Sophia

20/12/2022

Saint-Martin (Tanner:55-64) – la mythologie: son objet véritable

TANNER, André (org.). Claude de Saint-Martin. Paris: Engloff, 1946

… Le vulgaire ne voit dans les récits mythologiques que le jeu de l’imagination des écrivains, ou la corruption des traditions historiques, ou peut-être les effets de l’idolâtrie, de la crainte, ou du penchant des peuples pour les faits merveilleux. Ainsi, en exceptant quelques allégories ingénieuses, tout dans la Fable lui paraît bizarre, ridicule, extravagant.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:125-126) – l’unio sympathetica

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Nous voici peut-être à même d’appeler à fructifier le second indice que nous relevions précédemment dans l’expérience sophianique de « l’interprète des ardents désirs ». La dialectique d’amour, par sa mise en œuvre de l’Imagination active créatrice, a opéré au monde de celle-ci, c’est-à-dire au plan des théophanies, la réconciliation du spirituel et du physique, l’unification de l’amour spirituel et de l’amour physique dans une expérience une et unique de l’amour mystique. De cette réconciliation dépend la possibilité de « voir Dieu » (puisqu’il nous a été expressément rappelé que l’on ne peut adorer ni aimer un Dieu que «l’on ne voit pas »), non pas, certes, de cette vision dont il est dit que l’homme ne peut voir Dieu sans mourir, mais de cette vision sans laquelle l’homme ne peut vivre. Si cette vision est sa vie et non sa mort, c’est qu’elle est non pas l’impossible vision de l’Essence divine en sa nudité, en son absoluité, mais vision du Seigneur propre à chaque âme mystique, revêtu du Nom propre correspondant à la virtualité particulière de l’âme qui en est l’épiphanie concrète. Cette vision présuppose et actualise la codépendance éternelle (ta’alloq) de ce Seigneur (rabb) et de l’être qui est également son être, pour qui et par qui il est le Seigneur (son marbûb), puisque la totalité d’un Nom divin comporte le Nommé et le Nommant, l’un donnant l’être, l’autre le révélant, se mettant mutuellement « au passif » comme action l’un de l’autre, action qui est compassion, sympathesis. C’est cette interdépendance, cette unité de leur bi-unité, du dialogue où chacun tient de l’autre son rôle, que nous avons désignée comme une union mystique qui est en propre une unio sympathetica. Cette union recèle le « secret de la divinité» du Seigneur qui est ton Dieu (sirr al-robûbîya), ce secret qui est « toi » (Sahl Tostarî), et qu’il t’incombe à toi-même de soutenir et de nourrir de ton propre être ; l’union dans cette sympathesis, dans cette passion commune au Seigneur et à celui qui le fait (et en qui lui-même se fait) son Seigneur, cette union dépend de ta dévotion d’amour, de ta devotio sympathetica dont le repas d’hospitalité offert aux Anges par Abraham, est la préfiguration.

Corbin (CSTC:47-48) – les Événements en Erân-Vêj

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Aussi bien, quels sont les Événements qui s’accomplissent en Erân-Vêj? Il y a les liturgies mémorables, célébrées par Ohrmazd lui-même, par les êtres célestes, par les héros légendaires. C’est en Erân-Vêj qu’Ohrmazd lui-même célébra des liturgies en l’honneur d’Ardvî Sûrâ Anâhitâ « la Haute, la Souveraine, l’Immaculée », l’Ange-déesse des Eaux célestes, pour lui demander que Zarathoustra s’attache à lui et soit son prophète fidèle (Yashr v, 17 ). C’est à elle également que Zarathoustra demanda la conversion du roi Vîshtâspa (Yasht v, 104). C’est en Erân-Vêj que le beau Yima, « Yima l’éclatant de beauté, le meilleur des mortels », reçut l’ordre de construire l’enclos, le Var, où fut rassemblée l’élite de tous les êtres, les plus beaux, les plus gracieux, pour être préservés de l’hiver mortel déchaîné par les Puissances démoniaques, et pour repeupler un jour le monde transfiguré. Le Var de Yima comprend en effet, à la façon d’une cité, des maisons, des réserves, des remparts. Il a portes et fenêtres luminescentes qui sécrètent d’elles-mêmes la lumière à l’intérieur, car il est illuminé à la fois par des lumières incréées et par des lumières créées. Une fois seulement chaque année, on voit se coucher et se lever les étoiles, la lune et le soleil; c’est pourquoi une année ne semble qu’un jour. Tous les quarante ans, de chaque couple humain naît un autre couple, masculin et féminin. Et peut-être est ainsi suggérée la condition androgyne de ces êtres qui « vivent de la plus belle des vies dans le Var constant de Yima ».
(more…)

Corbin (CSTC:8-10) – mundus imaginalis

Classé dans: — admin @ 5:57 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il y a longtemps, nous le redirons ci-dessous, que la philosophie occidentale, disons la philosophie « officielle », entraînée dans le sillage des sciences positives, n’admet que deux sources du Connaître. Il y a la perception sensible, fournissant les données que l’on appelle empiriques. Et il y a les concepts de l’entendement, le monde des lois régissant ces données empiriques. Certes, la phénoménologie a modifié et dépassé cette gnoséologie simplificatrice. Mais il reste qu’entre les perceptions sensibles et les intuitions ou les catégories de l’intellect, la place était restée vide. Ce qui aurait dû prendre place entre les unes et les autres, et qui ailleurs occupait cette place médiane, à savoir l’Imagination active, fut laissé aux poètes. Que cette Imagination active dans l’homme (il faudrait dire Imagination agente, comme la philosophie médiévale parlait de l’Intelligence agente) ait sa fonction noétique ou cognitive propre, c’est-à-dire qu’elle nous donne accès à une région et réalité de l’Être qui sans elle nous reste fermée et interdite, c’est ce qu’une philosophie scientifique, rationnelle et raisonnable, ne pouvait envisager. Il était entendu pour elle que l’Imagination ne sécrète que de l’imaginaire, c’est-à-dire de l’irréel, du mythique, du merveilleux, de la fiction, etc.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:151-152) – Le Dieu crée dans les croyances

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est une double Epiphanie (tajalli) initiale qui détend la tristesse de l’Etre Divin, le « Trésor Caché » aspirant à sortir de sa solitude d’inconnaissance : l’une dans le monde du Mystère (’âlam al-ghayb), l’autre, dans le monde du phénomène (’âlam al-shahâdat). La première c’est l’Epiphanie de l’Etre Divin à soi-même et pour soi-même, dans les essences archétypes, les heccéités éternelles de ses Noms qui aspirent à leur Manifestation concrète. Cela, c’est l’Effusion sacrosainte (fayd aqdas) au plan ou à la « Présence des Noms » (Hadrat al-Asmâ’). La seconde, c’est l’Epiphanie dans le monde manifesté, c’est-à-dire dans les êtres qui sont les formes ou les réceptacles épiphaniques (mazâhir) des Noms divins. C’est l’Effusion sainte, « hiératique » et « hiérophanique » (fayd moqaddas) faisant paraître à la Lumière ces formes qui, comme autant de miroirs, reçoivent le reflet de la pure Essence divine dans la mesure de leur capacité respective. Cette double Epiphanie est typifiée dans les Noms divins « le Caché et le Révélé, le Premier et le Dernier », dont Ibn ’Arabî illustrera la vérification expérimentale dans sa pratique théosophique de la Prière.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:92-93) – Le « Dieu pathétique »

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les prémisses de la théologie négative sont si loin d’exclure de par elles-mêmes toute situation dialogique, qu’elles importent au contraire pour en fonder l’authenticité. Ainsi en va-t-il pour la gnose en Islam, dont les prémisses ont maint trait commun avec celles de la Gnose en général, celles qui sont aussi les plus irritantes pour toute dogmatique en souci de définir rationnellement. La structure est constante : il y a « Ce qui origine » ; au-delà de l’être « qui est », le « Dieu qui n’est pas » (ούκ ὤν θεός, de Basilide), c’est-à-dire le Theos agnostos, le Dieu inconnaissable et imprédicable ; et il y a le Dieu révélé, son Νοῦς qui pense et qui œuvre, qui supporte les attributs divins, et est capable de relation. Or, ce n’est pas en cherchant un compromis au profit de l’une ou l’autre notion, mais en maintenant fermement la simultanéité de la vision, que l’on en arrive à parler d’un Dieu pathétique, non point comme une revendication théorique contre les théologies positives soucieuses du dogme de l’immutabilité divine, mais comme une progression interne effectuant expérimentalement le passage de l’Abîme et du Silence suressentiels à des Figures et à des énoncés positivement fondés.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:117-118) – Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ?

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

De tous les maîtres du soufisme, Ibn Arabi est (avec Ruzbehan de Shiraz) l’un de ceux qui ont poussé le plus loin l’analyse des phénomènes de l’amour ; il y a mis en oeuvre une dialectique très personnelle, éminemment propre à nous découvrir quel est le ressort de la dévotion totale professée par les « Fidèles d’amour ». De ce que nous avons esquissé jusqu’ici, surgit la question : Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu ? Et comment est-il possible d’aimer Dieu ? Ce sont là des expressions que la langue religieuse emploie ailleurs comme s’il s’agissait d’évidences allant de soi. Or, ce n’est pas si simple. Ibn Arabi nous fait progresser par une double constatation : « J’en atteste Dieu, écrit-il, si nous en étions restés aux seuls arguments rationnels de la philosophie, lesquels, s’ils nous font connaître l’Essence divine, ne le font que d’une manière négative, il est sûr qu’aucune créature n’eût jamais éprouvé d’amour pour Dieu… La religion positive nous apprend qu’il est ceci et cela ; ce sont des attributs dont les apparences exotériques sont absurdes pour la raison philosophique, et cependant c’est à cause de ces attributs positifs que nous l’aimons. » Après cela seulement, il incombe à la religion de nous dire : Rien ne lui ressemble. Mais d’autre part, Dieu ne peut nous être connu que dans ce que nous éprouvons de lui, de sorte que « nous puissions le typifier et le prendre comme objet de notre contemplation, aussi bien dans l’intime de nos cœurs que devant nos yeux et dans notre imagination, comme si nous le voyions, ou mieux dit, de telle sorte que nous le voyions réellement… Il est celui qui dans chaque être aimé se manifeste au regard de chaque amant… de même que nul autre que lui n’est adoré, car il est impossible d’adorer un être sans se représenter en lui la divinité… Ainsi en va-t-il pour l’amour : un être n’aime en réalité personne d’autre que son créateur. » La propre vie d’Ibn Arabi nous fournit sur tous ces points le gage d’une expérience personnelle.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:160-161) – besoin d’une herméneutique ou ta’wîl

« Si tu déclares que telle forme est Dieu, c’est que tu l’homologues parce qu’elle est une forme d’entre les formes où il se manifeste (mazhar) ; mais si tu dis qu’elle est autre chose, autre que Dieu, c’est que tu l’interprètes, de la même manière qu’il t’incombe d’interpréter les formes vues en rêve. » Mais homologation et interprétation ne valent que simultanément, car alors dire que la forme théophanique est autre que Dieu, cela n’est nullement la déprécier comme « illusoire », c’est au contraire la valoriser et la fonder comme symbole référant au symbolisé (marmûz ilayhi), lequel est l’Etre Divin. En effet, l’être révélé (zâhir) est Imagination théophanique, et simultanément sa vraie réalité cachée (bâtin) est l’Etre Divin. C’est parce que l’être révélé est Imagination, qu’une herméneutique des formes manifestées en lui est nécessaire, c’est-à-dire un ta’wîl qui « reconduise » (selon l’étymologie du mot ta’wîl) ces formes à leur vraie réalité. Non seulement le monde du rêve mais le monde que nous appelons communément le monde de la veille, tous deux ont même et égal besoin d’une herméneutique. Mais notons bien ceci : si le monde est création récurrente (khalq jadîd) et récurrence d’épiphanies, si comme tel il est Imagination théophanique, si dès lors il a besoin d’une herméneutique ou ta’wîl, c’est donc bien la création récurrente, imperceptible aux sens, qui en dernier ressort fait que le monde soit Imagination et ait besoin d’une herméneutique tout comme les rêves. La sentence attribuée au Prophète : « Les humains dorment, à leur mort ils se réveillent », donne à comprendre que tout ce que les humains voient dans leur vie terrestre est du même ordre que les visions contemplées en songe. La supériorité du rêve sur les données positives de la veille est même là : permettre, ou plutôt requérir une interprétation qui dépasse les données, parce que ces données signifient autre chose que ce qui se montre. Elles manifestent (et tout le sens des fonctions théophaniques est là). On n’interprète pas ce qui n’a rien à vous apprendre, ne signifie rien de plus que ce qu’il est. C’est parce que le monde est Imagination théophanique, qu’il est constitué d’« apparitions » demandant à être interprétées et dépassées. Mais alors aussi c’est par la seule Imagination active que la conscience, éveillée à la vraie nature du monde comme « apparition », peut en dépasser les données, et par là se rendre apte à de nouvelles théophanies, c’est-à-dire à une ascension continue. L’opération imaginative initiale sera de typifier (tamthîl) les réalités immatérielles et spirituelles dans les formes extérieures ou sensibles, celles-ci devenant alors le « chiffre » de ce qu’elles manifestent. L’Imagination reste ensuite la motrice de ce ta’wîl qui est ascension continue de l’âme.

