Sophia

20/12/2022

Corbin (Ibn Arabi:87-88) – la communauté d’essence entre visible et invisible

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CORBIN, Henry. L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabî. Paris: Flammarion, 1958

Dans un traité sur «l’art hiératique des Grecs», Proclus, cette haute figure du néoplatonisme tardif dont l’étude fut pendant longtemps délaissée, écrit ceci : « Comme on le fait dans la dialectique d’amour, on part des beautés sensibles pour s’élever jusqu’à ce que l’on rencontre le principe unique de toute beauté et de toute idée, ainsi que les adeptes de la science hiératique prennent pour point de départ les choses apparentes et les « sympathies » qu’elles manifestent entre elles et avec les puissances invisibles. Observant que tout est en tout, ils ont posé les fondements de la hiératique, s’étonnant de voir et admirant dans les réalités premières les derniers venus des êtres et dans les derniers les tout premiers ; dans le ciel, les choses terrestres selon un mode causal et célestement, et sur la terre, les choses célestes dans une condition terrestre. » Exemple : l’héliotrope et sa prière. « Quelle autre raison peut-on donner du fait que l’héliotrope suit par son mouvement le mouvement du soleil, et le sélénotrope le mouvement de la Lune, faisant cortège dans la mesure de leur pouvoir, aux flambeaux du monde ? Car, en vérité, toute chose prie selon le rang qu’elle occupe dans la nature, et chante la louange du chef de la série divine à laquelle elle appartient, louange spirituelle, ou louange rationnelle ou physique ou sensible ; car l’héliotrope se meut selon qu’il est libre de son mouvement, et dans le tour qu’il fait, si l’on pouvait entendre le son de l’air battu par son mouvement, on se rendrait compte que c’est un hymne à son roi, tel qu’une plante peut le chanter. »

Ce texte d’un philosophe et d’un poète, ayant le sentiment hiératique de la Beauté, nous apparaît comme un texte exemplaire, éminemment apte à préluder aux thèmes qui vont fixer ici notre méditation. Il met en connexion « dialectique d’amour » et « art hiératique », celui-ci étant fondé comme celle-là sur un même principe : la communauté d’essence entre les êtres visibles et les invisibles. « On peut voir sur la Terre, dit encore Proclus, des soleils, des lunes, dans une condition terrestre, et dans le ciel, dans une condition céleste, toutes les plantes, les pierres, les animaux, vivant spirituellement. » Cette communauté d’une même essence qui se pluralise en plusieurs êtres, n’est point perçue à l’aide d’une argumentation remontant de l’effet à la cause ; elle est la perception d’une sympathie, d’une attraction réciproque et simultanée entre l’être apparent et son prince céleste, c’est-à-dire l’un de ceux que Proclus désigne ailleurs comme des Anges créateurs, générateurs et sauveurs, groupés en choeurs et escortant l’Archange ou le Dieu qui les conduit, de même que les fleurs de la Terre font cortège à l’Ange qui est le chef de la « série divine » à laquelle elles appartiennent. La communauté d’essence est en effet perçue ici dans le phénomène visible d’une fleur, ce tropisme qui lui donne son nom : héliotrope. Or, perçu comme phénomène de sympathie, ce tropisme est chez la plante à la fois action et passion : son action (c’est-à-dire son tropos, sa « conversion ») est perçue comme étant l’action (c’est-à-dire l’attraction) de l’Ange ou prince céleste dont elle porte par là même le nom. Son héliotropisme (sa « conversion » vers son prince céleste) est donc en fait une héliopathie (la passion qu’elle en subit). Et c’est cette passion, ce πάθος (pathos), qui se dévoile dans une prière, laquelle est l’acte de cette passion par laquelle l’Ange invisible l’attire vers lui. Cette prière est donc en elle le pathos de leur sympatheia (il nous faut ici penser étymologiquement, le mot « sympathie », tel qu’il est usité dans la langue courante, ayant beaucoup perdu de sa force) ; par cette sympatheia s’actualise l’aspiration réciproque fondée en la communauté de leur essence.

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