Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:143-144) – J’étais un Trésor caché…

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Il est nécessaire avant tout, de nous remémorer les actes de la cosmogonie éternelle conçue par le génie d’Ibn ’Arabî. Un Etre Divin esseulé en son essence inconditionnée, dont nous ne connaissons qu’une chose : précisément la tristesse de cette solitude primordiale, qui le fait aspirer à se révéler dans des êtres qui le manifestent à lui-même pour autant qu’il se manifeste à eux. C’est cette Révélation que nous percevons ; c’est elle qu’il nous faut méditer pour connaître qui nous sommes. Le leitmotiv énonce non pas la fulguration d’une Omnipotence autarcique, mais une nostalgie foncière : « J’étais un Trésor caché, j’ai aimé à être connu. C’est pourquoi j’ai produit les créatures afin de me connaître en elles. » Cette phase est représentée comme la tristesse des Noms divins s’angoissant dans l’inconnaissance, parce que personne ne les nomme, et c’est cette tristesse que vient détendre cette Spiration divine (tanaffos) qui est Compatissance (Rahma) et existentiation (îjâd), et qui dans le monde du Mystère est Compassion de l’Etre Divin avec et pour soi-même, c’est-à-dire pour ses propres Noms. Ou encore, origine et principe sont une détermination de l’amour, lequel comporte mouvement d’ardent désir (harakat shawqîya) chez celui qui est épris. A cet ardent désir, le Soupir divin apporte sa détente.

D’emblée, par une analyse où il découvre expérimentalement dans son propre être le mystère de l’être, le théosophe évite l’opposition théologique entre Ens increatum et ens creatum comme tiré du néant, opposition telle que l’on ne sait si jamais a pu être réellement défini le rapport qu’entretient le Summum Ens avec le néant dont il ferait surgir la créature. La Tristesse n’est pas le « privilège » de l’être créaturel ; elle est dans l’Etre créateur lui-même, elle est le motif même qui fait de l’Etre primordial, devançant toutes nos déductions, un Etre créateur ; elle est le secret de sa créativité. Et sa création ne surgit pas du néant, d’un autre que Lui, un non-lui, mais de son être foncier, des puissances et virtualités latentes dans son être non révélé. Aussi bien, le mot tanaffos implique-t-il aussi le sens de briller, apparaître à la façon de l’aurore. La Création est essentiellement révélation de l’Etre Divin à lui-même d’abord, luminescence opérée en lui-même ; elle est une théophanie (tajallî ilâhî). Aucune idée ici de creatio ex nihilo pour ouvrir un abîme sur lequel aucune pensée rationnelle sera désormais impuissante à jeter un passage, puisque c’est elle-même, foncièrement discriminante, qui oppose et met à distance ; pas même une fissure pouvant s’agrandir en espace d’incertitude infranchissable aux arguments et aux preuves. La Spiration divine exhale ce que notre shaykh désigne comme Nafas al-Rahmân ou Nalas Rahmânî, le Soupir de Compatissance existentiatrice ; ce Soupir donne origine à toute la masse « subtile » d’une existentiation primordiale désignée sous le nom de Nuée (’amâ). D’où le sens de ce hadïth : « On demandait au Prophète : Où était ton Seigneur avant de créer sa création (visible) ? — Il était dans une Nuée ; il n’y avait pas d’espace ni au-dessus ni au-dessous.»

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