. Docteurs, littérature, panthéon, gnose, rites et theurgies tantriques; le Tantrisme et les destinées du Bouddhisme indien, 378.

27/10/2008

Bovet: Le dieu de Platon d’après l’ordre chronologique des Dialogues

Classé dans: — admin @ 10:26 pm

Le dieu de Platon d’après l’ordre chronologique des Dialogues- Pierre Bovet

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I. Le problème

II. La méthode

III. L’ordre chronologique des dialogues

IV. L’évolution de la pensée de Platon

Période socratique — Dialogues des idées — Réforme de la théorie des idées — Résumé

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

1. L’ésotérisme de Platon

2. L’interprétation des mythes

PREMIÈRE PARTIE

LA PLACE DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON D’APRÈS LES DIALOGUES DES IDEES

Chap. I. La philosophie de Platon d’après ces dialogues

II. La conception de Dieu d’après ces dialogues

III. Dieu dans cette philosophie

Quelle place Dieu occupe-t-il par rapport aux idées ?

1. Dieu est l’idée suprême

2. Dieu est au-dessus des idées

3. Dieu est au-dessous des idées

4. Dieu est à côté des idées

Dieu ne tient aucune place dans la théorie des idées.

Appendice : Dieu dans les philosophies antérieures

Ioniens — Pythagore — Xénophane — Eléates — Heraclite — Empédocle — Atomistes — Anaxagore — Sophistes — Socrate — Socratiques — Résumé

SECONDE PARTIE

LA PLACE DE DIEU DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON D’APRÈS LES DERNIERS DIALOGUES

Chap. I. La philosophie de Platon d’après ces diabogues

II. Dieu dans cette philosophie

III. Les doctrines théologiques

Dieu et les dieux — Dieu et les âmes — Dieu et les choses — Panthéisme — Manichéisme — Emanatisme — Résumé

Conclusion

Passages de Platon cités ou mentionnés

Simon: Du commentaire de Proclus sur le Timée de Platon

Classé dans: — admin @ 10:16 pm

Du commentaire de Proclus sur le Timée de Platon- Jules Simon

TABLE DES MATIÈRES.

PREMIÈRE PARTIE.

Chapitre. I. Les Égyptiens.

Orphée.

Homère et Hésiode.

Chapitre II. École Ionienne.

Pythagore et les Pythagoriciens.

Timée de Locres.

Philolaüs.

Ocellus Lucanus.

Archytas de Tarente, Zenon d’Élee, Anaxágoras, Empédocle.

Heraclite.

Parménide.

Les Sophistes, Socrate.

Chapitre III. Platon.

Xénocrate et les Platoniciens.

Chapitrb IV. Aristote.

Les Peripatéticiens.

Théophraste.

Eudème, Aristoxène, Straton.

Épicure.

Etirymaque.

Les Stoïciens.

Philonides, Proclus Mallotes, Panœtius , Posidonius.

Chrysippe.

Chapitre V. Liste des commentateurs Alexandrins du Tïmée.

Plutarque de Chéronée.

Ptolémée.

Atticus.

Numenius.

Aristander, Sévérus, Harpocration.

Albinus, et Caïus le Platonicien.

Les Théurges.

Julien le Théurge.

Chapitre VI. Plotin.

Longin.

Origène.

Chapitre VII. Porphyre.

Chapitre VIII. Jamblique.

Chapitre IX. Théodore d’Asiné.

Amélius.

Sévérus.

Syrianus.

SECONDE PARTIE.

Liste des autres ouvrages de Proclus qui se trouvent cités dans celui-ci.

Résume succinct du Timée.

L’époque du Dialogue; les interlocuteurs.

Opinion de Proclus sur le but de la République ; — sur la femme; — sur la transmission de père en fils des qualités de l’âme; — sur Homère.

Remarques sur le mot atopos.

Opinion de Proclus sur le sens de l’épisode de l’Atlantide.

