Sophia

16/5/2009

le contact avec la réalité humaine

Classé dans: — admin @ 7:39 pm

« Une raison qui ne donne raison qu’aux mathématiques fournit par là même la preuve qu’elle a perdu le contact avec la réalité humaine et se développe à la manière du « géométrisme morbide» décrit parles psychiatres dans le cas de certains malades, entraînés par le vertige d’un raisonnement à vide, sans mesure avec la situation réelle. Le philosophe lâche la proie pour l’ombre lorsqu’il accepte le squelette émacié d’une réalité dépouillée par le savant de toute sa densité concrète. Plus exactement, le philosophe commet ici une erreur dont le savant s’est soigneusement gardée : le savant se cantonne dans son domaine et ne prétend pas substituer ses schémas à la réalité quotidienne. La technique ne fait autorité que dans les limites du champ expérimental préalablement délimité, de sorte que l’affirmation vraie dans la bouche du savant peut devenir absurde lorsque le philosophe l’applique sans discernement. En somme, si le philosophe se contente de répéter l’affirmation du savant, on ne voit pas à quoi sert son intervention. Mais s’il ajoute quoi que ce soit de son cru aux résultats obtenus par la science, il a tout lieu de penser qu’il se trompera, ainsi qu’il est arrivé à Kant, lorsqu’il a donné une valeur définitive à la physique de Newton, simple étape dans l’histoire de la science. » G. Gusdorf, Traité de Métaphysique, Paris, A. Colin, 1956, p. 92.

« Les découvertes les plus extraordinaires de la physique en appellent toujours à une instance métaphysique, dans la mesure où elles demandent chaque fois à être reclassées dans l’humain. La science n’est pas juge d’elle-même et le savant qui sort triomphant de son laboratoire se trouve parfois désorienté en face des conséquences incalculables que la recherche pure peut entraîner pour le bonheur ou le malheur des hommes. Tel fut le cas des mathématiciens, physiciens et techniciens de haute valeur qui collaborèrent à la mise au point de la bombe atomique, lorsqu’ils prirent conscience des significations possibles de leurs interventions pour l’avenir de l’espèce humaine. Certains d’entre eux faillirent en perdre la raison; d’autres donnèrent la preuve d’une instabilité morale qui leur valut certaines aventures judiciaires éclatantes. Ces réactions signifiaient que les hommes de science en question découvraient, sous les espèces d’un cas concret particulièrement frappant, l’existence de la métaphysique. Ils faisaient à leur manière l’expérience de l’ « émerveillement inaugural ». En fait, chaque fois qu’une découverte nouvelle remet en question l’équilibre de la civilisation, par-delà les problèmes techniques, l’interrogation métaphysique intervient avec la nécessité d’un rajustement des valeurs établies. » (G. Gusdorf, Traité…, p. 97.)

« La belle assurance des résultats scientifiques masque des incertitudes fondamentales. A se laisser dévoyer, le métaphysicien ne gagnerait que de voir se lever pour lui des difficultés supplémentaires tout en oubliant sa tâche essentielle… L’homme du métaphysicien est ensemble celui du physiologiste, de l’historien, du psychologue, du médecin, c’est-à-dire qu’il échappe au physiologiste, au psychologue, au médecin. Il ne saurait donc y avoir de conflit de compétence : le savant a toujours raison contre le métaphysicien, dans les limites de sa spécialité, et par exemple, le métaphysicien ou le théologien qui prétendent connaître l’astronomie mieux que Copernic ou Galilée, la biologie mieux que le biologiste, se ridiculisent à jamais. Inversement le métaphysicien a toujours raison contre le savant lorsque le savant, inconscient de ses limites, prétend faire de la métaphysique… Le biologiste, le médecin s’égarent lorsqu’ils se figurent que leur objet d’expérience est l’homme intégral. Ils opèrent sur un organisme dont les déterminations objectives fournissent seulement certains éléments au départ de la réalité humaine. Le philosophe est l’homme de la totalité, de la composition d’ensemble où toutes les significations sont reprises et arbitrées en fonction de la personne. » (G. Gusdorf, ib., p. 101.)

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