Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:110-111) – le poème sophianique d’un « fidèle d’amour »

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CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans le prologue du Dîwân qu’il a intitulé « L’interprète des ardents désirs », Ibn ’Arabî relate ainsi les circonstances de sa composition : « Lorsque pendant l’année 598 h. (= 1201 A. D.) je séjournais à La Mekke, je fréquentais une société de personnes éminentes, hommes et femmes, formant une élite des plus cultivées et des plus vertueuses. Quelle que fût leur distinction, je ne vis cependant parmi elles personne qui égalât le sage docteur et maître Zâhir ibn Rostam, originaire d’Ispahan mais ayant pris résidence à La Mekke, ainsi que sa sœur, la vénérable ancienne, la savante du Hedjâz, appelée Fakhr al-Nisâ’ (la « Gloire des femmes ») Bint Rostam. » Ici Ibn ’Arabî s’étend avec complaisance sur d’agréables souvenirs, mentionnant, entre autres, les livres qu’il étudia sous la direction du shaykh en compagnie de la sœur de celui-ci. Tout cela n’est encore que préparatifs pour introduire le motif qui est à l’origine des poèmes constituant le Dîwân.

De la société exquise fréquentant la demeure de cette noble famille iranienne établie à La Mekke, une figure de pure lumière se détache. Le texte est de ceux que l’on ne résume pas. « Or ce Shaykh avait une fille, une svelte adolescente qui enchaînait les regards de quiconque la voyait, dont la seule présence était l’ornement des assemblées et émerveillait jusqu’à la stupeur quiconque la contemplait. Son nom était Nezâm (Harmonia) et son surnom « Œil du Soleil et de la Beauté » (’ayn al-Shams wa’l-Bahâ’). Savante et pieuse, ayant l’expérience de la vie spirituelle et mystique, elle personnifiait la vénérable ancienneté de toute la Terre Sainte et la jeunesse ingénue de la grande cité fidèle au Prophète. La magie de son regard, la grâce de sa conversation, étaient un tel enchantement que, s’il lui arrivait d’être prolixe, sa parole coulait de source ; concise, c’était une merveille d’éloquence ; dissertante, elle était claire et transparente… N’étaient les âmes mesquines, promptes au scandale et prédisposées aux propos méchants, je commenterais ici les beautés dont Dieu la pourvut dans son corps aussi bien que dans son âme, laquelle était un jardin de générosité…

« Au temps où je la fréquentais, j’observais avec soin les nobles dons qui ornaient sa personne, outre ce qu’y ajoutait la société de sa tante et de son père. Alors je la pris comme type d’inspiration des poèmes que contient le présent livre et qui sont des poèmes d’amour, composés de phrases élégantes et douces, bien que je n’aie pu réussir à y exprimer même une partie de l’émotion que mon âme éprouvait et que la fréquentation de cette jeune fille éveillait dans mon cœur, ni du généreux amour que je ressentais, ni du souvenir que son amitié constante laissa dans ma mémoire, ni ce qu’étaient la grâce de son esprit et la pudeur de son maintien, puisqu’elle est l’objet de ma Quête et mon espoir, la Vierge Très-Pure (al-Adhrâ’ al-batûl). Cependant j’ai réussi à mettre en vers quelques-unes des pensées de ma nostalgie, comme présents et objets précieux offerts ici. J’ai laissé clairement s’exprimer mon âme éprise, j’ai voulu suggérer quel attachement profond j’éprouvai, quel profond souci me tourmenta en ce temps maintenant révolu, et quel regret m’émeut encore au souvenir de la noble société de cette jeune fille. »

Mais voici maintenant les instructions décisives dévoilant la teneur du poème, les intentions auxquelles le lecteur est prié de conformer sa lecture. « Quel que soit le nom que je mentionne dans cet ouvrage, c’est à elle que je fais allusion. Quelque demeure dont je chante l’élégie, c’est à sa demeure que je pense. Mais il y a plus. Dans les vers que j’ai composés pour le présent livre, je ne cesse de faire allusion aux inspirations divines (wâridât ilâhîya), aux visitations spirituelles (tanazzolât rûhânîya), aux correspondances (de notre monde) avec le monde des Intelligences angéliques ; c’était me conformer à mon habituelle manière de penser par symboles ; cela, parce que les choses du monde invisible ont pour moi plus d’attrait que celles de la vie présente, et parce que cette jeune fille connaissait parfaitement ce à quoi je faisais allusion (c’est-à-dire le sens ésotérique de mes vers). » D’où ce solennel avertissement : « Que Dieu préserve le lecteur de ce Dîwân de toute tentation l’entraînant à supposer des choses indignes des âmes qui méprisent de telles bassesses, indignes de leurs hauts desseins attachés aux seules choses célestielles. Amen ! — de par la puissance de Celui qui est le Seigneur unique. »

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