Corbin (Ibn Arabi:87-88) – la communauté d’essence entre visible et invisible

Classé dans: — admin @ 2:33 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans un traité sur «l’art hiératique des Grecs», Proclus, cette haute figure du néoplatonisme tardif dont l’étude fut pendant longtemps délaissée, écrit ceci : « Comme on le fait dans la dialectique d’amour, on part des beautés sensibles pour s’élever jusqu’à ce que l’on rencontre le principe unique de toute beauté et de toute idée, ainsi que les adeptes de la science hiératique prennent pour point de départ les choses apparentes et les « sympathies » qu’elles manifestent entre elles et avec les puissances invisibles. Observant que tout est en tout, ils ont posé les fondements de la hiératique, s’étonnant de voir et admirant dans les réalités premières les derniers venus des êtres et dans les derniers les tout premiers ; dans le ciel, les choses terrestres selon un mode causal et célestement, et sur la terre, les choses célestes dans une condition terrestre. » Exemple : l’héliotrope et sa prière. « Quelle autre raison peut-on donner du fait que l’héliotrope suit par son mouvement le mouvement du soleil, et le sélénotrope le mouvement de la Lune, faisant cortège dans la mesure de leur pouvoir, aux flambeaux du monde ? Car, en vérité, toute chose prie selon le rang qu’elle occupe dans la nature, et chante la louange du chef de la série divine à laquelle elle appartient, louange spirituelle, ou louange rationnelle ou physique ou sensible ; car l’héliotrope se meut selon qu’il est libre de son mouvement, et dans le tour qu’il fait, si l’on pouvait entendre le son de l’air battu par son mouvement, on se rendrait compte que c’est un hymne à son roi, tel qu’une plante peut le chanter. »
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:67-69) – le soufisme

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce titre ne fait qu’énoncer le thème de l’enquête à laquelle aboutiraient normalement les pages qui précèdent, et celles-ci en limitent pour autant la généralité. En fait, il s’agirait d’analyser la situation respective de l’ésotérisme par rapport à l’Islam et par rapport au christianisme, pour discerner dans quelle mesure cette situation est homologable. Même en délimitant ainsi le champ de la recherche, on s’aperçoit qu’elle nécessiterait un minimum de travaux préalables qui nous font encore défaut. Au surplus, chaque chercheur est forcément limité par le champ de son expérience et de ses observations personnelles. Ce que l’on va en dire ici, le sera donc surtout à titre d’indication et d’esquisse.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:209-210) – voir Dieu, le jamais vu

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ayons alors bien présent à la pensée un double leitmotiv : la réponse de Dieu à Moïse, enregistrée dans le texte qorânique : « Tu ne me verras pas » — et le célèbre hadîth de la vision (hadith al-rû’ya), que ce fût vision en songe ou vision extatique, où le Prophète atteste : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or (ou d’une robe verte, selon une variante) ; sur sa chevelure, une mitre d’or; à ses pieds, des sandales d’or.» Refus de la vision et attestation de cette vision ; les deux motifs forment ensemble déjà une coincidentia oppositorum. Mais de plus, l’Image récurrente aussi bien dans le hadîth de la vision prophétique que dans l’expérience personnelle d’Ibn ’Arabî, est une Image du puer aeternus, symbole plastique visionnaire de cette même coincidentia oppositorum, bien connu des psychologues. Dès lors une triple question se fait jour : Qui est cette Image ? D’où vient-elle et quel en est le contexte ? Quel degré d’expérience spirituelle annonce son apparition, c’est-à-dire quelle réalisation de l’être est opérée dans et par cette Image ?
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:198) – l’oraison, récurrence de la Création

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Approfondir ce sens créatif de la Prière, c’est voir comment elle accomplit chaque fois pour sa part ce vœu de l’Etre Divin aspirant à créer l’univers des êtres, à se révéler en eux pour être connu de soi-même, bref le vœu du Deus absconditus ou Theos agnostos aspirant à la Théophanie. Chaque oraison, chaque instant de chaque oraison, est alors une récurrence de la Création (tajdid al-khalq), une Création nouvelle (khalq jadid), telle que nous en avons vu précédemment le sens. A la créativité de la Prière est lié le sens cosmique de la Prière, ce sens que percevait si bien Proclus dans la prière de l’héliotrope. Ce sens cosmique apparaît dans deux sortes d’homologations qu’esquissent Ibn Arabi et ses commentateurs, et qui ont cet extrême intérêt de nous montrer le soufisme reproduisant, en Islam même, les démarches et configurations mentales de la conscience mystique connues par ailleurs, notamment dans l’Inde. Une de ces homologations consiste pour l’orant à se représenter soi-même comme étant l’Imam de son propre microcosme. Une autre consiste à homologuer les gestes rituels de la Prière (accomplie en privé) avec les « gestes » de la Création de l’univers qui est le macrocosme. Ces homologations sous-tendent le sens de la Prière comme créatrice ; elles en préparent, fondent et justifient le dénouement visionnaire, puisque précisément comme création nouvelle, elle signifie épiphanie nouvelle (tajalli). Nous progressons ainsi vers le dénouement : l’Imagination créatrice au service de la Prière créatrice, dans la concentration de toutes les puissances du cœur, la himma.

Corbin (Ibn Arabi:143-144) – J’étais un Trésor caché…

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Il est nécessaire avant tout, de nous remémorer les actes de la cosmogonie éternelle conçue par le génie d’Ibn ’Arabî. Un Etre Divin esseulé en son essence inconditionnée, dont nous ne connaissons qu’une chose : précisément la tristesse de cette solitude primordiale, qui le fait aspirer à se révéler dans des êtres qui le manifestent à lui-même pour autant qu’il se manifeste à eux. C’est cette Révélation que nous percevons ; c’est elle qu’il nous faut méditer pour connaître qui nous sommes. Le leitmotiv énonce non pas la fulguration d’une Omnipotence autarcique, mais une nostalgie foncière : « J’étais un Trésor caché, j’ai aimé à être connu. C’est pourquoi j’ai produit les créatures afin de me connaître en elles. » Cette phase est représentée comme la tristesse des Noms divins s’angoissant dans l’inconnaissance, parce que personne ne les nomme, et c’est cette tristesse que vient détendre cette Spiration divine (tanaffos) qui est Compatissance (Rahma) et existentiation (îjâd), et qui dans le monde du Mystère est Compassion de l’Etre Divin avec et pour soi-même, c’est-à-dire pour ses propres Noms. Ou encore, origine et principe sont une détermination de l’amour, lequel comporte mouvement d’ardent désir (harakat shawqîya) chez celui qui est épris. A cet ardent désir, le Soupir divin apporte sa détente.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:110-111) – le poème sophianique d’un « fidèle d’amour »

Classé dans: — admin @ 1:35 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans le prologue du Dîwân qu’il a intitulé « L’interprète des ardents désirs », Ibn ’Arabî relate ainsi les circonstances de sa composition : « Lorsque pendant l’année 598 h. (= 1201 A. D.) je séjournais à La Mekke, je fréquentais une société de personnes éminentes, hommes et femmes, formant une élite des plus cultivées et des plus vertueuses. Quelle que fût leur distinction, je ne vis cependant parmi elles personne qui égalât le sage docteur et maître Zâhir ibn Rostam, originaire d’Ispahan mais ayant pris résidence à La Mekke, ainsi que sa sœur, la vénérable ancienne, la savante du Hedjâz, appelée Fakhr al-Nisâ’ (la « Gloire des femmes ») Bint Rostam. » Ici Ibn ’Arabî s’étend avec complaisance sur d’agréables souvenirs, mentionnant, entre autres, les livres qu’il étudia sous la direction du shaykh en compagnie de la sœur de celui-ci. Tout cela n’est encore que préparatifs pour introduire le motif qui est à l’origine des poèmes constituant le Dîwân.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:98-99) – le Seigneur

Classé dans: — admin @ 1:15 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les deux termes nous avaient été proposés comme formant antithèse [unio mystica et unio sympathetica]. La voie que suit notre recherche semble bien nous conduire à un schéma d’expérience spirituelle où, loin de s’exclure, ils s’interprètent l’un par l’autre. Récapitulons les étapes : chaque être est une forme épiphanique (mazhar, majla) de l’Etre divin qui s’y manifeste comme revêtu de l’un ou de plusieurs de ses Noms. L’univers est la totalité des Noms dont Il se nomme quand nous Le nommons par eux. Chaque Nom divin manifesté est le seigneur (rabb) de l’être qui le manifeste (c’est-à-dire qui est son mazhar). Chaque être est la forme épiphanique de son Seigneur propre (al-rabb al-khâss), c’est-à-dire ne manifeste l’Essence divine que chaque fois particularisée et individualisée dans ce Nom. Aucun être déterminé et individualisé ne peut être la forme épiphanique du Divin en sa totalité, c’est-à-dire de l’ensemble des Noms ou des « Seigneurs ». « Chaque être, dit Ibn ’Arabî, n’a comme Dieu que son Seigneur en particulier, il est impossible qu’il ait le Tout. »
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:147-148) – le monde lumineux des Idées-Images

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Le monde ou le plan d’être intermédiaire correspondant en propre à la fonction médiatrice de l’Imagination, la « cosmographie » mystique le désigne comme le monde lumineux des Idées-Images, des Figures d’apparition (’âlam mithâlî nûrâni). Certes, la préoccupation première d’Ibn ’Arabî vise les connexions des visions avec la faculté imaginative d’une part, avec l’inspiration divine d’autre part. En fait, tout le concept métaphysique de l’Imagination se trouve engagé dans l’instauration de ce monde intermédiaire. Toutes les réalités essentielles de l’être (haqâ’iq al-wojûd) y sont manifestées en Images réelles; et pour autant qu’une chose manifestée aux sens ou à l’intellect, possède une signification qui, en dépassant la simple donnée, fait de cette chose un symbole, et pour autant qu’elle exige ainsi une herméneutique (ta’wîl), la vérité symbolique de cette chose implique une perception au plan de l’Imagination active. La sagesse qui prend en charge ces significations, celle qui restituant les choses en symboles, a pour objet propre ce monde intermédiaire d’images subsistantes, est une sagesse de lumière (hikmat nûrîya) qui est typifiée dans la personne de Joseph comme interprète exemplaire des visions. La métaphysique de l’Imagination emprunte, chez Ibn ’Arabî, bien des traits à la « théosophie orientale » de Sohravardî. L’Imagination active est essentiellement l’organe des théophanies, parce qu’elle est l’organe de la Création, et que la Création est essentiellement théophanie. Aussi bien, avons-nous dit, dans la mesure même où l’Etre Divin est Créateur parce qu’il a voulu se connaître dans des êtres qui le connaissent, il est impossible de dire que l’Imagination soit « illusoire », puisqu’elle est l’organe et la substance de cette auto-révélation. Notre être manifesté est cette Imagination divine ; notre propre Imagination est Imagination dans la sienne.

Corbin (Ibn Arabi:214-215) – l’Alter Ego divin

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ce prélude — qui n’est un prélude que parce qu’il est l’aboutissement de toute une expérience spirituelle — se présente comme un dialogue d’une extraordinaire lucidité à la limite de la conscience et de la transconscience, entre le moi humain et son Alter Ego divin. Ibn ’Arabî est en train d’accomplir ses circumambulations autour de la Ka’ba, et voici que devant la Pierre Noire, il rencontre l’être mystérieux qu’il reconnaît et qu’il désigne comme « le Jouvenceau évanescent, le Parlant-Silencieux, celui qui n’est ni vivant ni mort, le composé-simple, l’enveloppé-enveloppant », autant de termes accumulés (avec réminiscences alchimiques) pour signifier la coincidentia oppositorum. A ce moment, le visionnaire a un doute : « Ce processionnal ne serait-il autre chose que la Prière rituelle d’un vivant autour d’un cadavre (la Ka’ba) ? » « Regarde, lui dit le Jouvenceau mystique, le secret du Temple avant qu’il s’échappe. » Et le visionnaire voit soudain le Temple de pierre devenir un être vivant. Il comprend quel est le rang spirituel de son Compagnon ; il baise sa main droite ; il veut devenir son disciple, apprendre de lui tous ses secrets ; il n’enseignera pas autre chose. Mais celui-ci ne parle que par symboles ; il n’a d’autre éloquence que celle des énigmes. Et sur un signe mystérieux de reconnaissance, le visionnaire est submergé sous une telle puissance d’amour qu’il perd conscience. Quand il revient à lui, son Compagnon lui dévoile : « Je suis la Connaissance, je suis ce qui connaît et je suis ce qui est connu. »
(more…)

Corbin (PM:99-101) – l’angélologie

Classé dans: — admin @ 11:51 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

