Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:98-99) – le Seigneur

Classé dans: — admin @ 1:15 pm

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Les deux termes nous avaient été proposés comme formant antithèse [unio mystica et unio sympathetica]. La voie que suit notre recherche semble bien nous conduire à un schéma d’expérience spirituelle où, loin de s’exclure, ils s’interprètent l’un par l’autre. Récapitulons les étapes : chaque être est une forme épiphanique (mazhar, majla) de l’Etre divin qui s’y manifeste comme revêtu de l’un ou de plusieurs de ses Noms. L’univers est la totalité des Noms dont Il se nomme quand nous Le nommons par eux. Chaque Nom divin manifesté est le seigneur (rabb) de l’être qui le manifeste (c’est-à-dire qui est son mazhar). Chaque être est la forme épiphanique de son Seigneur propre (al-rabb al-khâss), c’est-à-dire ne manifeste l’Essence divine que chaque fois particularisée et individualisée dans ce Nom. Aucun être déterminé et individualisé ne peut être la forme épiphanique du Divin en sa totalité, c’est-à-dire de l’ensemble des Noms ou des « Seigneurs ». « Chaque être, dit Ibn ’Arabî, n’a comme Dieu que son Seigneur en particulier, il est impossible qu’il ait le Tout. »

Ainsi se dessine un schéma fixant une sorte de kathénothéisme vérifié dans le contexte d’une expérience mystique ; il ne s’agit pas d’une fragmentation de l’Etre divin, mais de sa présence totale chaque fois en tant qu’individualisée dans chaque théophanie de ses Noms, et c’est revêtu chaque fois de l’un de ces Noms qu’il apparaît comme Seigneur. Ici trouve place un autre motif essentiel pour la spiritualité de l’école d’Ibn ’Arabî, à savoir le secret qui constitue ce Seigneur comme Seigneur, le sirr al-robûbîya. A défaut d’un terme abstrait impossible à former sur le mot « seigneur », et afin de suggérer le lien chevaleresque unissant le seigneur divin et le vassal de son Nom, nous pouvons traduire cette expression par « le secret de la suzeraineté divine ». Que faut-il entendre sous ces mots ? Un propos de Sahl Tostarî rapporté par Ibn ’Arabî nous en dévoile la profondeur : « La suzeraineté divine a un secret, et c’est toi — ce toi qui est l’être à qui l’on parle ; — si (ce toi) venait à disparaître, cette suzeraineté serait également abolie. » Nous trouvons dans un pareil propos une référence implicite au phénomène d’Amour primordial évoqué dans le hadîth : « J’étais un Trésor caché, j’ai aimé à être connu », — puisque son être-connu dépend de toi (ce qui veut dire que lorsqu’il est connu par toi, c’est qu’il se connaît en toi), — et nous trouvons par là même l’énoncé d’une situation dialogique essentielle, qu’aucune imputation de monisme ne peut altérer.

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