Digression sur la prière.

to aei on, to aei gignomenon

De la connaissance et de ses objets.

Éternité du monde.

Nécessité d’une cause première ; distinction entre l’auteur et le père du monde. Trinité de Proclus.

De l’origine et de la nature du mal.

Les quatre élémens des corps ; leur essence. Rapport des élémens entre eux.

Pourquoi Platon a prétendu que quand les deux extrêmes sont des solides, ils ne peuvent être unis en proportion que par deux moyens, et non par un seul.

De la forme sphérique du monde.

Des trois élémens qui entrent dans la composition de l’âme.

Lois de l’harmonie musicale.

Astronomie.

Immobilité de la terre au centre du monde.

Discours du demiourgos aux dieux inférieurs.

Action de Dieu sur le monde moral ; sa justice. — heimarmein.

Métempsychose.

Conclusion.

Index.

Tissandier: Examen critique de la psychologie de Platon

Classé dans: — admin @ 8:58 pm

Examen critique de la psychologie de Platon- Jean Baptiste Tissandier

TABLE

INTRODUCTION.

Chapitre I. — De ta méthode psychologique. — Division des facultés. — De la sensibilité. — De son rôle dans la pensée. — La sensation n’est point représentative ; de plus elle est individuelle ; de là son impuissance à fonder la science, qui ne peut avoir que le général pour objet.

Chapitre II. — Des différentes divisions de la pensée humaine. — Opinion vraie.—Science. — Intelligence. — Parallèle de Platon et d’Aristote sur la nature des Universaux.— Germe de Réalisme dans Platon. —> De l’idée ; de son origine ; de sa valeur objective. — De ses rapports 1° avec Dieu, 2° avec l’opinion vraie, 3° avec les choses.

Chapitre III- — De la Dialectique, de ses avantages et de ses inconvénients. — Critique générale du système intellectuel de Platon. — Idéalisme et Mysticisme.

Chapitre IV. — Théorie de la sensibilité morale. — Ses caractères. — Son origine. — Ses rapports avec les autres facultés. — Sa fin. — Rapprochements entre la doctrine de Platon et celles de Leibnitz, Malebranche.

Chapitre V. — Théorie de la volonté. — De ses rapports avec la seu-sibilité et avec la raison. — Du libre arbitre étudié en lui-même et dans ses conditions extérieures. — Le prétendu fatalisme de Platon n’est autre chose que le complément naturel et nécessaire de toute étude psychologique. — Son hygiène morale en fait le précurseur des idées modernes les plus avancées.

Chapitre VI. Des principaux caractères de l’âme. — Unité, identité, simplicité, spontanéité. — Destinée de l’âme dans une autre vie, ou de son immortalité. — Résumé général de la Psychologie de Platon. — De ses conséquences.

Matinée: Platon et Plotin: étude sur deux théories philosophiques

Classé dans: — admin @ 8:56 pm

Platon et Plotin: étude sur deux théories philosophiques - Auguste Matinée

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

CHAPITRE PREMIER - Platon devant la critique contemporaine

Dialectique et théorie des idées. — Un passage de M. Cousin. — Opinion de M. J. Simon. — Le Dieu de Parménide. — Opinions de MM. P. Janet, Th. H. Martin et Fouillée

CHAPITRE II - Platon et Plotin

La méthode chez Plotin produit de la doctrine. — Caractère du philosophe. — Critique de son enseignement sur la conscience, l’intelligence et l’amour. — Mysticisme alexandrin et mysticisme chrétien. — Origine de la théorie des hypostases. — L’Être-Un démontré par Platon dans le Parménide. — Procédés habituels de Plotin : postulats et analogie. — La nécessité de Vidée démontrée dans le Parménide. — Confusion des genres dans les Ennéades