A partir du sens courant du mot grec Angelos, messager (qui a pour équivalent l’hébreu malakh, l’arabe malak, le persan fereshteh), nous avons à considérer les montées, les exhaussements de cette signification apparemment inoffensive, parce qu’elle est encore purement exotérique. Ces exhaussements ont leur lieu dans la gnose, dans l’ésotérisme (au sens étymologique de ce mot) des trois communautés abrahamiques, celles que le Qorân désigne comme Ahl al-Kitâb, les « communautés du Livre ». Ce que ces exhaussements confèrent au message de l’Ange, ce n’est rien de moins que le sens d’une fonction théophanique nécessaire. La nécessité de cette fonction théophanique découle du concept de la divinité comme absolument transcendante, et l’on perd souvent de vue le fait que, sans l’angélologie, ce qu’on appelle si facilement le monothéisme périt dans un triomphe illusoire. Pour le comprendre, nous aurons à nous rappeler tout d’abord comment le tawhîd, l’Acte unificateur de l’Unique a été médité jusqu’au vertige par les métaphysiciens mystiques en Islam. Et cette méditation ne prend toute sa résonance que si nous évoquons simultanément l’angélologie néoplatonicienne d’un Proclus, parce que de part et d’autre un même schéma métaphysique de l’être réserve à l’Ange, à l’Angelos, une fonction théophanique semblable.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:139-140) – L’Imago-Magia

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

« La notion de l’imagination, intermédiaire magique entre la pensée et l’être, incarnation de la pensée dans l’image et position de l’image dans l’être, est une conception de la plus haute importance qui joue un rôle de premier plan dans la philosophie de la Renaissance et qu’on retrouve dans celle du Romantisme. » Cette observation relevée chez l’un de nos meilleurs interprètes des doctrines de Boehme et de Paracelse, nous fournit la meilleure introduction à la seconde partie du présent livre. Nous en retiendrons d’une part la notion de l’imagination comme étant la production magique d’une image, le type même de l’action magique, voire de toute action comme telle, mais par excellence de toute action créatrice ; et d’autre part la notion de l’image comme d’un corps (un corps magique, un corps mental) dans lequel s’incarnent la pensée et la volonté de l’âme. L’Imagination comme puissance magique créatrice qui, donnant naissance au monde sensible, produit l’Esprit en formes et en couleurs ; le monde comme Magia divina « imaginée » par la divinité « imagicienne », c’est cette antique doctrine, typifiée dans la juxtaposition des mots Imago-Magia, qu’un Novalis retrouvait à travers Fichte. Mais ici une mise en garde initiale s’impose : cette Imaginatio ne doit surtout pas être confondue avec la fantaisie. Comme l’observait déjà Paracelse, à la différence de l’Imaginatio vera, la fantaisie (Phantasey) est un jeu de la pensée, sans fondement dans la nature, elle n’est que « la pierre angulaire des fous ».
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:190-191) – la prière

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Que dans une doctrine comme celle d’Ibn ’Arabî la Prière assume encore une fonction, voire une fonction essentielle, on a pu tantôt s’en étonner comme d’un paradoxe, tantôt en dénier l’authenticité. C’est qu’au fond en se hâtant de classer sa doctrine de l’« unité transcendantale de l’être » dans ce que nous appelons monisme et panthéisme, avec le sens que prennent ces mots dans notre histoire de la philosophie moderne, on rendait en effet difficile de comprendre quel sens peut encore garder ce qu’on appelle la Prière. C’est ce sens que nous nous proposons de dégager en parlant de « Prière créatrice », cela dans le contexte où la Création vient de nous être montrée comme une théophanie, c’est-à-dire comme Imagination théophanique. (Peut-être les analyses qui précèdent auront-elles au moins pour fruit de suggérer quelques réserves à l’égard des jugements trop hâtifs ; ce vœu ne signifie pourtant pas que nous songions à intégrer de force la théosophie d’Ibn ’Arabî à l’orthodoxie commune de l’Islam exotérique !) La structure théophanique de l’être, la relation qu’elle détermine entre Créateur et créature, implique, certes, l’unité de leur être (parce qu’il est impossible de concevoir de l’être extrinsèque à l’être absolu). Mais le propre de cet être d’essence unique est de se différencier, de se « personnaliser » en deux modes d’existence correspondant à son être caché et à son être révélé. Certes, le révélé (zâhir) est bien la manifestation (zohûr) du caché (bâtin) ; ils forment une unité indissoluble ; cela ne veut pas dire leur identité existentielle. Car existentiellement, le manifesté n’est pas le caché, l’exotérique n’est pas l’ésotérique, le fidèle n’est pas le seigneur, la condition humaine (nâsût) n’est pas la condition divine (lâhût), bien qu’une même réalité essentielle foncière conditionne leur diversification ainsi que leur codépendance réciproque, leur bi-unité.
(more…)

Corbin (PM:12-13) – Le paradoxe du monothéisme

Classé dans: — admin @ 1:01 am

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

[…] Ce paradoxe est de nature essentiellement théologique et philosophique. Lorsque l’on parle des « religions monothéistes », on vise en général le groupe des trois grandes religions abrahamiques : judaïsme, christianisme, Islam.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:202) – le dhikr

Classé dans: — admin @ 12:44 am

L’enjeu, pour le disciple d’Ibn ’Arabî, est donc grave. Que chacun s’éprouve soi-même et discerne son état spirituel, car ainsi que le déclare un verset qorânique : « L’homme est un témoin qui dépose contre lui-même, quelque excuse qu’il profère (75/14-15). » S’il ne perçoit pas les « répons » divins au cours de l’Oraison, c’est qu’il n’est pas réellement présent avec son Seigneur ; incapable d’entendre et de voir, il n’est pas réellement un mosallî, un orant, ni quelqu’un « qui a un coeur, qui prête l’oreille et est un témoin oculaire » (40/36). Ce que nous avons appelé la « méthode d’oraison » d’Ibn ’Arabî comporte ainsi trois degrés : présence, audition, vision. Quiconque manque l’un de ces trois degrés, reste en dehors de l’Oraison et de ses effets, lesquels sont liés à l’état de fanâ’. Ce mot, nous l’avons vu, ne signifie pas dans la terminologie d’Ibn ’Arabî « l’anéantissement » de la personne, mais son occultation à soi-même, et telle est la condition pour percevoir le dhikr, le répons divin qui est, cette fois, l’action du Seigneur mettant son fidèle au présent de sa propre Présence.
(more…)

Corbin (Ibn Arabi:155-156) – l’idée de création récurrente

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

C’est un des termes-clefs du système théosophique d’Ibn ’Arabî ; l’idée de création récurrente, création nouvelle (khalq jadîd), met en cause la nature même de la Création. Or, nous avons déjà vu qu’il n’y a point de place dans la pensée d’Ibn ’Arabî pour une création ex nihilo, pour un commencement absolu, précédé de rien. L’existentiation d’une chose qui n’aurait pas eu déjà d’existence, une opération créatrice qui aurait eu lieu une fois pour toutes et serait maintenant achevée, constituent pour lui autant d’absurdités théoriques et pratiques. La Création comme « règle de l’être », c’est le mouvement prééternel et continuel par lequel l’être est manifesté à chaque instant sous un revêtement nouveau. L’Etre créateur, c’est l’essence ou la substance prééternelle et postéternelle qui se manifeste à chaque instant dans les formes innombrables des êtres ; lorsqu’il s’occulte en l’une, il s’épiphanise en une autre. L’Etre créé, ce sont ces formes manifestées, diversifiées, successives et évanescentes, ayant leur subsistance non pas dans leur autonomie fictive, mais dans l’être qui se manifeste en elles et par elles. La création ne signifie donc rien de moins que la Manifestation (zohûr) de l’Etre Divin caché (Bâtin), dans les formes des êtres : dans leur heccéité éternelle d’abord, dans leur forme sensible ensuite, et cela par un renouvellement, une récurrence d’instant en instant depuis la prééternité. C’est cela cette « création nouvelle » à laquelle pour le théosophe, fait allusion le verset qorânique : « Serions-Nous fatigué par la première Création, pour qu’ils soient dans le doute d’une création nouvelle ? » (50/14).
(more…)

19/12/2022

Corbin (PM:22-23) – les Sages de Dieu, les théosophes

C’est pourquoi les Sages de Dieu, les théosophes, sont dénommés en fonction de leur mode de vision : 1) Il y a celui qui possède l’intellect (dhû’l-’aql, l’homme du ilm al-yaqîn); c’est celui qui voit le créaturel comme étant ce qui est manifesté, apparent, exotérique, et le Divin comme étant ce qui est occulté, caché, ésotérique. Pour celui-là le Divin est le miroir montrant la créature, mais il ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 2) Il y a celui qui possède la vision (dhû’l ’ayn, l’homme du ‘ayn al-yaqîn). Celui-là, à l’inverse du premier, voit le Divin comme ce qui est manifesté, visible, et le créaturel comme étant ce qui est occulté, caché, non apparent. Alors, pour celui-là, c’est le créaturel qui est le miroir montrant la divinité, mais lui non plus ne voit pas le miroir, il ne voit que la forme qui s’y manifeste. 3) Et puis il y a celui qui possède à la fois l’intellect et la vision (l’homme du haqq al-yaqîn). C’est le hakîm mota’allih, le théosophe mystique, le « hiératique » au sens néoplatonicien du mot. Celui-là voit simultanément la divinité dans la créature, l’Un dans le multiple, et le créaturel dans la divinité, la multiplicité des théophanies dans l’Unitude qui se « théophanise ». Il voit l’identité de l’Acte-être unitif (le 1 x 1 x 1, etc.) dans tous les êtres actualisés en autant de monades ou d’unités. Pas davantage l’unité hénadique, qui monadise toutes les monades et constitue en unités multiples tous les êtres, ne l’aveugle à la multiplicité des formes épiphaniques (mazâhir) dans lesquelles cette Unitude de l’Un primordial s’épiphanise. Ici les deux miroirs se réfléchissent l’un dans l’autre.
(more…)

Corbin (ARV:39-41) – le symbole et l’allégorie

CORBIN, Henry. Avicenne et le récit visionnaire. Berg, 1979

Le symbole n’est pas un signe artificiellement construit; il éclôt spontanément dans l’âme pour annoncer quelque chose qui ne peut pas être exprimé autrement; il est l’unique expression du symbolisé comme d’une réalité qui devient ainsi transparente à l’âme, mais qui en elle-même transcende toute expression. L’allégorie est une figuration plus ou moins artificielle de généralités ou d’abstractions qui sont parfaitement connaissables ou exprimables par d’autres voies. Pénétrer le sens d’un symbole n’équivaut nullement à le rendre superflu ni à l’abolir, car il reste toujours la seule expression du signifié avec lequel il symbolise (1). On ne peut jamais prétendre l’avoir dépassé une fois pour toutes, à moins précisément de le dégrader en allégorie, d’en fournir des équivalences rationnelles, générales et abstraites. L’exégète doit prendre garde qu’il se ferme alors la voie du symbole conduisant hors de ce monde. « Mithâl » est donc symbole et non allégorie. Les schémas formés sur la même racine sont à préciser dans le même sens. « Tamthîl » n’est pas une « allégorisation », mais la typification, l’exemplification privilégiée d’un archétype (2). « Tamaththol » c’est l’état de la chose sensible ou imaginale qui possède cette investiture de l’archétype, et cette investiture en la faisant symboliser avec lui, l’exhausse à son maximum de sens. L’exhaussement peut en certains cas la faire comprendre comme une hypostase.
(more…)

Corbin (TC:206-209) – la forme du Temple de la Ka’ba

Classé dans: — admin @ 7:38 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

La manière dont notre philosophe shî’ite, Qâzî Sa’îd Qommî, nous exerce, par exemple, à méditer la forme du Temple de la Ka’ba, va nous en être l’illustration convaincante. Mais il importe tout d’abord de bien avoir présentes à la pensée les prémisses de cette figuration du Temple qui porte en elle tout le secret de la vie spirituelle, parce qu’elle figure les étapes de l’itinéraire mystique.
(more…)

Corbin (TC:146-147) – les Sabéens

Classé dans: — admin @ 7:22 pm

CORBIN, Henry. Temple et contemplation. Paris: Flammarion, 1980

Dans un dialogue qu’institue en son œuvre célèbre l’historien des religions Shahrastânî (XIe-XIIe siècle) l’idéologie sabéenne du Temple va nous apparaître comme une phase essentielle de cette transmutation. C’est elle en effet qui fournit à la méditation la possibilité de passer de la représentation des Temples ou astres (hayâkil) inscrits aux Cieux de l’astronomie et reproduits symboliquement dans l’architecture des Temples terrestres, à la représentation d’un Temple spirituel constitué par la coalescence des âmes qui se substituent aux astres comme réceptacles et icônes des pures substances de Lumière. Car les Sabéens se représentaient les Temples célestes comme gouvernés par des Anges auxquels s’adressait leur culte. Pour que la transmutation s’opère non pas en dégradant ces êtres de Lumière, mais en exhaussant vers eux l’être de l’homme, l’anthropomorphose du Temple s’accompagnera simultanément d’une angélomorphose de l’homme. En ce sens l’angélologie présente une structure fondamentale : elle constitue le lien idéal permettant de penser le passage entre sabéisme et intériorisme ismaélien.
(more…)

Corbin (PM:216-219) – sacralisation et sécularisation

Classé dans: — admin @ 7:13 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

3) C’est ici même que s’insère le thème que j’ai formulé. En vérité je ne suis pas le premier à observer que les systèmes socio-politiques qui, de l’Occident de nos jours, ont débordé sur la planète, sont la sécularisation de systèmes théologiques antérieurs. C’est là même constater implicitement que le concept plénier de l’Occident ne saurait s’identifier purement et simplement avec cette sécularisation. C’est également constater que le phénomène n’est pas particulier à l’Occident, puisque le monde oriental est lui-même aujourd’hui la proie de ce que l’on appelle « occidentalisation ». C’est pourquoi, plus que jamais, le contraste entre « Orient » et « Occident » ne prend son sens qu’au niveau métaphysique, celui-là même où l’ont situé les philosophes iraniens depuis Avicenne et Sohravardî.
(more…)

