Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:209-210) – voir Dieu, le jamais vu

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Ayons alors bien présent à la pensée un double leitmotiv : la réponse de Dieu à Moïse, enregistrée dans le texte qorânique : « Tu ne me verras pas » — et le célèbre hadîth de la vision (hadith al-rû’ya), que ce fût vision en songe ou vision extatique, où le Prophète atteste : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or (ou d’une robe verte, selon une variante) ; sur sa chevelure, une mitre d’or; à ses pieds, des sandales d’or.» Refus de la vision et attestation de cette vision ; les deux motifs forment ensemble déjà une coincidentia oppositorum. Mais de plus, l’Image récurrente aussi bien dans le hadîth de la vision prophétique que dans l’expérience personnelle d’Ibn ’Arabî, est une Image du puer aeternus, symbole plastique visionnaire de cette même coincidentia oppositorum, bien connu des psychologues. Dès lors une triple question se fait jour : Qui est cette Image ? D’où vient-elle et quel en est le contexte ? Quel degré d’expérience spirituelle annonce son apparition, c’est-à-dire quelle réalisation de l’être est opérée dans et par cette Image ?

Autant un théologien comme al-Ghazâlî reste désarmé, sans solution, devant l’Image, et a fortiori devant une expérience visionnaire de l’Image parce qu’il s’en fait une conception toute « nominaliste » et agnostique, et n’a d’autre ressource que de la dénaturer en allégorie plus ou moins inoffensive, cela justement parce qu’il n’a aucune idée du théophanisme professé par un Ibn ’Arabî, — autant en revanche un disciple de celui-ci, tel ’Abdol-Karîm Gîlî, se trouve à son aise pour l’expliquer et la commenter. Il insiste sur la double dimension de l’événement : réalité plénière de la Forme déterminée, et contenu caché qui ne peut prendre figure que dans cette Forme. Il l’analyse comme une coincidentia oppositorum qui nous impose une homologation de l’infini dans une forme finie, parce que telle est la loi même de l’être. Et la « Face divine, la « Forme de Dieu », qui se montre ainsi — nous l’avons appris précédemment — c’est aussi la « Face impérissable » de l’être à qui elle se montre, son Esprit-Saint. Il faut en revenir en effet toujours à ceci : ce qu’atteint un être au sommet même de son expérience mystique, ce n’est pas, ce ne peut être le fond de l’Essence divine en son unité indifférenciée. C’est la raison même pour laquelle Ibn ’Arabî récusait la prétention de certains mystiques, prétendant « devenir un seul et même avec Dieu ».

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