CHAPITRE III - Accord de la dialectique et de la théologie dans Platon

Examen critique des passages cités par M. Cousin dans son Traité du vrai, du beau et du bien, — La théologie platonicienne complément nécessaire de la dialectique. — La dialectique garant du monothéisme de Platon. — Doctrine du philosophe touchant l’âme du monde et les âmes des dieux de l’Olympe

Dupuis: Le nombre géométrique de Platon

Classé dans: — admin @ 8:38 pm

Le nombre géométrique de Platon - Jean Dupuis

TABLE DES MATIÈRES

I. — Introduction

II. — Texte du lieu. — Opinion de Victor Cousin

III. — Interprétation des termes scientifiques du lieu

IV. — Traduction littérale et commentaire

V. — Justification de la leçon promekei de

VI. —Résumé du problème. — Paraphrase d’Aristote

VII. — Raisons qui ont pu déterminer Platon à choisir le nombre 76 myriades

VIII. — Opinions de Schleiermacher et du Dr Fréd. Haltsch sur le problème

IX. — Platon a-t-il cherché à être obscur?

X. — Conclusion

I. Ouvrages et mémoires à consulter pour l’histoire du problème

II. — Connaissances positives que révèle l’énigme mathématique de Platon

III.—Points nouveaux de la présente interprétation

Chaignet: De la psychologie de Platon

Classé dans: — admin @ 8:31 pm

De la psychologie de Platon - Anthelme Édouard Chaignet

TABLE DES MATIÈRES

Préambule

Première Partie. — Doctrine métaphysique de Platon sur l’âme

Ch. I. Résumé de la métaphysique de Platon. L’âme de l’univers

Ch. II. De la formation de l’âme du monde

Ch. III. De l’âme humaine.

§ I. Distinction de l’âme et du corps

§ II. Distinction du principe pensant qui est proprement l’âme, et du principe vital. Rapports de l’âme et du corps

§ III. Origine de l’âme

§ IV. De l’immortalité de l’âme

Deuxième Partie. — Doctrine psychologique ou analyse des facultés de l’âme.

Ch. I. De la méthode qu’a suivie Platon dans l’analyse psychologique et la classification des diverses facultés

Ch. II. La sensation considérée comme principe de phénomènes de connaissance. La Croyance. L’Imagination. La Mémoire. Des erreurs commises par ces facultés

Ch. III. La sensation considérée comme principe de phénomènes de sensibilité

Ch. IV. Des faits moraux de l’âme. — L’amour du Beau. L’Amour et l’Amitié

Ch. V. Des faits moraux de l’âme. — Du Bien et des Vertus

Ch. VI. Des faits moraux de l’âme. — Libre arbitre. Origine du mal. Vices et faiblesses de l’âme

Ch. VII. Facultés de l’entendement et de la raison pure

Troisième Partie. — Rapports de la psychologie de Platon à toutes les parties de sa philosophie

Conclusion

20/7/2007

Boehme: Extraits des écrits

Classé dans: — admin @ 1:22 am

Jacob Boehme (1575-1624)

18/7/2007

Stéphane d’Alexandrie

Classé dans: — admin @ 10:48 pm

Histoire de la Philosophie
Fascicule supplémentaire - La Philosophie Byzantine
Basile Tatakis

Stéphane d’Alexandrie

Jean Philopon (Philoponos ou grammatikos)

Classé dans: — admin @ 10:44 pm

Histoire de la Philosophie
Fascicule supplémentaire - La Philosophie Byzantine
Basile Tatakis

Jean Philopon (Philoponos ou grammatikos)

Procope de Gaza (V-VIe siècle)

Classé dans: — admin @ 10:25 pm

Histoire de la Philosophie
Fascicule supplémentaire - La Philosophie Byzantine
Basile Tatakis

Procope de Gaza, entre 465-529 ap. J.-C.

Zacharie, évêque de Mételin

Classé dans: — admin @ 10:15 pm

Zacharie, évêque de Mételin, mort avant 553 ap. J.-C.