Corbin (II2:41) – le theo-sophos

Classé dans: — admin @ 7:07 pm

Aussi bien, lorsque Sohrawardî et ses confrères emploient l’expression hakîm ilâhî, le « sage divin » ou le « sage de Dieu », ce terme, rappelons-le encore, est la transposition exacte du grec theosophos. La hikmat ilâhiya, souvent la hikmat tout court, c’est la Theo-sophia [Cf. Prolégomènes II, pp. 20 ss.], le mot étant entendu dans son acception étymologique. La « Théosophie orientale » (ishrâqîya) c’est la sagesse du Sage qui cumule à la fois la plus haute connaissance spéculative et la plus profonde expérience spirituelle, laquelle peut être dite aussi étymologiquement spéculative, en ce sens qu’elle transmue l’être du sage en un spéculum, un pur miroir dans lequel se réfléchissent et qu’embrasent les pures Lumières se levant à l’Orient du monde spirituel. C’est sur cette base que sera fondée la hiérarchie des sages « orientaux » (infra § 2).
(more…)

Corbin (IP:147-150) – l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1)

Classé dans: — admin @ 6:58 pm

CORBIN, Henry. L’Iran et la philosophie. Paris: Fayard, 1990

C’est par excellence sous la forme d’un voyage, le plus souvent avec l’intervention d’un messager invitant à l’entreprendre, que la gnose islamique se représente l’aventure spirituelle. L’illustration typique s’en trouve dans le thème de l’ascension céleste du Prophète (Mi’râj, Qorân 17:1) lorsque, au cours d’une extase nocturne, le prophète Mohammad est invité par l’ange Gabriel à effectuer sous sa conduite la visite des sept cieux et des prophètes qui y résident.
(more…)

Corbin (PM:28-30) – l’initiation

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dès lors tout récit évoquant l’atteinte à la Nature Parfaite présentera une scénographie d’initiation, que ce soit en songe ou à l’état de veille. Elle est atteinte au centre, c’est-à-dire en un lieu rempli de Ténèbres qui vient à s’illuminer d’une pure lumière intérieure. Tel est, au cours du même ouvrage, le récit d’Hermès : « Lorsque je voulus mettre au jour la science du mystère et de la modalité de la Création, je rencontrai une voûte souterraine remplie de ténèbres et de vents. Je n’y voyais rien à cause de l’obscurité, et ne pouvais y maintenir de lampe à cause de l’impétuosité des vents. Alors voici que pendant mon sommeil une personne se montra à moi sous une forme de la plus grande beauté. Elle me dit : Prends une lampe et place-la dans un verre qui la protège des vents; alors elle t’éclairera malgré eux. Entre ensuite dans la chambre souterraine; creuse en son centre et extrais de là certaine image théurgique modelée selon les règles de l’Art. Lorsque tu auras extrait cette Image, les vents cesseront de parcourir cette chambre souterraine. Creuse alors aux quatre coins de celle-ci : tu mettras au jour la science des mystères de la Création, des causes de la Nature, des origines et des modalités des choses. Alors je lui dis : Qui donc es-tu ? Elle me répondit : Je suis ta Nature Parfaite. Si tu veux me voir, appelle-moi par mon nom. »
(more…)

Corbin (PM:27-30) – les théophanies

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Par là même on peut entrevoir ce que signifient les catégories fondamentales du tawhîd ésotérique, c’est-à-dire du tawhîd sous son aspect ontologique : tawhîd de l’Essence (dhât), tawhîd des Noms et Attributs (asmâ’ et sifât), tawhîd des opérations (af’âl) ou des théophanies. Haydar Âmolî a construit la représentation imaginale de ces trois catégories du tawhîd dans trois diagrammes en forme d’arbres. Maintenant, quant à la question de savoir comment l’acte unitif du tawhîd s’accomplit sous ces trois aspects, c’est ce que l’on peut saisir en se reportant à la cosmogonie professée par l’Ecole d’Ibn ’Arabî, une cosmogonie qui est essentiellement une succession de théophanies, dont toutes les séries prennent origine dans une triple théophanie primordiale.
(more…)

Corbin (CETC:10-11) – Formes imaginales

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Quant, à la fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales, elle est définie par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part elle « imaginalise » les Formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle est dégradée en « fantaisie », ne sécrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. C’est toute la différence que connaissait et marquait déjà fort bien Paracelse entre l’Imaginatio vera (la vraie Imagination, l’Imagination au sens vrai) et la Phantasey.
(more…)

Corbin (HL:19-20) – Tu es moi

Classé dans: — admin @ 4:16 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Enfin, à l’extrémité orientale du monde iranien, en Transoxiane, Najmoddîn Kobrâ (ob. 1220) oriente le soufisme d’Asie centrale vers la pratique d’une méditation attentive aux phénomènes de lumière dont le chromatisme nous dévoilera la signification et la prééminence de la Lumière verte. Et dans ce contexte reparaîtra l’homologue de la Nature Parfaite, la Figure que Najm Kobrâ désigne comme son « Témoin dans le Ciel », son « Guide personnel suprasensible », « Soleil du mystère », « Soleil du cœur », « Soleil de la haute connaissance », « Soleil de l’Esprit ».
(more…)

Corbin (HLSI:31-36) – Récit de l’exil occidental

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Dans l’œuvre considérable de Sohravardî trois passages principalement mettent en scène la Nature Parfaite, non point théoriquement, mais comme figure d’une expérience visionnaire ou comme interlocutrice d’une prière. Le plus explicite est celui du Livre des Entretiens où Sohravardî fait, à n’en pas douter, allusion au texte hermétiste que l’on aura pu lire ici il y a quelques pages ; une forme de lumière apparaît à Hermès ; elle projette ou insuffle en lui les connaissances de gnose. A l’interrogation d’Hermès : « Qui donc es-tu ? ». Elle répond : « Je suis ta Nature Parfaite ». Et c’est ailleurs l’invocation adressée par Hermès à sa Nature Parfaite au milieu des périls éprouvés au cours d’une dramaturgie d’extase, mise en scène allusive d’une épreuve initiatique vécue dans le secret personnel (où Hermès est peut-être alors le pseudonyme de Sohravardî). Or, l’heure aussi bien que le lieu de cet épisode visionnaire font intervenir les symboles du Nord, pour indiquer le passage à un monde qui est au-delà du sensible. Cet épisode est l’illustration la plus frappante du thème que nous analysons ici : la Nature Parfaite, guide de lumière de l’individualité spirituelle à qui elle « ouvre » sa dimension transcendante en lui faisant franchir le seuil… (cf. encore infra 111). La « personne » à qui dans cette extase initiatique s’adresse l’appel, est cette même Nature Parfaite à qui s’adresse le psaume composé par Sohravardî, et qui est peut-être la plus belle prière qui ait jamais été adressée à l’Ange. En ce sens, c’est une liturgie personnelle satisfaisant aux prescriptions qu’Hermès, selon les « Sabéens », avait laissées aux Sages : « Toi, mon seigneur et prince, mon ange sacro-saint, mon précieux être spirituel, Tu es l’Esprit qui m’enfanta et tu es l’Enfant que mon esprit enfante… Toi qui es revêtu de la plus éclatante des Lumières divines… puisses-tu te manifester à moi en la plus belle (ou en la suprême) des épiphanies, me montrer la lumière de ta face éblouissante, être pour moi le médiateur… enlever de mon cœur les ténèbres des voiles… » C’est cette relation syzygique que le spirituel éprouve lorsqu’il atteint au centre, au pôle; celle-là même qui se retrouve dans la mystique de Jalâloddîn Rumî comme dans toute la tradition sohravardienne en Iran, ainsi que nous l’apprend le témoignage de Mîr Dâmâd, le grand maître de théologie à Ispahan au XVIIe siècle, relation telle que comme Maryam, comme Fâtima, l’âme mystique devient la « mère de son père », omm abî-hà. Et c’est ce que veut dire encore ce vers d’Ibn’Arabî : « Je n’ai créé en toi la perception que pour y devenir l’objet de ma perception. »
(more…)

Corbin (PM:24-27) – l’ontologie intégrale

Classé dans: — admin @ 3:20 pm

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

L’avènement de l’ontologie intégrale comporte trois moments, jusqu’au moment où l’on s’avise, comme le dit Ibn ’Arabî, que « c’est le monde qui est occulté et n’apparaît jamais, tandis que l’Être Divin est le Manifesté et n’est jamais occulté » — bref le moment de la réponse d’Adam, lorsqu’on lui demanda comment il avait accepté le fardeau que les cieux, les montagnes et toutes les créatures avaient refusé : « J’ignorais, dit-il, qu’il y eût de l’Autre que Dieu 14. » Ce pourrait être la formule de l’ontologie intégrale.
(more…)

Corbin (CETC:46-48) – où eut lieu la prédication zoroastrienne?

Classé dans: — admin @ 2:27 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Dès lors aussi, nous pouvons dépasser le niveau auquel a été posée une des questions les plus irritantes qui aient tourmenté plusieurs générations d’Orientalistes : où eut lieu la prédication zoroastrienne? Où était Erân Vêj, puisque c’est en Erân Vêj que Zarathoustra eut ses visions et commença sa prédication? La majorité des Orientalistes admet aujourd’hui que le lieu de la prédication de Zarathoustra, telle que nous pouvons l’entendre encore en lisant les Gâthâs, est à situer en Asie centrale, quelque part dans la région du Haut-Oxus, à l’extrémité orientale du monde iranien. En revanche, cette certitude scientifique régnante est en contradiction avec les traditions iraniennes postérieures, celles de l’époque sassanide et post-sassanide, qui situent la naissance et la prédication de Zarathoustra à l’extrémité occidentale du monde iranien, en Azerbaïdjan. On a tenté des solutions de conciliation, tout en voulant se maintenir sur le terrain des faits positifs : Zarathoustra serait né à l’Ouest, mais sa prédication aurait eu lieu à l’Est. Une solution récente s’inspire précisément du système des keshvars : l’histoire sacrée du zoroastrisme primitif se serait passée à l’orient du monde iranien; puis la mission zoroastrienne pénétrant progressivement vers l’ouest du monde iranien, un beau jour l’orientation géographique se serait trouvée tout simplement inversée (le keshvar oriental serait devenu le keshvar occidental). Tout se serait passé comme si le système des keshvars avait pivoté sur un axe central. On a même prononcé le mot de « falsification », parce que les Mages occidentaux auraient ainsi identifié après coup en Azerbaïdjan les lieux saints de l’histoire sacrée (l’Arax, le mont Savalân, la ville sainte de Shîz), sans que cette identification ait la moindre valeur « historique ».
(more…)

Corbin (CETC:33-37) – la cosmologie mazdéenne

Classé dans: — admin @ 12:00 pm

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Il est absolument nécessaire de nous remémorer ici le schéma d’ensemble de la cosmologie mazdéenne, c’est-à-dire le schéma d’ensemble qui articule le plérôme céleste de lumière. On ne peut malheureusement que le rappeler ici à grands traits. La vision mazdéenne partage la totalité pensable en une hauteur infinie de Lumière dans laquelle de toute éternité habite Ohrmazd (avestique Ahura Mazda), le « Seigneur Sagesse » — et un abîme insondable de Ténèbres qui recèle l’Antagoniste, la Contre-puissance de négation, de désintégration et de mort, Ahriman (avestique Angra Mainyu). Entre Puissance de Lumière et Contre-puissance de Ténèbres rien n’est commun : nul compromis de coexistence, mais combat sans merci dont notre Terre, et avec elle toute la Création visible, est le théâtre, jusqu’à la consommation de l’Aiôn, l’apokatastasis ou « rétablissement » qui mettra fin au mélange (gumechishn) par la séparation (vicharishn) rejetant dans leur abîme les Contre-puissances démoniaques.
(more…)

Corbin (CETC:39-42) – Xvarnah, Lumière-de-Gloire

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

Maintenant, la tâche sera de rechercher comment et à quelles conditions, lorsque les données de la perception sensible sont portées comme à l’état diaphane par l’imagination active (lorsque le gêtîk est saisi dans son mênôk), se profile précisément la figure de l’Ange. Cette tâche revient à préciser quelle est cette Forme imaginale comme organe par lequel l’Imagination active, en percevant directement les choses, en opère la transmutation; comment il se fait que cette transmutation accomplie, ce soit sa propre Image que les choses réfléchissent à l’âme, et comment alors cette auto-reconnaissance de l’âme instaure une science spirituelle de la Terre et des choses terrestres, telle que ces choses soient connues dans leur Ange, comme le pressentit l’intuition visionnaire de Fechner.
(more…)

Corbin (CETC:54-58) – la retraite de Zarathoustra

Classé dans: — admin @ 12:57 am

CORBIN, Henry. Corps Spirituel et Terre Céleste. De l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite. Paris: Buchet/Chastel, 1979

