Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:139-140) – L’Imago-Magia

CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

« La notion de l’imagination, intermédiaire magique entre la pensée et l’être, incarnation de la pensée dans l’image et position de l’image dans l’être, est une conception de la plus haute importance qui joue un rôle de premier plan dans la philosophie de la Renaissance et qu’on retrouve dans celle du Romantisme. » Cette observation relevée chez l’un de nos meilleurs interprètes des doctrines de Boehme et de Paracelse, nous fournit la meilleure introduction à la seconde partie du présent livre. Nous en retiendrons d’une part la notion de l’imagination comme étant la production magique d’une image, le type même de l’action magique, voire de toute action comme telle, mais par excellence de toute action créatrice ; et d’autre part la notion de l’image comme d’un corps (un corps magique, un corps mental) dans lequel s’incarnent la pensée et la volonté de l’âme. L’Imagination comme puissance magique créatrice qui, donnant naissance au monde sensible, produit l’Esprit en formes et en couleurs ; le monde comme Magia divina « imaginée » par la divinité « imagicienne », c’est cette antique doctrine, typifiée dans la juxtaposition des mots Imago-Magia, qu’un Novalis retrouvait à travers Fichte. Mais ici une mise en garde initiale s’impose : cette Imaginatio ne doit surtout pas être confondue avec la fantaisie. Comme l’observait déjà Paracelse, à la différence de l’Imaginatio vera, la fantaisie (Phantasey) est un jeu de la pensée, sans fondement dans la nature, elle n’est que « la pierre angulaire des fous ».

Mise en garde essentielle. Elle prévient le danger d’une confusion courante, et qui résulte de conceptions du monde telles que, si l’on continue de parler d’une fonction « créatrice » de l’Imagination, ce sera plutôt à la façon d’une métaphore. Tant d’efforts ont été dépensés en théories de la connaissance, tant d’« explications » (relevant d’une forme ou d’une autre du psychologisme, de l’historicisme, du sociologisme) ont abouti à annuler la signification objective de l’objet, que par comparaison avec la conception gnostique de l’Imagination, comme posant en vérité quelque chose dans l’être, nous en sommes arrivés à un agnosticisme pur et simple. C’est à ce niveau que, toute rigueur terminologique cessante, l’imagination est confondue avec la fantaisie. Qu’elle ait une valeur noétique, qu’elle soit organe de connaissance, parce que « créant » de l’être, c’est une notion qui s’insère difficilement dans nos habitudes.

Sans doute une question préalable se pose : au fond, qu’est-ce que la créativité attribuée à l’homme ? Mais peut-on y répondre sans avoir déjà présupposé le sens et la validité de ces créations ? Qu’il y ait non seulement besoin de dépasser la réalité dans son état donné, mais de surmonter la solitude du moi livré à lui-même dans ce monde imposé (le rien-que-moi, Nur-Ich-Sein, dont l’obsession peut faire toucher à la folie), comment, non seulement en convenir, mais commencer à en parler, si d’ores et déjà l’on n’a pas pressenti au fond de soi-même ce dépassement, et sans doute décidé de son sens ? Certes, les expressions de « créateur » et d’« activité créatrice » font partie de notre langage courant. Mais que le terme de cette activité soit une oeuvre d’art ou une institution, ce n’est pas dans ces objets qui n’en sont que l’expression et le symptôme, que tient la réponse à la question de savoir quel est le sens du besoin créateur de l’homme ? Ces objets eux-mêmes prennent place dans un certain monde, mais leur apparition et leur signification procèdent en premier lieu du monde intérieur où ils furent conçus ; ce n’est rien de moins que ce monde, ou plutôt la création de ce monde intérieur, qui puisse être à la dimension de l’activité créatrice de l’homme, et qui par là fournisse une indication quant au sens de sa créativité et quant à l’organe créateur qui est l’Imagination.

Dès lors aussi, tout va dépendre du degré de réalité que l’on reconnaîtra à cet univers imaginé, et partant quel pouvoir réel on reconnaîtra à l’Imagination qui l’imagine ; mais à leur tour l’une et l’autre question dépendent de l’idée que l’on se fait de la création et de l’acte créateur.

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