Saint-Martin: extraits des écrits

Classé dans: — admin @ 3:07 am

Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803)

17/7/2007

PROCLUS, EXPOSITION DE SA DOCTRINE.

Classé dans: — admin @ 9:49 pm

Héritier de la philosophie grecque tout entière, et devenu maître, par un travail opiniâtre, de tout son héritage, Proclus a légué à son siècle et aux âges suivants une doctrine complète et arrêtée, qui est en même temps le dernier mot du platonisme, et un immense répertoire des opinions de tous les philosophes. Comparer son système aux doctrines antérieures de la philosophie grecque, montrer ce qu’il leur emprunte, comment il le modifie, et ce qu’il y ajoute; signaler ce qu’il renferme de vrai, apprécier sa part dans l’oeuvre commune de la science; ce serait une tâche magnifique, et un travail d’autant plus utile, que Proclus est peut-être de tous les philosophes celui que les historiens de la philosophie ont le plus négligé, ou le plus dédaigné. Je n’ai point voulu m’imposer une tâche trop au-dessus de mes forces ; je n’essaierai, ni de comparer Proclus à ses devanciers, ni de juger sa valeur absolue ; j’essaierai seulement d’exposer sa doctrine, et de reconstruire l’édifice dont il a laissé, je le crois, tous les matériaux, quoique dans un désordre qui ne permet pas de les apercevoir d’un coup d’œil. Je n’ai d’autre ambition que celle d’être exact, je n’ose pas dire complet; et je prends courage en songeant que la première, et peut-être la seule qualité qui soit ici nécessaire, c’est la patience.

Des nombreux écrits de Proclus qui nous sont parvenus, aucun n’est consacré à exposer l’ensemble de sa doctrine : seulement la Théologie selon Platon contient, sous forme symbolique, la Théodicée de l’auteur presque tout entière ; et dans les Éléments de théologie, les théorèmes sont disposés à peu près dans l’ordre où l’on a besoin de les rencontrer, pour reconstruire le système. Ce sera donc en réunissant des passages divers, en les comparant et en les discutant, que nous établirons toute la suite de la philosophie de Proclus : méthode périlleuse sans doute mais par laquelle Proclus lui-même a cru retrouver avec certitude la doctrine de Platon ; et qui n’aura pas ici, je l’espère, de graves inconvénients, parce que les textes sont aussi nombreux qu’explicites.

PROCLUS, EXPOSITION DE SA DOCTRINE.

Angelus Silesius: écrits et études

Classé dans: — admin @ 3:41 am

Angelus Silesius (1624-1677)

Joseph de Maistre: extraits des écrits et études

Classé dans: — admin @ 3:40 am

Joseph de Maistre (1753-1821)

Dialectique existentielle du divin et de l’humain - chapitre 1

Classé dans: — admin @ 3:40 am

Berdyaeff: Dialectique existentielle du divin et de l’humain - chapitre 1

Bréhier - Plotin

Classé dans: — admin @ 3:19 am

Extrait de l’Histoire de la philosophie

Disponible chez Les classiques des sciences sociales

LIRE ICI

Esprit et réalite: LA REALITE DE L’ESPRIT. ESPRIT ET ETRE

Classé dans: — admin @ 3:09 am

Esprit et réalite
Nicolas Berdiaeff
Editions Montaigne, 1934

LA REALITE DE L’ESPRIT. ESPRIT ET ETRE (I)

Marco Pallis: La Vie Active, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

Classé dans: — admin @ 3:02 am

Traduction de Marius Lepage. Lyon, Paul Derain, 1954.