On voit que dans l’un et l’autre cas analysé ici, l’intention et l’effort de l’âme tendent à configurer et à réaliser la Terre céleste, pour y permettre l’épiphanie des êtres de lumière. Il s’agit de gagner la Terre des visions, in medio mundi, là où les événements réels consistent dans les visions elles-mêmes. Et tels soin bien les événements que décrivent les Récits concernant l’investiture prophétique de Zarathoustra. Par une indication d’une sublime simplicité, le Zaratusht-Nameh (Le « Livre de Zoroastre » abrév. ici = Z.N.) nous le signifie : « Lorsque Zarathoustra eut trente ans accomplis, il eut le désir d’Eran-Vej et se mit en route avec quelques compagnons, hommes et femmes. » Avoir le désir d’Eran-Vej, c’est désirer la Terre des visions, c’est gagner le centre du monde, la Terre céleste où a lieu la rencontre des Saints Immortels. De lait les épisodes qui marquent la progression et l’entrée de Zarathoustra et de ses compagnons en Eran-Vej, le moment du temps où cette entrée s’accomplit, ne sont ni des événements extérieurs ni des dates relevant de la chronique : ce sont des épisodes et des indications hiérophaniques.
(more…)

Corbin (HL:12-14) – Géographie sacrée

Classé dans: — admin @ 12:36 am

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

L’orientation est un phénomène primaire de notre présence au monde. Le propre d’une présence humaine est de spatialiser un monde autour d’elle, et ce phénomène implique une certaine relation de l’homme avec le monde, son monde, cette relation étant déterminée par le mode même de sa présence au monde. Les quatre points cardinaux, est et ouest, nord et sud, ne sont pas des choses que rencontre cette présence, mais des directions qui en expriment le sens, son acclimatation à son monde, sa familiarité avec lui. Avoir ce sens, c’est s’orienter dans le monde. Les lignes idéales d’orient en occident, du septentrion au midi, forment un réseau d’évidences spatiales a priori, sans lesquelles il n’y aurait d’orientation ni géographique ni anthropologique. Les contrastes de l’oriental et de l’occidental, de l’homme du nord et de l’homme du sud, règlent aussi bien nos classifications idéologiques et caractérologiques.
(more…)

Shayegan (Corbin): L’herméneutique et Heidegger

Le passage de Heidegger à Sohrawardî a fait couler beaucoup d’encre : on y a décelé un signe de déception, une disparité et même un mélange incongru. Corbin s’y est expliqué clairement dans son entretien avec Philippe Nemo : « Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique. » Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre « climat de l’Être » (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l’analytique heideggerienne. Le « retour aux choses mêmes » que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l’âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat ou le monde de l’imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n’était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l’accès à un autre climat de l’être, et qui ne porta tout son fruit que lorsque Corbin, isolé à Istanbul en compagnie du Shaykh al-Ishrâq, en eut peu à peu la vision immédiate.
(more…)

18/12/2022

Corbin (PM:14-19) – Moments du paradoxe du monothéisme

CORBIN, Henry. Le paradoxe du monothéisme. Paris: L’Herne, 1981

Les trois moments du paradoxe sont les suivants : 1) Sous sa forme exotérique, celle de la profession de foi qui énonce Lâ Ilâha illâ Allah, le monothéisme périt dans son triomphe, se détruit lui-même en devenant à son insu, volens nolens, une idolâtrie métaphysique. 2) Le monothéisme ne trouve son salut et sa vérité qu’en atteignant à sa forme ésotérique, celle-là même qui pour la conscience naïve semble le détruire, et dont le symbole de foi s’énonce sous cette forme : Laysa fî’l-wojûd siwâ Allah; « il n’y a dans l’être que Dieu ». Le monothéisme exotérique s’exhausse ainsi au niveau ésotérique et gnostique du théomonisme. Mais de même que le niveau exotérique subit sans cesse la menace d’une idolâtrie métaphysique, de même le niveau ésotérique est menacé d’un péril surgissant des méprises sur le sens du mot être. 3) Ce péril est conjuré par l’instauration d’une ontologie intégrale se présentant, nous allons le voir, comme une intégration à deux degrés; or, cette double intégration fonde eo ipso le pluralisme métaphysique.
(more…)

Corbin (HL:36-38): le Pasteur d’Hermas

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

La Figure-archétype qu’exemplifie l’apparition de la Nature Parfaite, assume donc envers l’homme de lumière, Phôs, pendant toute l’épreuve de son exil, un rôle que définit au mieux le terme de ποιμήν, le « pasteur », le veilleur, le guide. Précisément, c’est là un terme qui évoque aussi bien le prologue d’un texte hermétiste célèbre entre tous, que celui d’un texte chrétien qui en est peut-être l’écho. Chaque fois la scénographie présente les mêmes phases : d’abord le recueillement du visionnaire, sa retraite au centre de lui-même, moment de songe ou d’extase intermédiaire entre la veille et le sommeil; puis l’apparition et l’interrogation; puis la reconnaissance. C’est ainsi que le Noûs apparaît à Hermès, tandis que « ses sens corporels ont été mis en ligature » pendant un profond sommeil. Il lui semble que se présente à lui un être d’une taille prodigieuse qui l’appelle par son nom et lui demande : « Que veux-tu entendre et voir, et par la pensée apprendre et connaître? — Mais toi, qui donc es-tu? — Moi, je suis Poimandrès, le Noûs à l’absolue souveraineté. Je sais ce que tu veux et je suis avec toi partout… Subitement tout s’ouvrit devant moi en un moment, et je vis une vision sans limite, tout étant devenu lumière sereine et joyeuse, et ayant vu cette lumière, voici que je fus épris d’amour pour elle [Poimandrès, §§2-4 et 7-8: Corpus Hermeticum, éd. A.-D. Nock, trad. A.-J. Festugière, Paris, 1945, vol. I, pp. 7 et 9.]. » Selon le terme copte auquel on ramènera le nom de Poimandrès, on le comprendra comme le Noûs céleste, comme le pasteur ou comme le témoin, mais c’est bien la même vision qu’attestent ceux des spirituels iraniens parlant tantôt de la Nature Parfaite, comme l’Hermès de Sohravardî, tantôt du témoin dans le Ciel, du Guide personnel suprasensible, comme Najm Kobrâ ei son école.
(more…)

Corbin (HL:87-91) – La lumière verte

Classé dans: — admin @ 3:42 pm

CORBIN, Henry. L’Homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Éditions « Présence », 1971

Lumières qui montent et lumières qui descendent : le dhikr descend dans le puits du cœur et simultanément fait sortir le mystique du puits de ténèbres. Dans la simultanéité de ces mouvements concentriques s’annoncent l’éclosion et la croissance de l’organisme subtil de lumière. Les descriptions se compliquent et s’enchevêtrent pour se résoudre chez Najm Kobrâ en la visio smaragdina à laquelle préludent ces mouvements. « Notre méthode est la méthode de l’alchimie, déclare le shaykh; il s’agit d’extraire l’organisme subtil de lumière de dessous les montagnes sous lesquelles il gît prisonnier (§ 12). » « Il peut arriver que tu te visualises toi-même comme te trouvant au fond d’un puits, et comme si le puits s’animait d’un mouvement descendant de haut en bas. En réalité, c’est toi qui es en train de monter (ibid.). » Cette ascension (que l’on se rappelle la vision d’Hermès chez Sohravardî, son ascension aux créneaux du Trône), c’est la sortie progressive hors des montagnes dont on a vu précédemment (supra IV, 2) qu’elles étaient les quatre natures élémentaires, constitutives de l’organisme physique. Les états intérieurs concomitants de cette sortie se traduisent en visualisations de déserts, voire « de cités, de pays, de maisons, qui descendent d’en haut vers toi et qui ensuite disparaissent au-dessous de toi, comme si tu voyais une digue sur le rivage de la mer s’effondrer et disparaître dans celle-ci (§ 12). »
(more…)

Corbin (HL:24-27) – L’homme de lumière

Cette idée de l’« homme de lumière », nous en suivons la présence jusque dans le soufisme de Najm Kobrâ où les expressions arabes shakhs min nur, shakhs nurani donnent l’équivalent de l’expression grecque φωτεῖνος ἄνθρωπος. Quant à celle-ci, elle figure dans les documents hermétistes qui nous ont été transmis grâce à Zozime de Panopolis (IIIe siècle), le célèbre alchimiste dont la doctrine médite les opérations métallurgiques réelles comme types ou symboles de processus invisibles, de transmutations spirituelles. Cette doctrine réfère à la fois à un gnosticisme chrétien représenté pour elle par les « Livres des Hébreux », et à un platonisme hermétisant représenté par les « Livres saints d’Hermès ». Est commune aux uns et aux autres une anthropologie dégageant l’idée de l’homme de lumière de la façon suivante : il y a l’Adam terrestre, l’homme extérieur charnel (σάρκινος ἄνθρωπος) soumis aux Eléments, aux influences planétaires et au Destin; les quatre lettres composant son nom « chiffrent » les quatre points cardinaux de l’horizon terrestre. Et il y a l’homme de lumière (φωτεῖνος ἄνθρωπος), l’homme spirituel caché, pôle opposé de l’homme corporel : phôs. C’est une homonymie qui attestait ainsi dans la langue même l’existence de l’homme de lumière : φῶς, lumière et φῶς, l’homme, l’individu par excellence (le héros spirituel, correspondant en ce sens au persan javânmard). Adam est l’archétype des hommes de chair; Phôs (dont le nom propre personnel ne fut connu que du mystérieux Nicotheos) est l’archétype non pas des humains en général, mais des hommes de lumière : les φῶτες.
(more…)

Machado: Il n’y a pas de chemins…

Classé dans: — admin @ 11:23 am

Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C’est les traces
de tes pas
C’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier
Que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer

Antonio Machado (1875-1939)

31/7/2014

Festugière : LE DIEU INCONNU ET LA GNOSE

Classé dans: — admin @ 10:05 am

Le Dieu qui crée le monde et le gouverne est naturellement connu par la contemplation de l’ordre du monde. Mais le Dieu transcendant au monde, et qui non seulement n’a pas créé le monde puisque le monde est matière, mais est totalement éloigné du monde et en quelque sorte opposé au monde, ce Dieu-là peut-il encore être connu, et, s’il l’est, de quelle manière? Voilà le problème que pose cet ouvrage, par lequel s’achève notre étude de la philosophie religieuse sous l’Empire. Il est divisé en deux parties.

VOIR ICI

20/8/2011

Relier la pensée de Leopardi à l’ancienne gnose

Classé dans: — admin @ 4:13 pm

Extrait de Massimo Cacciari, “Platonisme et Gnose - Fragment sur Simone Weil”

Une trame dense de références semble relier la pensée de Leopardi à l’ancienne gnose, comme «inaugurant» un problème destiné à prendre une très grande importance dans la culture contemporaine. (more…)

19/8/2011

Charles Mopsik: Le couple originel et l’unique primordial dans les religions du monde

Classé dans: — admin @ 12:28 pm

Le motif du couple primitif se rencontre dans de nombreuses religions à travers le monde, mais il occupe souvent la place d’une divinité suprême passée à l’arrière-plan. Néanmoins, ce couple n’est lui-même que la projection ou la conséquence d’une séparation survenue au sein de cette divinité suprême considérée comme androgyne. La bisexualité divine est en effet un phénomène des plus répandus à travers le monde. Et même des divinités masculines ou féminines par excellence sont communément regardées comme étant androgynes1. Ce schéma général de la croyance en l’existence d’un être suprême primordial et androgyne auquel succède un premier couple, dont les membres peuvent être aussi bien deux frères, un frère et une sœur, le Ciel et la Terre, le Soleil et la Lune, etc., est lui-même le paradigme d’une l’humanité primitive dont le ou les premiers représentants possèdent également les deux sexes. (more…)

25/5/2010

Ernst Cassirer et la notion de forme symbolique

Classé dans: — admin @ 12:16 am

Essai de Jean Lassègue.