Marco Pallis : La Vie Active, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

Fabre d’Olivet - extraits

Classé dans: — admin @ 2:57 am

Antoine Fabre d’Olivet (1767-1825)

Images of Islam

Classé dans: — admin @ 2:50 am

Vincit Omnia Veritas II,126
Images of Islam
Frithjof Schuon
Initially published in Christianity/Islam: Essays on Esoteric Ecumenicism,
World Wisdom Books (March, 1985)

Islam burst forth in the form of an epic: now, a heroic history is written with the sword, and in a religious context the sword assumes a sacred function; combat becomes an ordeal. The genesis of a religion amounts to the creation of a relatively new moral and spiritual type; in Islam, this type consists in the equilibrium — paradoxical from the Christian point of view — between contemplativeness and combativeness, and then between holy poverty and hallowed sexuality. The Arab — and the man Arabized by Islam — has, so to speak, four poles, namely the desert, the sword, woman and religion. For the contemplative, the four poles become inward: the desert, the sword and woman become so many states or functions of the soul.

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Guénon - Tables des matières des ouvrages

Classé dans: — admin @ 2:49 am

Remarquable effort d’organisation des tables des matière de l’oeuvre publiée de Guénon.

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Guénon - Index complet

Classé dans: — admin @ 2:47 am

Remarquable effort d’organisation d’un index complet de l’oeuvre de Guénon en français.

Index de tous les livres et articles écrits par René Guénon, en construction par un groupe belgique d’études de la Tradition.

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Il simbolismo dello zodiaco nei pitagorici

Classé dans: — admin @ 2:46 am

Il simbolismo dello zodiaco nei pitagorici
René Guénon
Ed. originale Le symbolisme du Zodiaque chez les Pythagoriciennes,
in Études Traditionelles, giugno 1938

Trattando la questione delle porte solstiziali ci siamo riferiti direttamente soprattutto alla tradizione indù, perché in essa i dati che vi si riferiscono sono presentati nel modo più chiaro; ma in realtà si tratta di qualcosa che è comune a tutte le tradizioni, e si può trovare anche nell’antichità occidentale. Nel Pitagorismo, in particolare, il simbolismo zodiacale sembra aver avuto un’importanza altrettanto considerevole; le espressioni ‘porta degli uomini’ e ‘porta degli dèi’, da noi usate, appartengono del resto alla tradizione greca; solo che le informazioni giunte sino a noi sono in questo caso talmente frammentarie e incomplete che la loro interpretazione può dar luogo a parecchie confusioni, che non sono mancate da parte di coloro che hanno considerato tali informazioni isolatamente e senza renderle più chiare per mezzo di un raffronto con altre tradizioni.

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Schuon - L’esprit de l’Oeuvre de Guénon

Classé dans: — admin @ 2:43 am

—Si Guénon a raison, s’écria Gide, eh bien!
toute mon oeuvre tombe.
A quoi quelqu’un lui répondit:
— Mais alors, d’autres tombent avec elle,
et non des moindres…

La définition de l’oeuvre de René Guénon tient en quatre mots: Intellectualité, universalité, tradition, théorie. L’oeuvre est « intellectuelle », car elle concerne la connaissance, — au sens profond et intégral de ce terme, — et elle l’envisage en conformité de sa nature, c’est-à-dire à la lumière de l’intellect qui est essentiellement supra-rationnel: elle est « universelle », car elle considère toutes les formes traditionnelles en fonction de la Vérité une, tout en adoptant, suivant l’opportunité, le langage de telle forme. D’autre part, l’oeuvre guénonienne est « traditionnelle », en ce sens que les données fondamentales qu’elle transmet sont strictement conformes à l’enseignement des grandes traditions, ou de l’une d’elles quand il s’agit d’une forme particulière; enfin, cette oeuvre est « théorique », car elle n’a pas directement en vue la réalisation spirituelle; elle se défend même d’assumer ce rôle d’un enseignement pratique, de se placer, par exemple, sur le terrain des enseignements d’un Râmakrishna.

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René Guénon - La crise du monde moderne

Classé dans: — admin @ 2:41 am

Un classique de Guénon numérisé.