Cassirer, dans Substance et Fonction, en 1910, tente de constituer une épistémologie des sciences exactes et des sciences de la nature qui prendrait en compte les résultats actuels de ces sciences. C’était un projet qui se plaçait encore dans la lignée de la Critique de la Raison Pure de Kant : il s’agissait de déterminer les conditions transcendantales d’objectivité de la science. Le problème qui se pose est celui de la place que l’on accorde à la science dans le cadre de l’expérience humaine en général : or la science apparaît comme une activité extrêmement limitée qui ne fait pas le tour de l’expérience humaine. On comprend que ce soit à partir de Substance et Fonction qu’un tel problème se pose ; dans le livre en effet, Cassirer distingue deux paradigmes en science : le premier est le paradigme aristotélicien : la science manipule des concept génériques et les concepts dérivent des genres inscrits dans la Nature ; le deuxième est la paradigme galiléen : la science est une reconstruction fonctionnelle de type structural : les concepts sont d’essence mathématique et relient des éléments par des lois d’engendrement. C’est le deuxième paradigme qui apparaît à Cassirer comme le plus fécond. La science vit par une mathématisation continue qui recompose l’intégralité du réel, comme Leibniz l’a montré (et Cassirer avait écrit sa thèse sur Leibniz, dédiée à Hermann Cohen). La conséquence est que le cur des systèmes philosophiques est composé des concepts scientifiques qu’ils intègrent. A partir de Substance et Fonction, le point de vue de Cassirer va s’éloigner de cette position néo-kantienne et on peut avancer une hypothèse à ce changement de cap. J’aurais tendance à croire que Cassirer s’est trouvé confronté au même problème que celui auquel Husserl sera confronté dans la Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935) quand il montre que la science moderne de Galilée occulte son propre fondement qui se trouve dans ce que Husserl appelle le “monde de la vie". Dans le cas de Cassirer, l’opposition entre les deux paradigmes, l’un de nature substantielle avec Aristote et l’autre de nature fonctionnelle avec le monde moderne à partir de Galilée, fait surgir un problème analogue :

« Au lieu de se borner à rechercher sous quelles conditions générales l’homme peut connaître le monde, il devenait nécessaire de délimiter mutuellement les principales formes suivant lesquelles il peut le “comprendre” […]. » (La Philosophie des Formes Symboliques, tome 1, p. 7)

LIRE ICI

28/4/2009

Parménide et Heraclite

Classé dans: — admin @ 1:15 pm

Schémas tactiques

L’Être parmênidien est une totalité nécessaire et belle, symbolisée, dans le célèbre poème, par la plénitude, la densité, l’harmonie d’une sphère, claire image de la perfection. Parménide est le premier des grands théologiens rationalistes, le véritable inventeur de l’argument ontologique, car l’être qu’il célèbre avec solennité ne peut pas ne pas être, la perfection de son essence l’établit pour éternellement dans l’existence, et l’impensable non-être est aussi bien l’impensable non-sens. La pluralité des êtres porterait invinciblement chacun à se penser différent, elle briserait et tuerait Dieu. Nul n’a dit mieux que Parménide et avec autant de simplicité métaphysique que le mal n’est pas puisque Dieu est. Le principe du mal, qui est la différence, se trouve radicalement extirpé. Certes il faut payer le prix d’une épuration aussi parfaite. Avec le mal c’est le monde sensible qui est convaincu d’illusion puisqu’en s’étalant dans l’espace, en se déployant dans le temps il nous propose un faux semblant de mouvement et de pluralité. La manière parménidienne de philosopher contre l’individu, le mal et la passion se retrouvera en Spinoza. Elle est une des constantes de l’esprit humain : oublie le tumulte du monde; souviens-toi de Midi le Juste et tu seras délivré du mal, c’est-à-dire du mensonge de l’apparence.

Avec Héraclite est récusée l’idée de ce Dieu existant si absolument qu’il réduirait l’être du monde à l’état de vain simulacre; la totalité nécessaire et belle est le monde lui-même haussé à l’existence éternelle et divine. Héraclite n’est nullement ce figurant des polémiques platoniciennes qui aurait dit hors des prises de la pensée un univers entraîné dans un flux perpétuel et toujours différent de soi. Le monde d’Héraclite change mais ce changement est gouverné du dedans par une loi de contradiction qui lui donne à la fois vérité et réalité. La discorde est partout entre les éléments et entre les cités, mais elle fait l’unité, le ciment du monde et se change ainsi en secrète concorde, la guerre entre le même et l’autre, entre l’assaillant et l’assailli composant cette dramatique harmonie qui fait l’identité de la raison et du monde. Poètes et prophètes bien-pensants qui souhaitent pieusement la disparition de la guerre sont des nihilistes pleins de haine pour le monde qui sans le conflit ne serait pas. Rien dès lors n’est jamais perdu et il n’est pas de mal qui ne soit moyen de Bien dès qu’il est compris par une raison dialectique; une-décadence annonce un progrès, une injustice une nouvelle justice, une mort une renaissance; le crépuscule toujours compensé par une aurore, tel est l’équivalent héraclitéen du plein soleil parménidien. Ce monde… est la totalité nécessaire et belle que nous disions avec cette variante que la nécessité cette fois est dialectique et ne cesse de lier le contraire au contraire. La philosophie héraclitéenne de la sagesse est aussi une constante de l’esprit et elle renaîtra avec Hegel et la postérité de Hegel. Fils de la Terre et d’une Terre au-dedans de laquelle la lutte des contraires accomplit la Justice : ces archaïques sont nos contemporains.

Le parménidien et l’héraclitéen se retrouveront donc tout au long de l’histoire; il leur arrivera de pratiquer l’un envers l’autre des moeurs d’intolérance et de proscription, car ils sont peu d’accord sur le fond des affaires humaines; leur éthique et leur politique sont faites pour s’affronter, le parménidien sera contemplatif et renverra volontiers l’action à la comédie du divertissement; l’héraclitéen fera de sa pensée une action et de son action une pensée, « praxis » dans le monde et au service du monde.

Et pourtant, parménidiens et héraclitéens ne cherchent pas la sagesse, parce qu’ils l’ont trouvée; ils savent où est la totalité nécessaire et belle; ils ont vaincu l’angoisse de la solitude et de la séparation; ils sont les plus religieux des hommes, eux qui se tiennent au-delà du problème du mal. Au-delà, ou peut-être en deçà. »

E. Borne, Le problème du mal, PUF, 1958, p. 71-73.

Bilan parmênidien

Classé dans: — admin @ 1:04 pm

Extrait de “L’Entrée en métaphysique", de Florent Gaboriau

« C’est toute la synthèse héraclitéenne qui se trouve niée, dans son fondement même par le poème de Parménide. Parménide s’oppose au : réalisme d’Heraclite et formule une exigence intérieure à la pensée elle-même. Il se penche sur la nécessité interne du jugement et suscite une nouvelle antinomie, alors qu’Heraclite pouvait légitimement croire les avoir toutes surmontées. La dialectique héraclitéenne ne laissait rien en dehors de son cercle, rien sauf le refus de la dialectique elle-même; et Parménide la nie. C’est toute la métaphysique d’Heraclite qui se trouve d’un coup opposée à l’intériorité même de la pensée, saisie d’ailleurs de façon toute formelle encore par les Èléates. Heraclite proclame l’identité de l’être et de la pensée, mais elle n’existe que dans la parfaite soumission au logos qui est cosmique. A son tour, Parménide va proclamer l’identité va de l’être et de la pensée, mais il la trouve dans l’intériorité même du jugement. Si la pensée est l’être, rien de ce qui change n’est vraiment, ni n’est vraiment pensable. L’identité, dirions-nous aujourd’hui, cesse d’être dialectique et s’oppose contradictoirement à l’identité dialectique accueillante au relatif et à la négation. »
Abel Jeannière, La pensée d’Heraclite d’Êphèse, Aubier, 1959, p. 93-94.

a) Heraclite « proclame l’identité de l’être et de la pensée ». Où?

b) Parménide le fait d’une « façon toute formelle encore ». (comme le dit la suite du texte cité). Est-ce prouvé?

c) La question enfin est de savoir si la pensée parménidienne n’est pas accueillante à une identité relative (excluant la contradictoire, mais n’identifiant pas tout jugement à une négation)?

20/11/2008

Bilan parménidien

Classé dans: — admin @ 11:48 pm

« C’est toute la synthèse héraclitéenne qui se trouve niée, dans son fondement même par le poème de Parménide. Parménide s’oppose au : réalisme d’Héraclite et formule une exigence intérieure à la pensée elle-même. Il se penche sur la nécessité interne du jugement et suscite une nouvelle antinomie, alors qu’Heraclite pouvait légitimement croire les avoir toutes surmontées. La dialectique héraclitéenne ne laissait rien en dehors de son cercle, rien sauf le refus de la dialectique elle-même; et Parménide la nie. C’est toute la métaphysique d’Héraclite qui se trouve d’un coup opposée à l’intériorité même de la pensée, saisie d’ailleurs de façon toute formelle encore par les Éléates. Héraclite proclame l’identité de l’être et de la pensée, mais elle n’existe que dans la parfaite soumission au logos qui est cosmique. A son tour, Parménide va proclamer l’identité de l’être et de la pensée, mais il la trouve dans l’intériorité même du jugement. Si la pensée est l’être, rien de ce qui change n’est vraiment, ni n’est vraiment pensable. L’identité, dirions-nous aujourd’hui, cesse d’être dialectique et s’oppose contradictoirement à l’identité dialectique accueillante au relatif et à la négation. » Abel Jeannière, La pensée d’Héraclite d’Éphèse, Aubier, 1959, p. 93-94.

Métaphysique et Religion (d’après M. Scheler)

Classé dans: — admin @ 10:57 pm

« Comment Max Scheler se représente-t-il son désaccord avec le thomisme? Il essaie au début de son étude (= Vom Ewigen im Menschen) de classer les diverses conceptions que l’on a pu se faire du rapport de la religion et de la philosophie. Il discerne entre autres un « système d’identité partielle » qui est précisément le thomisme : système d’identité en ce sens que l’homme peut ici obtenir par le moyen de la « raison philosophante » un « savoir certain » de vérités religieuses fondamentales, de l’existence de Dieu par exemple : dans cette mesure la religion coïncide avec la métaphysique. Mais cette identité n’est que « partielle », car on affirme aussi que pour pénétrer dans l’essence intime de Dieu il faut accueillir par la foi le contenu, développé dans la théologie positive, de la révélation in Christo. Ajoutons que le « savoir certain » qui représente l’élément d’identité passe pour un savoir médiat, obtenu exclusivement par des raisonnements qui prennent pour base l’existence et la constitution fondamentale du monde.

Scheler rejette cette première conception : non qu’il conteste à la métaphysique la possibilité de démontrer philosophiquement des propositions fondamentales posées comme vraies par la religion naturelle, — encore que selon lui cette démonstration, dissociée de toute intuition religieuse, ne conduise pas jusqu’à Dieu au sens plein du mot, mais il estime que l’affirmation religieuse, même lorsqu’elle porte sur des vérités fondamentales que la philosophie peut établir, n’est pas le terme d’un cheminement « philosophique »; non seulement elle répond en l’homme à un désir différent de celui que la métaphysique tente de satisfaire, mais elle procède d’une attitude et pour ainsi dire d’une méthode particulière : le métaphysicien s’oriente vers le Weltgrund par le moyen d’une .. activité rationnelle spontanée, alors que l’homme, en tant qu’être religieux, est en définitive passif à l’égard d’une « révélation » qui ne s’offre à lui que s’il s’ouvre à son contenu, que s’il est avide de l’ « accueillir ».

M. Dupuy, La philosophie de Max Scheler, PUF, 1959, p. 26-27.

4/11/2008

Stein: Comparaison Husserl-Saint-Thomas (à propos de la « Wesenschau »)

Classé dans: — admin @ 7:24 pm

« C’est sur le terrain de l’analyse objective de l’essence que me semble se situer la communion la plus forte entre Phénoménologie et Thomisme. Le processus de la réduction eidétique, — abstrayant de l’être en fait, et de tout ce qui est accidentel, pour rendre visible l’essence, me semble justifié — d’un point de vue thomiste, — par la distinction d’essence et d’existence en tout être créé. La question de savoir si le processus d’analyse essentielle est le même chez saint Thomas que dans la phénoménologie, exigerait au préalable une large analyse de l’abstraction et de l’intuition. L’intuition phénoménologique n’est pas simplement une contemplation de l’essence « uno intuitu ». Elle comporte une œuvre

Stein: Point de départ de la phénoménologie

Classé dans: — admin @ 7:19 pm

« La phénoménologie de Husserl est une philosophie essentielle, celle de Heidegger, une philosophie existentielle. Le moi philosophant qui est le point de départ, pour découvrir le sens de l’être (den Sinn des Seins), est chez Husserl le « pur moi » (das reine Ich); chez Heidegger, la personne humaine concrète. Peut-être cette recherche d’une philosophie existentielle est-elle à interpréter comme une réaction contre le tendance de Husserl à faire abstraction de (mot à mot « à débrayer ») de l’existence et de tout ce qu’il y a de concret et de personnel. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 104-105)

« La recherche d’un point de départ absolument certain (gewiss) pour la pensée philosophique (das Philosophieren) me paraît motivée psychologiquement et fondée objectivement, par le fait de l’erreur et de l’illusion. Reconnaître une plus grande immédiateté à la sphère immanente, par comparaison avec le monde extérieur, me paraît possible, de la part même de saint Thomas (De Ver., Q. X). Assurément l’attitude naturelle spontanée (natürliche Einstellung) est originellement orientée sur le monde extérieur (pour Husserl comme pour saint Thomas), et c’est seuleinsnt la réflexion qui conduit ensuite à la connaissance des actes. Mais dans cette connaissance réfléchissante, la connaissance et l’objet ne forment, d’une certaine manière, qu’un, et on se rapproche ainsi de la connaissance divine davantage que dans la connaissance des objets externes. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 109-110)

Stein: histoire de la phénoménologie

Classé dans: — admin @ 7:15 pm

« A l’origine, l’intention de Husserl n’allait pas à une métaphysique, mais à une philosophie des sciences (Wissenschaftlehre). Mathématicien, il commence par étudier les fondements des Mathématiques (dans sa « Philosophie der Arithmetik »). Mais là, butant sur les rapports intimes de la mathématique et de la logique, il fut conduit à examiner dans leur principe même l’idée et le rôle de la Logique formelle. Le tome I de ses « Logische Untersuchungen » fit époque, en marquant une rupture complète avec toutes les formes de relativisme sceptique (psychologisme, historicisme, etc.) et en marquant une orientation nouvelle de l’idée de vérité objective. Sa réflexion sur l’idée de Logique conduisit Husserl à cette conviction, que la Logique ne se présente pas à nous comme une science achevée, terminée, mais qu’elle pose une foule de problèmes à résoudre, dont il faudrait traiter après de vastes études de détail. Une série de ces recherches spéciales forme le tome II des « Logische Untersuchungen ». A cet effet, Husserl s’est constitué une méthode de recherche propre, l’analyse objective des essences… Cette orientation dans le sens des entités objectives donna aux contemporains l’impression que la phénoménologie était un renouveau des tendances scolastiques. C’est cette méthode que les premiers disciples de Husserl ont faite leur (Göttingen) : elle se révéla féconde non seulement pour la solution de problèmes logiques, mais pour l’explication (éclaircissement, Klärung) des concepts fondamentaux aux différentes sciences, ainsi que pour le fondement eidétique de la psychologie, des sciences naturelles, des sciences de l’esprit, etc. L’influence de la phénoménologie s’est traduite dans les sciences positives, — psychologie notamment et sciences de l’esprit,—par une révolution (wesentliche Umbildung) dans leur processus.