Lorsque nous avons, il y a quelques années, écrit Orient et Occident, nous pensions avoir donné, sur les questions qui faisaient l’objet de ce livre, toutes les indications utiles, pour le moment tout au moins. Depuis lors, les événements sont allés en se précipitant avec une vitesse toujours croissante, et, sans nous faire changer d’ailleurs un seul mot à ce que nous disions alors, ils rendent opportunes certaines précisions complémentaires et nous amènent à développer des points de vue sur lesquels nous n’avions pas cru nécessaire d’insister tout d’abord. Ces précisions s’imposent d’autant plus que nous avons vu s’affirmer de nouveau, en ces derniers temps, et sous une forme assez agressive, quelques-unes des confusions que nous nous sommes déjà attaché précisément à dissiper; tout en nous abstenant soigneusement de nous mêler à aucune polémique, nous avons jugé bon de remettre les choses au point une fois de plus. Il est, dans cet ordre, des considérations, même élémentaires, qui semblent tellement étrangères à l’immense majorité de nos contemporains, que, pour les leur faire comprendre, il ne faut pas se lasser d’y revenir à maintes reprises, en les présentant sous leurs différents aspects, et en expliquant plus complètement, à mesure que les circonstances le permettent, ce qui peut donner lieu à des difficultés qu’il n’était pas toujours possible de prévoir du premier coup.

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René Guénon - petit index

Classé dans: — admin @ 2:39 am

Site René Guénon - une intuition de la vérité

Beau travail d’organisation d’un index des livres de Guénon:

ICI POUR LES LIVRES

ICI POUR LES THÈMES DE L’OEUVRE

Fabre d’Olivet: BNF-Gallica

Classé dans: — admin @ 2:30 am

Oeuvre numérisée chez BNF-Gallica

Références de Guénon à Fabre d’Olivet
Aperçus sur l’initiation 72, 291;
Comptes rendus 11, 17, 107, 111;
ETUDES SUR LA FRANC-MAÇONNERIE ET LE COMPAGNONNAGE II 140;
Formes traditionnelles et cycles cosmiques 40, 84;
La grande triade 172, 174-177, 183, 184;
L’homme et son devenir selon le Vedanta 76;
Mélanges 117, 119, 128, 221;
Le Roi du Monde 92;
Le règne de la quantité et les signes des temps 136, 145;
Le symbolisme de la croix 126;
Symboles de la science sacrée 159, 343.

Livres numérisés de Louis-Claude de Saint-Martin

Classé dans: — admin @ 2:20 am

Livres numérisés de Louis-Claude de Saint-Martin
chez BNF-Gallica
Livres Mystiques: Louis-Claude de Saint-Martin - Ph. I.

Références de Guénon à Saint-Martin:
Aperçus sur l’initiation 22;
Comptes rendus 178, 226;
ETUDES SUR LA FRANC-MAÇONNERIE ET LE COMPAGNONNAGE I 41, 48, 64, 66, 69, 75, 85-88, 105, 122, 138, 142, 161, 225, 270;
ETUDES SUR LA FRANC-MAÇONNERIE ET LE COMPAGNONNAGE II 81, 95, 110, 168, 217, 218, 229, 230, 232;
L’erreur spirite 210;
La grande triade 192;
Le Théosophisme 9, 55, 300.

Mysterium magnum

Classé dans: — admin @ 2:01 am

Mysterium magnum
Jacob Boehme
trad. pour la 1re fois en français par S. Jankelevitch.
Avec 2 études sur J. Boehme de N. Berdiaeff

Chez BNf-Gallica

Des trois principes de l’essence divine

Classé dans: — admin @ 1:53 am

Des trois principes de l’essence divine, ou De l’éternel engendrement sans origine
Jacob Boehme
trad. de l’allemand, sur l’édit. d’Amsterdam, de 1682, par le philosophe inconnu (L.-C. de Saint-Martin)

Chez BNF-Gallica

De la vie supersensuelle

Classé dans: — admin @ 1:48 am

De la vie supersensuelle - Un dialogue d’un maître avec son disciple
Jacob Boehme