Or tandis qu’il travaillait à ses « Logische Untersuchungen », Husserl s’était convaincu d’avoir trouvé dans la méthode dont il usait, la méthode universelle pour la constitution d’une philosophie comme science stricte. Exposer cette méthode et en fonder la portée universelle, devait être l’objet des « deen zur einer reine Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie ». La recherche d’un point de départ absolument sûr (sicher) du cheminement philosophique (des Philosophierens) le conduit alors au doute cartésien modifié, à la réduction transcendantale, à la découverte de la conscience transcendantale comme d’un champ aux vastes fouilles. C’est dans les « Ideen » que se fait jour en quelques passages, pour la première fois, le tournant idéaliste. Tournant qui fut une surprise complète pour les élèves de Husserl et provoqua aussitôt la discussion qui se prolonge encore aujourd’hui. Peut-être est-ce justement cette résistance, venue du cercle de ses disciples, qui a poussé Husserl à concentrer ses efforts de plus en plus dans le sens d’un idéalisme à fonder d’une manière contraignante, et à faire de cette question le centre de sa philosophie, alors qu’elle ne l’était nullement à l’origine. » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 102)

Stein: Méthode phénoménologique

Classé dans: — admin @ 7:11 pm

« La déduction au sens traditionnel du terme n’est pas ce qui correspond à la méthode phénoménologique. Son processus est au contraire de « décel » (Aufweis) réflexif : d’abord, analyse régressive, qui part du monde tel qu’il nous est donné à nous dans la disposition de nature (in der natürlichen Einstellung); puis les actes et les complexes d’actes que l’on décrit, et dans lesquels le monde des choses se constitue pour la conscience; finalement le fleuve temporel (ou le flux, Zeitfluss) dans lequel les actes mêmes se constituent comme unités de durée. Alors peut commencer une description de la constitution, qui suit le processus inverse : partant de l’ultime décelable, qui est la vie actuelle du Moi transcendantal, on représente progressivement comment, à travers cette vie actuelle se constituent les actes et leurs corrélats objectifs de divers ordres, jusqu’au monde matériel des choses, et éventuellement des réalités d’un degré supérieur » (« Phénoménologie », Le Saulchoir, Kain, Belgique, éd. du Cerf, P. 101)

Merleau-Ponty: Perspectives de la Métaphysique

Classé dans: — admin @ 6:47 pm

« Ce que chacun peut dire brièvement, c’est de quelle signification peu à peu le mot de métaphysique s’est chargé pour lui, à quoi il l’oppose, à quelle intention il l’emploie. Un compte rendu de ce genre ne suffit pas à fonder le concept dont il ne donne, pour ainsi dire, que la valeur d’emploi. Il est légitime au moins comme contribution à la sociologie des idées, si la métaphysique latente qu’il découvre dans l’usage du mot est assez répandue.

Or, la métaphysique, réduite par le kantisme au système des principes que la raison emploie dans la constitution de la science ou de l’univers moral, — radicalement contestée dans cette fonction directrice par le positivisme, — n’a pas cessé cependant de mener dans la littérature et dans la poésie comme une vie illégale. Dans les sciences même elle reparaît, non pas pour en limiter le champ ou pour leur opposer des barrières, mais comme l’inventaire délibéré d’un type d’être que le scientisme ignorait et que les sciences ont peu à peu appris à reconnaître. C’est cette métaphysique en acte que nous nous proposons de circonscrire « mieux, et d’abord de faire apparaître à l’horizon des sciences de l’homme. » M. Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Nagel, 1948, p. 165-166.

« Les sciences de l’homme dans leur orientation présente, sont métaphysiques ou transnaturelles en ce sens qu’elles nous font redécouvrir, avec la structure et la compréhension des structures, une dimension d’être et un type de connaissance que l’homme oublie dans l’attitude qui lui est naturelle » (id., ib., p. 185).

« Si j’ai compris que vérité et valeur ne peuvent être pour nous que le résultat de nos vérifications ou de nos évaluations, au contact du monde, devant les autres et dans des situations de connaissance et d’action données, alors le monde retrouve son relief, les actes particuliers de vérification et d’évaluation dans lesquels je ressaisis une expérience dispersée reprennent leur importance décisive, il y a de l’irrécusable dans la connaissance et dans l’action, du vrai et du faux, du bien et du mal, justement parce que je ne prétends pas y trouver l’évidence absolue.

lot. La conscience métaphysique et morale meurt au contact de l’absolu parce qu’elle est elle-même, par-delà le monde plat de la conscience habituée ou endormie, la connexion vivante de moi avec moi et de moi avec autrui. La métaphysique n’est pas une construction de concepts par lesquels nous essaierions de rendre moins sensibles nos paradoxes; c’est l’expérience que nous en faisons dans toutes les situations de l’histoire personnelle et collective, — et des actions qui, les assumant, les transforment en raison. C’est une interrogation telle qu’on ne conçoit pas de réponse qui l’annule, mais seulement des actions résolues qui la reportent plus loin. Ce n’est pas une connaissance qui viendrait achever l’édifice des connaissances ; c’est le savoir lucide de ce qui les menace et la conscience aiguë de leur prix. La contingence de tout ce qui existe et de tout ce qui vaut n’est pas une petite vérité, à laquelle il faudrait tant bien que mal faire place dans quelque repli d’un système, c’est la condition d’une vue métaphysique du monde. Une telle métaphysique n’est pas conciliable avec le contenu manifeste de la religion et avec la position d’un penseur absolu du monde » (id., ib., p. 191-192).

6/8/2007

J. Ribet - L’ASCÉTIQUE CHRÉTIENNE - LES FAUSSES NOTIONS

Classé dans: — admin @ 2:04 pm

L’ASCÉTIQUE CHRÉTIENNE
J. Ribet
Librairie Vve Ch. Poussielgue
Paris, 1909

L’ASCÉTIQUE CHRÉTIENNE - CHAPITRE PREMIER - PRÉLIMINAIRES

L’ASCÉTIQUE CHRÉTIENNE - CHAPITRE II - LES FAUSSES NOTIONS

17/7/2007

La légende de Faust

Classé dans: — admin @ 3:36 am

FAUST (JEAN).—Comme inventeur de l’imprimerie et comme ayant publié et répandu en Europe les premières éditions de la Bible, Jean Faust mérite d’être mentionné dans le Dictionnaire de littérature religieuse. Son nom appartient d’ailleurs à la poésie des légendaires, et a été popularisé parle drame allégorique de Goethe.

A l’époque où nous vivons, il est permis encore de douter si l’invention de l’imprimerie fut pour l’humanité un bienfait ou un fléau : toujours est-il que par le moyen de cet art, l’arbre de la science du bien et du mal secoua ses feuilles sur le monde, et a déjà fait goûter aux nations ses fruits les plus amers. C’est donc avec une grande raison que la tradition populaire des légendes, toujours si vraie dans ses symboles et si poétique dans ses allégories, a supposé qu’en la personne de Faust l’orgueil humain avait fait alliance avec l’esprit superbe qui nie Dieu.

Dans la légende de Faust écrite par Widmann, que nous donnerons à la suite de cet article, il n’est pas parlé de l’imprimerie, mais on en décrit les effets dans les conditions du pacte que fait Faust avec Méphistophélès : ainsi le démon s’engage à prendre toutes les formes et à obéir au docteur, même les formes du génie, même celles de la beauté; il s’engage à venir quand on l’appellera, à aller ou on l’enverra; or n’est-ce pas tout ce que peut faire l’esprit du mal au moyen de l’imprimerie? Au moyen de cette alliance, l’esprit de l’homme peut évoquer les morts de leur tombe, et vivre dans la société des anciens, comme nous voyons dans la légende que Faust évoqua le fantôme de la belle Hélène et vécut avec elle dans les liens d’un fantastique et criminel amour. Cette explication jette une lumière nouvelle sur la légende de Faust, qu’on ne relira pas ici sans intérêt, et qu’on peut regarder comme une des plus belles fictions du génie, populaire qui préside aux allégories merveilleuses et aux fantastiques légendes.

Dictionnaire de littérature chrétienne

FAUST

RABELAIS ET L’ALCHIMIE

Classé dans: — admin @ 3:31 am

RABELAIS ET L’ALCHIMIE

PIC DE LA MIRANDOLE ET L’ « HEPTAPLUS »

Classé dans: — admin @ 3:29 am

PIC DE LA MIRANDOLE ET L’ « HEPTAPLUS »

LE COSMOS DE BAUDELAIRE

Classé dans: — admin @ 3:28 am

Les Cahiers d’Hermès I. Dir. Rolland de Renéville. La Colombe, 1947.
LE COSMOS DE BAUDELAIRE
Paul Arnold

10/7/2007

La production des êtres à partir de l’Un se fait à travers une hiérarchie

Classé dans: — admin @ 4:59 pm

Traité VII (trad. Bréhier)

S’il y a des êtres après le Premier, il est nécessaire ou bien qu’ils viennent immédiatement de lui, ou bien qu’ils s’y ramènent par des intermédiaires, et qu’ils aient le second ou le troisième rang, le second se ramenant au premier et le troisième au second. Il faut, que, en avant de toutes choses, il y ait une chose simple et différente de toutes celles qui viennent après elle ; elle est en elle-même et ne se mélange pas avec celles qui la suivent et en revanche elle peut être présente d’une autre manière aux autres choses. Elle est vraiment l’Un ; elle n’est pas une autre chose et ensuite un ; il y est même faux de dire d’elle : l’Un ; « elle n’est pas objet de discours ni de science » ; et on dit qu’elle est « au delà de l’essence». S’il n’y avait pas une chose simple, étrangère à tout accident et à toute composition et réellement une, il n’y aurait pas de principe; et parce qu’elle est simple et la première de toutes, elle se sullit à elle-même ; car ce qui suit a besoin de ce qui précède ; ce qui n’est pas simple a besoin des termes simples, dont il doit être composé. Une telle chose doit être unique ; car si elle avait sa pareille, les deux ne feraient qu’un. Il ne s’agit pas en effet de deux corps, dont l’un serait le corps primitif ; un corps n’est pas un être simple, il est engendré, et n’est pas principe. Le principe n’est pas engendré : et parce qu’il n’est pas corporel, mais réellement un, il est ce Premier dont nous parlons.

Donc s’il y a un être après le Premier, ce n’est plus un être simple ; c’est une unité multiple. D’où vient-elle ? Du Premier ; car s’il y avait rencontre de hasard [entre les termes multiples], il ne serait pas le principe de toutes choses. Comment donc vient-elle du Premier ? Si le Premier est un être parfait et le plus parfait de tous, s’il en est de même de la puissance première, il doit être le plus puissant de tous les êtres, et les autres puissances doivent l’imiter autant qu’elles peuvent. Or, dès qu’un être arrive à son point de perfection, nous voyons qu’il engendre ; il ne supporte pas de rester en lui-même : mais il produit un autre être ; et ceci est vrai non seulement des êtres qui ont une volonté réfléchie, mais encore de ceux qui végètent sans volonté, ou des êtres inanimés qui communiquent tout ce qu’ils peuvent de leur être. Par exemple le feu réchauffe ; la neige refroidit ; le poison agit sur un autre être ; enfin toutes les choses, autant qu’elles peuvent, imitent le principe en éternité et en bonté. Comment donc l’être le plus parfait et le Bien premier resterait-il immobile en lui-même ? Serait-ce par envie ? Serait-ce par impuissance, lui qui est la puissance de toutes choses ? Et comment alors serait-il encore le principe ? Il faut donc que quelque chose vienne de lui, puisque les êtres tiennent de lui le pouvoir d’en faire exister d’autres (car c’est nécessairement de lui qu’ils le tiennent). Le principe générateur doit être le plus vénérable ; mais l’être engendré immédiatement après lui est supérieur à tous les autres.