Chez BNF - Gallica

Boehme - DE LA VIE SUPERSENSUELLE

LE PHILOSOPHE ALLEMAND JACOB BOEHME (1575-1624)

Classé dans: — admin @ 1:30 am

LE PHILOSOPHE ALLEMAND JACOB BOEHME (1575-1624)
PAR ÉMILE BOUTROUX
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS
PARIS FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108 1888

CHEZ BNF-Gallica

Ce n’est pas l’usage, même en Allemagne, d’assigner au cordonnier théosophe de la Renaissance, Jacob Boehme, une place importante dans l’histoire de la philosophie. On reconnaît en lui, avec Hegel, un esprit puissant; mais, quand on accorde que de son oeuvre obscure et confuse se dégagent un certain nombre de doctrines à peu prés saisis­sables pour l’intelligence, on range ces doctrines du côte de la théologie et de l’édification chrétienne, plutôt qu’on n’y voit des monuments de la science profane et rationnelle. Une telle appréciation est naturelle en France où la philo­sophie, selon l’esprit de Descartes, relève surtout de l’en­tendement et se défie de tout ce qui ressemble au mysti­cisme. Mais en Allemagne la philosophie n’a pas revêtu d’une façon aussi constante la forme rationaliste. A côté de la lignée des Leibniz, des Kant, des Fichte et des Hegel, qui sont comme les scolastiques de l’Allemagne moderne, il y a la série des philosophes de la croyance, de la religion ou du sentiment: les Hamann, les Herder, les Jacobi, le Schelling théosophe, et l’illustre philosophe chrétien, Franz von Baader. Ceux-ci sont, en face de ceux-là, les dissidents mystiques, comme jadis les Eckhart et les Tauler en face du rationalisme thomiste. Et même les philosophes alle­mands de la réflexion et du concept, les Kant et les Hegel, si l’on considère le fond et l’esprit de leur doctrine, et non la forme sous laquelle ils l’exposent, sont moins exempts de mysticisme et de théosophie qu’il ne semble et qu’ils ne le disent. Car eux aussi placent l’absolu véritable, non dans l’étendue ou dans la pensée, mais dans l’esprit conçu comme supérieur aux catégories de l’entendement, et eux aussi cherchent à fonder la nature sur cet absolu. Or, si l’on a égard à cette forte empreinte de mysticisme et de théosophie que présentent en Allemagne non seulement tout une série d’importants systèmes philosophiques, mais même les systèmes classiques par excellence, on ne pourra man­quer, recherchant les origines de la philosophie allemande, de donner une grande attention au cordonnier théosophe ; et l’on se demandera s’il ne ‘mérite pas le nom de philo­sophe allemand qui lui fut donné, de son vivant même, par son admirateur et ami le docteur Walther.

LE PHILOSOPHE ALLEMAND JACOB BOEHME (1575-1624)

16/7/2007

Site René Guénon - une intuition de la vérité

Classé dans: — admin @ 10:54 pm

Beau travail d’organisation d’une bibliographie des livres de Guénon, avec les tables de matières et les résumés de quelques uns.

ICI POUR LES LIVRES

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26/11/2006

Être et temps

Classé dans: — admin @ 11:23 am

Être et temps, Martin Heidegger. Trd. Emmanuel Martineau. Hors-commerce. Disponible sur demande ICI.

22/2/2006

Qu’est-ce que la philosophie?

Classé dans: — admin @ 2:06 pm

Le nom de « philosophie » nous convoque, si nous entendons vraiment le mot et méditons ce que nous avons entendu, à l’histoire qu’est la provenance grecque de la philosophie. Le mot philosophia coïncide pour ainsi dire avec l’acte de naissance de notre propre histoire; nous pouvons aller jusqu’à dire : avec l’acte de naissance de l’époque présente de l’histoire universelle qui se nomme ère atomique. (Heidegger, Martin, “QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE?", in Questions I et II. Paris, Gallimard.)

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