23/10/2006

vivre

Classé dans: — admin @ 11:48 am

Vouloir et souhait sont enracinés par une nécessité ontologique dans le Dasein comme souci, ils ne se réduisent pas à des vécus ontologiquement indifférents, survenant dans un flux totalement indéterminé en son sens d’être. Et cela ne vaut pas moins de la tendance et du penchant, qui, eux aussi, sont fondés, pour autant qu’ils puissent en général être purement mis en lumière dans le Dasein, dans le souci. Ce qui n’exclut pas que tendance et penchant ne constituent aussi ontologiquement l’étant qui « vit » sans plus. Néanmoins, la constitution ontologique du « vivre » pose un problème propre, qu’il n’est possible de déployer que sur la voie d’une privation réductrice à partir de l’ontologie du Dasein. […] L’impulsion « à vivre » est au contraire une « tendance » qui apporte elle-même avec soi son moteur - une « tendance à n’importe quel prix ». L’impulsion cherche à refouler d’autres possibilités. Ici aussi, l’être-en-avant-de-soi est inauthentique, même si le fait d’être attaqué par l’impulsion vient de celui-là même qu’elle anime. L’impulsion peut courir plus [196] vite que l’affection et la compréhension correspondantes. Mais le Dasein n’est pas alors, n’est jamais « simple impulsion » à laquelle s’ajouteraient parfois d’autres attitudes, comme la maîtrise et la conduite de celle-ci, mais, en tant que modification de l’être-au-monde en sa plénitude, il est toujours déjà souci.

Dans la pure impulsion, le souci n’est pas encore devenu libre, même si c’est lui qui seul rend possible ontologiquement que le Dasein subisse sa propre impulsion. Dans le penchant, au contraire, le souci est toujours déjà lié. Penchant et impulsion sont des possibilités qui s’enracinent dans l’être-jeté du Dasein. Impossible d’anéantir l’impulsion « à vivre », d’extirper le penchant « à se laisser porter » (« vivre ») par le monde. Mais tous deux, parce que et seulement parce qu’ils se fondent ontologiquement dans le souci, peuvent être modifiés ontico-existentiellement par celui-ci en tant qu’authentique. [ET §41]

Finir propre à un vivant

Classé dans: — admin @ 11:48 am

De plus, à la faveur de notre caractérisation du passage du Dasein au ne-plus-être-Là en tant que ne-plus-être-au-monde, il est apparu que la sortie-du-monde du DASEIN au sens du mourir doit être distinguée d’une sortie-du-monde du seulement vivant. Ce finir propre à un [241] vivant, nous le désignons terminologiquement par le terme périr. La différence citée ne peut être rendue visible que par une délimitation du finir qui est à la mesure du Dasein par rapport à la fin d’une vie [NA : Cf. supra, § 10, p. [45] sq.]. Sans doute, il est également possible de concevoir le mourir en termes physiologico-biologiques. Néanmoins, le concept médical d’« exitus » ne coïncide pas avec le concept du périr.

À la lumière de l’élucidation antérieure de la possibilité ontologique de saisie de la mort, il devient en même temps clair que diverses substructions - qui ne cessent de s’imposer à notre insu - de types d’étants munis d’un autre mode d’être (être-sous-la-main ou vie) menacent d’égarer l’interprétation du phénomène, et même déjà sa première prédonation adéquate. Ce à quoi il n’est possible de remédier qu’en cherchant à procurer à la suite de l’analyse une déterminité ontologique suffisante des phénomènes constitutifs que sont la fin et la totalité. [ET §47]

La vie et la mort

Classé dans: — admin @ 11:46 am

La mort au sens le plus large est un phénomène de la vie. La vie doit être comprise comme un mode d’être auquel appartient un être-au-monde. Elle ne peut être fixée ontologiquement que dans une orientation privative sur le Dasein. Même le Dasein peut se laisser considérer comme une pure vie. Aux yeux de l’approche biologico-physiologique, il sera alors intégré au domaine d’être que nous connaissons comme monde animal et végétal. À l’intérieur de ce champ, il est possible, par voie de constat ontique, de recueillir des données et des statistiques sur la durée de vie des plantes, des animaux et des hommes. Des connexions entre durée de vie, reproduction et croissance peuvent être découvertes, et les « types » de mort - les causes, les « mécanismes » et les guises de son intervention - être soumis à une investigation scientifique [NA : Cf. sur ce point l’ample exposé d’E. KORSCHELT, Lebensdauer, Altern und Tod (NT : Durée de vie, vieillissement et mort), 3ème éd., 1924, et notamment la riche bibliographie des p. 414 sq.].

À cette étude biologico-ontique de la mort, une problématique ontologique est sous-jacente. Il reste à demander comment, à partir de l’essence ontologique de la vie, se détermine [247] celle de la mort. Dans une certaine mesure, l’investigation ontique de la mort a toujours déjà tranché ce point. Des préconceptions plus ou moins clarifiées de la vie et de la mort y sont à l’œuvre. Elles ont besoin d’être pré-dessinées par l’ontologie du Dasein. En outre, à l’intérieur même de cette ontologie du Dasein préordonnée à une ontologie de la vie, l’analytique existentiale de la mort est à son tour subordonnée à une caractérisation de la constitution fondamentale du Dasein. Nous avons nommé le finir de l’être vivant le périr. Or s’il est vrai que le Dasein « a » sa mort physiologique, biologique - non point ontiquement isolée, certes, mais codéterminée par son mode d’être originaire -, qu’il peut même finir sans à proprement parler mourir, et s’il est vrai, d’un autre côté, que le Dasein en tant que tel ne périt jamais simplement, nous caractériserons ce phénomène intermédiaire par le terme de décéder, le verbe mourir étant au contraire réservé à la guise d’être en laquelle le Dasein est pour sa mort. En conséquence de quoi, nous devons dire : le Dasein ne périt jamais, mais il ne peut décéder qu’aussi longtemps qu’il meurt. L’étude biologico-médicale du décéder est en mesure de dégager des résultats qui peuvent également posséder une signification ontologique, à condition du moins que soit assurée l’orientation fondamentale pour une interprétation existentiale de la mort. À moins que nous ne devions concevoir la maladie et la mort - même envisagées médicalement -primairement comme des phénomènes existentiaux ? [ET §49]

La vie prise pour problème

Classé dans: — admin @ 11:45 am

Le discours sur le « cercle » de la compréhension n’est que l’expression d’une double méconnaissance : 1. Méconnaissance que le comprendre constitue lui-même un mode fondamental de l’être du Dasein. 2. Méconnaissance que cet être est constitué comme souci. Nier ce cercle, vouloir le masquer ou même le surmonter, cela signifie consolider définitivement cette méconnaissance. L’effort doit bien plutôt s’appliquer à sauter originairement et totalement dans ce « cercle » afin de s’assurer, dès l’amorçage de l’analyse du Dasein, d’un regard plein sur l’être circulaire du Dasein. En revanche, l’on ne « présuppose » pas trop, mais trop peu pour l’ontologie du Dasein lorsque l’on « part » d’un Moi sans monde, afin de lui procurer par après un objet et une relation ontologiquement [316] dépourvue de fondement à cet objet. Le regard porte trop court lorsque c’est « la vie » qui est prise pour problème, dût la mort, à l’occasion, être elle aussi prise ensuite en considération ; de même que l’objet thématique est découpé de manière artificiellement dogmatique lorsque l’on « commence » par se restreindre à un « sujet théorique » en se réservant ensuite de le compléter « du côté pratique » par une « éthique » surajoutée. [ET §63]

Enchaînement de la vie

Classé dans: — admin @ 11:43 am

Le Dasein n’existe pas en tant que somme des effectivités momentanées de vécus apparaissant et disparaissant les uns après les autres ; pas davantage, du reste, cette succession ne peut-elle remplir progressivement un cadre : car comment celui-ci pourrait-il être sous-la-main là où seul le vécu « actuel » est « effectif » et où les limites du cadre, la naissance et la mort, étant seulement passée ou à venir, sont dépourvues de toute effectivité ? Au fond, même la conception vulgaire de l’« enchaînement de la vie » ne songe point à un cadre tendu « en dehors » et autour du Dasein, mais elle cherche au contraire à le découvrir dans le Dasein lui-même. Cependant, la position ontologique tacite de cet étant comme étant sous-la-main « dans le temps » condamne à l’échec toute tentative de caractériser ontologiquement l’être « entre » naissance et mort. [ET §72]

Être-éclairci

Classé dans: — admin @ 11:42 am

L’unité ekstatique de la temporalité, c’est-à-dire l’unité de l’« être-hors-de-soi » dans les échappées de l’avenir, de l’être-été et du présent, est la condition de possibilité requise pour qu’un étant qui existe comme son « Là » puisse être. L’étant qui porte le titre de Da-sein, est « éclairci » NA : §28. La lumière qui constitue cet être-éclairci du Dasein n’est point la force et la source ontiquement sous-la-main d’une clarté irradiante qui surviendrait de temps à autre en cet étant. Ce qui éclaircit essentiellement cet étant, c’est-à-dire qui le rend « ouvert » à lui-même aussi bien que « lucide », a été déterminé, avant même toute interprétation « temporelle », comme souci. C’est en celui-ci que se fonde la pleine ouverture du Là. Cet [351] être-éclairci rend pour la première fois possible toute illumination et tout éclairement, tout accueil, tout « voir » et tout avoir de quelque chose. Nous ne pouvons comprendre la lumière de cet être-éclairci que si, au lieu de nous mettre en quête d’une force innée, sous-la-main, nous interrogeons la constitution d’être totale du Dasein, le souci, quant au fondement unitaire de sa possibilité existentiale. La temporalité ekstatique éclaircit le Là originairement. Elle est le régulateur primordial de l’unité possible de toutes les structures existentiales essentielles du Dasein. [ET §61]

23/2/2006

La question de la vie

Classé dans: — admin @ 7:11 pm

La question de la « vie » n’a jamais cessé de tenir en haleine les recherches de W. Dilthey, qui s’efforce de comprendre la connexion structurelle et génétique des « vécus » à partir du tout de cette « vie » dont ils forment le tissu. Toutefois, s’il faut attribuer une pertinence philosophique à sa « psychologie comme science de l’esprit », celle-ci ne consiste pas dans son refus de s’orienter sur des éléments et des atomes psychiques et de morceler la vie de l’âme, mais bien plutôt dans le fait que Dilthey, en tout cela et avant tout, était en chemin vers la question de la « vie ». Naturellement, c’est sur ce point également que se manifestent de la manière la plus nette les limites de sa problématique, et de la conceptualité [47] où il était obligé de l’exprimer. Ces limites, tous les courants du « personnalisme » déterminés par Dilthey et Bergson, toutes les tendances en direction d’une anthropologie philosophique les partagent avec eux. Même l’interprétation phénoménologique de la personnalité, pourtant bien plus radicale et clairvoyante, ne parvient pas à atteindre la dimension de la question de l’être du Dasein. Toutes réserves faites sur leurs différences en ce qui concerne le mode de questionnement et d’exécution, ainsi que l’orientation de la conception du monde, les interprétations de la personnalité par Husserl {NA: Les recherches d’E. Husserl sur la personnalité demeurent inédites. L’orientation fondamentale de la problématique se manifeste déjà dans l’essai « La philosophie comme science rigoureuse », paru dans Logos, I, 1910, notamment p. 319. [Cf. la trad. fr. de Q. Lauer, 1955 (N.d.T.)]. Cette recherche se trouve fort avancée dans la seconde partie des Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures (Husserliana, IV) [= trad. E Escoubas, 1982 (N.d.T)], dont la première partie (voir le présent Jahrbuch, t. I, 1913) [= trad. P. Ricoeur, 1950 (N.d.T.)] présente la problématique de la « conscience pure » considérée comme le sol de la recherche de la constitution de toute réalité. La deuxième partie expose le détail des analyses constitutives et traite, en trois sections : 1. la constitution de la nature matérielle, 2. la constitution de la nature animale et 3. la constitution du monde spirituel (marquant l’opposition de l’attitude personnaliste à l’attitude naturaliste). Husserl commence ainsi son exposé : « Dilthey a certes saisi les problèmes déterminants, les orientations du travail à faire, mais il n’est encore parvenu ni aux formulations décisives du problème, ni aux solutions méthodologiquement correctes ». Depuis cette première élaboration, Husserl a encore approfondi ces problèmes, et communiqué dans ses cours de Fribourg certaines parties essentielles de ses recherches. [Rappelons que Ideen II était encore inédit en 1927 — ce que précise d’ailleurs la présente note dans la 1ère édition de S.u.Z. : « La seconde partie, inédite » — et ne verra le jour comme t. IV des Husserliana qu’en 1952, par les soins de M. Biemel. (N.d.T.)]} et Scheler s’accordent négativement en ceci que l’une et l’autre ne posent plus la question de l’« être-personne » lui-même. Nous choisissons comme exemple l’interprétation de Scheler, non seulement parce qu’elle est littérairement accessible {NA: Cf. le présent Jahrbuch, t. I-2 , 1913 et t. II 1916, notamment p. 242 sq. [Heidegger cite ici Le formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs. Cf. le Handbuch, p. 481-482, et la trad. fr. de M. de Gandillac, 1955 (N.d.T.)] }, mais parce que Scheler accentue expressément l’être-personne en tant que tel et cherche à le déterminer en dissociant l’être spécifique des actes de toute réalité « psychique ». La personne, selon Scheler, ne peut être pensée en aucun cas comme une chose ou une substance, elle « est bien plutôt l’unité immédiatement co-vécue du “vivre” — non pas une chose simplement pensée derrière et hors de ce qui est immédiatement vécu » {NA: Id., t. II, p. 243.}. La personne n’est pas un être substantiel chosique. En outre, l’être de la personne ne peut s’épuiser à être le sujet d’actes rationnels réglés par une certaine légalité. [Être et Temps, §10]

Réalisé avec WordPress